Le sujet des élections législatives anticipées s’est timidement invité au 52e congrès annuel de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), le 27 juin à Marcq-en-Barœul (Nord).
« Un de nos projets a été mis sur pause par un investisseur étranger qui attend les résultats du 7 juillet », témoigne en aparté Philippe Jung, directeur général de Demathieu Bard Immobilier.
« Chez nous, la légère baisse des taux depuis le début d’année a fait revenir les clients à partir de mars, à un niveau toutefois inférieur de près de 40% par rapport à 2022. Avant la dissolution (de l’Assemblée nationale le 9 juin, NDLR), une reprise du marché semblait se dessiner sur deux ans, pour retrouver un niveau inférieur de 20% environ par rapport à 2022 », explique le dirigeant du 20e promoteur français.
« Entre les ponts et la dissolution, le deuxième trimestre 2024 sera moins bon que le premier, alors que le deuxième trimestre est normalement le meilleur de l’année pour les promoteurs », observe de son côté Norbert Fanchon, président du groupe Gambetta.
Proposer une offre de logements abordables
En off, les opérateurs et leurs partenaires industriels ou financiers, parmi les 400 participants à l’événement, pointent le flou ambiant. « Il y a une semaine, je voyais bien le Rassemblement National (RN) gagner avec une majorité relative. Aujourd’hui, je crois plus à une majorité absolue », confie un professionnel. « Les maires ne délivrent plus rien, ne répondent plus », se lamente un autre.
Une certitude : l’incertitude politique plombe un peu plus l’ambiance au sein de la famille des promoteurs, à la peine depuis fin 2022. « Nous devons reconstruire notre offre de logements avec la nouvelle donne économique, ce qui nous oblige à retrouver une forme d’efficacité que nous avions perdus, en raison principalement de la trentaine de normes qui se sont succédé ces dix dernières années », rappelle Virginie Leroy, présidente de Vinci Immobilier, l’un des poids lourds du marché engagé dans un plan social.
Parmi les plus pessimistes, Pascal Boulanger, président de la FPI, annonce lors d’une table ronde : « En 2024, la promotion finira entre -20% et -25% de réservations de logements par rapport à 2023, la pire année depuis que les statistiques existent. »
Norbert Fanchon, lui, s’est fait une raison : « Nous allons toucher le fond de la piscine en 2024 et nous y resterons jusqu’en 2027, à la fin du mandat présidentiel au cours duquel il n’y aura pas de relance du logement. » Hors logements individuels, le « socle du neuf en France » correspond à une production annuelle d’environ 80 000 appartements et maisons groupées, contre 160 000 en 2022, estime-t-il.
Adapter les effectifs au marché décroissant
Dans ce contexte décroissant, la réduction de la masse salariale doit se poursuivre. « Chez Gambetta cette année, la baisse des ventes s’élèvera à 40% par rapport à l’an dernier », chiffre Norbert Fanchon.
« Quel que soit le prochain ministre du Logement », Pascal Boulanger dit craindre le Nouveau Front Populaire (NFP) qui prévoit « un massacre fiscal des propriétaires » immobiliers.
Et la promesse du NFP de produire 200 000 logements sociaux par an ? « Pour y arriver, il faudra attendre 2027 ou 2028 » au regard des 82 000 agréments obtenus l’an dernier, souligne Norbert Fanchon, dont le groupe s’en remet actuellement à Action Logement et CDC Habitat pour écouler une partie de son stock.
Le dirigeant pointe également « les propositions fiscales en vrac » du RN et de la majorité présidentielle, comme l’exonération des droits de mutation à titre onéreux pour les primo-accédants. « Cela ne va pas changer la crise du neuf », insiste Norbert Fanchon.
« En matière de logement, le programme le plus favorable au secteur semble celui du RN », note de son côté Philippe Jung, citant « la suppression de l’impôt sur la fortune immobilière » ou encore « la facilitation des donations et successions ».
« Arrêter la course à l’échalote sur le foncier »
Anticipant une éventuelle cohabitation entre extrême-droite et majorité présidentielle, Emmanuelle Cosse, invitée en tant que porte-parole des bailleurs sociaux, veut renforcer les liens avec les élus : « D’ici les prochaines élections municipales en 2026, nous sommes capables de faire beaucoup de choses avec les collectivités » dirigées en très grande majorité par des formations autres que le Rassemblement National. « Un parti qui cible notre métier parce que nous logeons des étrangers et des Français d’origine étrangère, sans aucune discrimination », regrette-t-elle.
La présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH) suggère notamment de s’inspirer des « plans d’urgence » votés l’an dernier par les métropoles, de Lyon à Rennes, pour débloquer les programmes immobiliers privés qui ne trouvaient pas preneurs parmi les clients particuliers, désolvabilisés par la rapide hausse des taux entre mi-2022 et mi-2023.
A date, « plusieurs milliers » de logements sociaux à construire par les organismes HLM sont bloqués, selon elle. Côté promoteurs, Pascal Boulanger cite les « 11 200 logements retirés du marché en 2023 par un acteur national pour des raisons commerciales ».
Sévèrement touchés mais pas coulés, les promoteurs sont en train de changer. « Certains opérateurs vont arrêter la course à l’échalote sur le foncier, qui n’est pas saine pour le marché », espère Norbert Fanchon.
Les promoteurs peuvent aussi compter sur des alliés au profil varié pour tenir le choc : la Fédération française du bâtiment, la Fédération nationale de l’immobilier ou encore le réseau Procivis, membres de l’Alliance pour le logement, mais aussi le Conseil national d’évaluation des normes (Cnen). « Le logement est victime des normes de construction, mais aussi d’urbanisme et d’aménagement », déclare son président Gilles Carrez.
Les élus et représentants de l’Etat réunis au sein du Cnen doivent examiner « 300 textes par an », selon lui. « Ce déferlement (de normes, NDLR) me fait dire que notre pays est victime de schizophrénie », ose-t-il.
Devant un parterre de professionnels globalement remontés contre les derniers gouvernements, l’ancien maire et député de droite promet : « Il faut y aller à la hache, c’est notre volonté. » Applaudissements.
Les promoteurs de logements peuvent également compter sur les élus. « Ces derniers mois, nous n’avons jamais autant parlé de simplification », positive Amel Gacquerre, sénatrice UDI du Pas-de-Calais, appelant à traiter urgemment « la crise de la demande » et dans un deuxième temps à « rédiger une grande loi logement qui donnera enfin de la visibilité ».
En attendant les prochains débats parlementaires, les promoteurs naviguent plus que jamais dans le brouillard.