Les orientations de la révision des cahiers des clauses administratives générales (CCAG) marchés publics commencent à se dessiner. La Direction des affaires juridiques (DAJ) de Bercy amené une consultation via un questionnaire détaillé, adressé début mai aux acteurs de la commande publique, afin de recueillir leur avis sur les CCAG actuels et leur utilisation, ainsi que sur des propositions d'évolution de ces documents. Cette phase terminée, la DAJ va analyser les retours afin d'alimenter des groupes de travail qui plancheront en septembre sur les nouvelles moutures des cinq CCAG : travaux ; fournitures courantes et services (FCS) ; prestations intellectuelles (PI) ; marchés industriels (MI) ; et techniques de l'information et de la communication (TIC).
L'utilisation des CCAG scrutée
Pour mémoire, ces documents établissent les stipulations administratives applicables à chaque catégorie de marchés publics, à condition toutefois que les acheteurs s'y réfèrent expressément dans leurs pièces contractuelles. Selon Bercy, leur usage est très courant : « Près de 70 % des marchés publics [recensés] passés par l'Etat et plus de 99 % de ceux passés par les acteurs locaux font référence à un CCAG. » Leur dernière version date de 2009. Avec notamment, l'entrée en vigueur du Code de la commande publique le 1er avril, mais aussi les autres évolutions législatives, réglementaires ou jurisprudentielles intervenues en dix ans, une mise à jour s'impose. La DAJ souhaite aussi en profiter pour opérer une modernisation des documents. La lecture du questionnaire, support de la consultation, permet devoir quelles sont les principales évolutions envisagées.
De nouveaux CCAG ? Bercy étudie ainsi la possibilité d'ajouter une annexe à chaque CCAG, qui répertorierait tous les points sur lesquels un acheteur doit ou peut apporter des précisions ou des dérogations aux stipulations du CCAG, au sein de son cahier des clauses administratives particulières (CCAP).
Au passage, le questionnaire interroge les acheteurs sur le point de savoir si les champs respectifs de chaque CCAG mériteraient d'être revus, ou s'il serait nécessaire d'en créer de nouveaux. Le CCAG TIC était ainsi né lors de la réforme de 2009.
Certains praticiens aimeraient aujourd'hui disposer d'un CCAG conception-réalisation ou encore d'un CCAG marché global. La Mission interministérielle pour la qualité des constructions publiques (Miqcp) avait, de son côté, en 2010, proposé un cahier des clauses administratives applicables aux marchés de maîtrise d'œuvre dans la construction, élaboré à partir du CCAG PI. Bercy pose aujourd'hui clairement la question : faut-il créer un tel CCAG maîtrise d'œuvre ? D'autres besoins émergeront peut-être de la consultation…
Soutien de politiques publiques
De nombreuses modifications concerneront l'ensemble des CCAG. Tout d'abord, il faudra les nettoyer des références et termes obsolètes pour les remplacer par des renvois aux articles du Code de la commande publique et par le nouveau vocabulaire. Bercy soulève ensuite la question de poursuivre l'harmonisation du tronc commun des différents CCAG, menée lors de la refonte de 2009.
Accès des PME et développement durable. La démarche ne se cantonne pas à la forme. La révision des CCAG pourrait aussi venir appuyer les politiques d'accès des PME et TPE à la commande publique, en réécrivant les clauses relatives à l'exécution financière des marchés. Les acheteurs sont ainsi invités à donner leur avis sur la fixation de dispositions plus avantageuses pour les opérateurs économiques que ce qu'impose la réglementation concernant les avances et les retenues de garantie.
Les préoccupations liées au développement durable, aujourd'hui quasiment absentes, pourraient aussi venir teinter les nouvelles éditions. Le dispositif imaginé consisterait à introduire une clause par laquelle l'acheteur imposerait au titulaire du marché et, par ricochet, à ses sous-traitants, « d'adopter un comportement écores po ns able ou à devenir un acteur du développement social ». Un peu flou, pour l'heure. Mais il est également envisagé de revoir les articles du CCAG travaux relatifs au travail dissimulé et à la gestion des déchets.
Relations apaisées. Sont aussi soumises à réflexion les clauses relatives aux assurances, à la révision des prix ou encore aux pénalités de retard, dans le but d'apaiser les relations entre acheteurs et opérateurs économiques. Par exemple, la DAJ propose d'augmenter la dose de contradictoire : « Il pourrait être envisagé d'instaurer un mécanisme de mise en demeure préalable afin de permettre au titulaire de faire valoir ses observations sur les éventuelles raisons qui ont conduit le maître d'œuvre à constater un retard dans l'exécution des prestations. »
Dématérialisation debout en bout
La réécriture des CCAG pourrait aussi, air du temps oblige, prolonger le processus de dématérialisation de la commande publique. Si la phase de passation des marchés a basculé dans le zéro papier le 1er octobre dernier, seule la phase de facturation est ensuite soumise à cette obligation. Pourquoi ne pas prévoir dans le CCAG la dématérialisation du contrat lui-même, des bons de commande et ordres de service, etc. ? Les praticiens sont aussi invités à donner leur avis sur la pertinence de fixer, pour cela, le recours aux profils d'acheteur comme support de dématérialisation. Et, un an après l'entrée en vigueur du règlement européen sur la protection des données personnelles, la question de la « RGPDisation » des CCAG se pose inévitablement. Le questionnaire fait appel à l'inventivité des acheteurs pour la rédaction d'une clause spécifique visant à encadrer dans les marchés le traitement des données à caractère personnel et à prévoir, le cas échéant, des sanctions en cas de manquements.
Le CCAG travaux remodelé
Sur plusieurs sujets, le CCAG travaux est présenté comme un modèle dont certaines dispositions pourraient être reprises dans les autres, parfois en les améliorant. Concernant par exemple le traitement des litiges, le questionnaire suggère d'étendre aux autres cahiers la fixation d'un délai de recours contentieux, tout en complétant le CCAG travaux en la matière pour y ajouter untel délai pour les réclamations autres que celles portant sur le décompte général et définitif (DGD). Les modifications propres à chaque cahier sont par ailleurs détaillées par Bercy. Concernant le CCAG travaux, elles sont substantielles.
Ordres de service à zéro euro. Le CCAG travaux devrait incorporer la nouvelle disposition introduite par la loi Pacte du 22 mai 2019 dans le Code de la commande publique, visant à mettre fin à la pratique nuisible des ordres de service à zéro euro.
Autre difficulté qu'entend régler cette réforme : celle liée à la facturation électronique. Il est envisagé de préciser le rôle du maître d'œuvre, qui, pour rappel, récupère les demandes de paiement des entreprises via Chorus Pro et les dépose, avec son visa, dans le circuit dématérialisé. Or, des blocages peuvent survenir, quand le maître d'œuvre refuse d'intervenir dans Chorus Pro, n'étant lui-même pas (encore) concerné pour ses propres factures lorsqu'il est une TPE.
Incorporation de jurisprudences. Plusieurs décisions faisant jurisprudence pourraient également être ajoutées. Tout d'abord, celle relative à la levée des réserves une fois le DGD notifié par le maître d'ouvrage (, mentionné dans les tables du recueil Lebon). Il serait envisagé de « modifier la date d'établissement du DGD à une date où le montant des travaux nécessaires à la levée des réserves ou celui des préjudices du maître d'ouvrage sont connus ».
La célèbre jurisprudence « Région Haute-Normandie » (, tables du Recueil), relative à l'indemnisation de l'entreprise titulaire encas de retard dans l'exécution d'un marché à forfait, pourrait aussi être incorporée. Le Conseil d'Etat y indiquait que « les difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique ». Le CCAG travaux pourrait venir préciser les cas dans lesquels la responsabilité des entreprises et celle du maître d'ouvrage sont susceptibles d'être engagées.
Aléas encours d'exécution. Cette réforme sera également l'occasion de clarifier certaines clauses permettant aux acheteurs publics de faire face aux aléas qu'ils sont susceptibles de rencontrer encours d'exécution du marché. Tout d'abord, via la création d'une hypothèse d'acceptation implicite de la réfaction sur les prix. Cette réfaction remplacerait alors les réserves soulevées lors des opérations de réception lorsque des imperfections mineures seraient constatées. Ensuite, par l'introduction d'une hypothèse de défaillance d'un mandataire dans un groupement conjoint d'opérateurs économiques. Concrètement, pour éviter une situation de blocage à la suite d'un tel événement, il pourrait être envisagé de prévoir que le cocontractant énuméré en deuxième position dans l'acte d'engagement devienne par défaut le nouveau mandataire.
Cap sur 2020. La DAJ de Bercy vise « le début de l'année 2020 » comme objectif pour la rédaction des nouveaux CCAG. Un délai qui semble court au vu du temps mis pour opérer un travail similaire il y a dix ans…