Les modifications du marché par OS sont-elles soumises à l'obligation d'open data ?

Commande publique -

La mise en œuvre de la publication des données essentielles pose question lorsque ce sont les décisions du maître d'œuvre qui modifient le contrat.

 

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Les « données essentielles » relatives aux contrats de la commande publique, comme celles afférentes à leurs modifications, sont soumises à une obligation d'open data depuis le 1er octobre 2018. Ce dispositif récent est encore sujet à interprétation. La question se pose ainsi de savoir si cette obligation de publication, pesant sur le maître d'ouvrage, s'applique même lorsque, dans le cadre de marchés de travaux, les modifications sont décidées par le maître d'œuvre via des ordres de service (OS).

Droit de modification unilatérale. Pour mémoire, sous l'impulsion des directives européennes de 2014, en substituant le terme « modification » à celui d'« avenant », l' et le régissant le droit des marchés publics ont en effet implicitement consacré ce que la jurisprudence du Conseil d'Etat avait admis dès le début du XXe siècle (1) : la faculté pour les personnes publiques contractantes de modifier unilatéralement les contrats administratifs pour des motifs d'intérêt général.

Depuis le 1er avril 2019, le 4° de l' (CCP) dispose explicitement que, lorsqu'elle est une personne morale de droit public, « l'autorité contractante peut modifier unilatéralement le contrat dans les conditions prévues par le présent code, sans en bouleverser l'équilibre. Le contractant a droit à une indemnisation, sous réserve des stipulations du contrat ». Dès lors, les modifications susceptibles d'être apportées aux marchés publics, sur le fondement de l'un des six cas définis par l' et dans les conditions résultant des articles R. 2194-1 à 2194-8 du même code, peuvent se traduire aussi bien par la conclusion d'un avenant - sous réserve que les parties parviennent à s'accorder sur son contenu, ce qui est loin d'être toujours acquis - que par un acte unilatéral de l'acheteur.

La présente étude porte sur le cas défini par le 1° de l', lorsque « les modifications ont été prévues dans les documents contractuels initiaux ». L'article R. 2194-1 du même code précise que « le marché peut être modifié lorsque les modifications, quel que soit leur montant, ont été prévues dans les documents contractuels initiaux sous la forme de clauses de réexamen, dont des clauses de variation du prix ou d'options claires, précises et sans équivoque. Ces clauses indiquent le champ d'application et la nature des modifications ou options envisageables ainsi que les conditions dans lesquelles il peut en être fait usage. »

Le maître d'œuvre, auteur potentiel de modifications du marché…

Lorsque, en application des dispositions précitées des articles et du CCP, les modifications ont été prévues par les clauses du marché initial, un acte peut s'avérer nécessaire afin de traduire les amendements apportés au marché. Il peut prendre la forme d'une décision unilatérale. Les stipulations contractuelles en question peuvent d'ailleurs définir la forme que prendra l'acte modificatif et prévoir le recours à une décision ou acte unilatéral.

Le CCAG travaux liste de nombreux cas dans lesquels le marché initial est modifiable par le maître d'œuvre.

Les conditions fixées par le CCAG travaux. A ce titre, le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux (CCAG travaux [2]) comporte de nombreuses dispositions définissant les conditions dans lesquelles le marché initial peut être modifié par OS du maître d'œuvre, décisions unilatérales s'imposant, en principe, au titulaire du marché. Le maître d'œuvre est ainsi habilité à apporter les changements suivants au marché : - réalisation de prestations supplémentaires ou modificatives nécessaires au bon achèvement de l'ouvrage pour lesquelles le marché n'a pas prévu de prix (article 14.1 du CCAG) ; - fixation de prix nouveaux provisoires, après consultation du titulaire, permettant de régler les prestations supplémentaires ou modificatives susvisées (art. 14.4) ; - réalisation de travaux correspondant à des changements dans les besoins ou les conditions d'utilisation des ouvrages sous réserve que ceux-ci n'excèdent pas 10 % du montant contractuel (art. 15.2.2) ; - augmentation du montant des travaux par rapport au montant contractuel (art. 15.5) ; - changement dans l'importance de certaines natures d'ouvrages dans le cas de travaux à prix unitaires (art. 17.2) ; - prolongation du délai d'exécution contractuel consécutivement à des intempéries (art. 19.2.3) ; - autorisation de modifier la provenance des matériaux, produits, ou composants de construction prévus au marché et établissement des nouveaux prix en conséquence (art. 21.2) ; - désignation de lieux d'extraction ou d'emprunt des matériaux autres que ceux désignés au marché lorsque les gisements s'avèrent qualitativement ou quantitativement insuffisants (art. 22.1) ; - autorisation d'utiliser des matériaux, produits ou composants de construction d'une qualité différente de celle qui est stipulée contractuellement et établissement des nouveaux prix en conséquence (art. 23.3) ; - prolongation de la durée de la période de préparation des travaux, et du délai d'exécution du marché de la même durée (art. 28.1).

La définition par le CCAG travaux de ces prérogatives de modification unilatérale du contrat respecte l'exigence de précision posée par l' (définition du champ d'application, de la nature des modifications et des conditions de leur mise en œuvre).

Délégation du pouvoir de modification unilatérale. Quand bien même les ordres de service émanent du maître d'œuvre et non de l'acheteur (3), cette circonstance ne nous semble pas s'opposer à ce que les dispositions susvisées du CCAG travaux puissent valablement être regardées comme procédant de la catégorie des modifications prévues par une clause contractuelle.

En effet, les articles et du CCP n'imposent pas que, lorsque la modification prévue par le contrat donne lieu à un acte unilatéral, celui-ci émane du seul acheteur. Aucune disposition, ni aucun principe, ne semble interdire à l'acheteur de déléguer ses pouvoirs de modification unilatérale à un tiers, sous réserve que l'exercice de cette délégation s'inscrive dans le cadre défini par l'.

Par ailleurs, l'habilitation du maître d'œuvre à émettre des OS est expressément prévue par le 3° de l' et relève de la mission de direction de l'exécution des marchés de travaux qui lui est impartie par l'article L. 2431-2 de ce code. Au-delà de ces dispositions spécifiques issues de la , lesquelles, en vertu de l'article L. 2410-1, ne sont applicables qu'à certains des acheteurs soumis au code, l'acheteur est libre de déléguer au maître d'œuvre la direction de l'exécution des marchés publics de travaux et, à ce titre, de lui confier la prérogative de modifier unilatéralement le marché dans les conditions contractuellement définies.

… dont les données sont soumises à l'obligation de publication

Or, dans le cadre de l'ouverture de l'accès aux données de la commande publique prévue par l', l'article R. 2196-1 de ce même code impose à l'acheteur de procéder au reporting des données essentielles concernant les modifications des marchés publics répondant à un besoin dont la valeur est égale ou supérieure à 40 000 euros HT (4).

Sept données essentielles. Les données concernées par cette obligation d'open data sont définies par l'article 1, II de l'arrêté du 22 mars 2019 relatif aux données essentielles dans la commande publique (5) : « 1° La date de publication des données relatives à la modification apportée au marché public initial ; 2° L'objet de la modification apportée au marché public ; 3° La durée modifiée du marché public ; 4° Le montant hors taxes modifié en euros du marché public ; 5° Le nom du nouveau titulaire, en cas de changement de titulaire ; 6° Le numéro d'identifiant du nouveau titulaire, en cas de changement de titulaire ; 7° La date de notification par l'acheteur de la modification apportée au marché public. » Il est par ailleurs précisé que « les modifications résultant de la mise en œuvre des clauses de variations de prix sont dispensées de publication ». Il en résulte que, a contrario, toute autre modification est soumise à cette obligation. Ces données doivent être publiées sur la plate-forme de dématérialisation de l'acheteur (profil d'acheteur) dans les deux mois à compter de la date de notification de la modification (art. 5 de l'arrêté).

Champ d'application sujet à interprétations. Le champ d'application de l'obligation de publication des données relatives aux modifications du contrat porte tant sur celles résultant d'avenants que sur celles procédant de décisions unilatérales. Dès lors, s'agissant des marchés publics soumis au CCAG tra-vaux, la question se pose de savoir si les modifications du contrat opérées par OS du maître d'œuvre sont soumises à l'obligation de publication. La réponse peut prêter à discussion selon qu'est pris en considération le champ d'application matériel ou le critère organique définis par l'arrêté du 22 mars 2019.

Il faut organiser la remontée des informations utiles liées à la gestion du chantier auprès de l'acheteur.

En effet, en vertu des dispositions susvisées du CCAG travaux, les modifications susceptibles d'être décidées par le maître d'œuvre par OS recouvrent pour partie celles soumises à l'obligation de publication, telles que définies par l'arrêté du 22 mars 2019 (champ d'application matériel), à savoir la modification de la durée (6) et du montant du marché.

Par ailleurs, si l'on devait considérer que l'obligation de publication des données ne se limitait pas aux modifications affectant le montant, la durée ou le titulaire du marché (données qui pourraient être considérées comme étant les seules essentielles), mais visait d'une manière générale l'ensemble des modifications du marché (l'article 1er , II, 2° de l'arrêté imposant de publier « l'objet de la modification »), la totalité des modifications du marché émanant du maître d'œuvre en vertu du CCAG travaux serait alors soumise à l'obligation de publication.

En tout état de cause, il serait alors nécessaire de reconsidérer les modalités de communication entre l'acheteur et son maître d'œuvre et d'organiser la remontée des informations utiles liées à la gestion du chantier auprès de l'acheteur, en temps opportun, afin que celui-ci puisse procéder à la publication des données des modifications décidées par ordres de service.

Rôle du registre de chantier. Il y a là sans doute une occasion de (re)donner toute sa pertinence au registre de chantier dont la tenue est prescrite par l' : « L'ensemble des documents émis ou reçus par le maître d'œuvre, concernant le déroulement du chantier, est répertorié historiquement par le maître d'œuvre dans un registre de chantier signé contradictoirement par lui, et le titulaire ou chacun des membres, en cas de groupement […]. » Toutefois, une lecture alternative de l'arrêté du 22 mars 2019 pourrait tendre à considérer que, dans la mesure où le 7° du II de l'article 1er de ce texte fait référence à « la date de notification par l'acheteur de la modification apportée au marché public », les modifications contractuelles notifiées au titulaire par ordres de service du maître d'œuvre échapperaient au champ d'application organique défini par l'arrêté.

Appel à clarification. Cette dernière interprétation ne nous paraît pas satisfaisante à l'aune de l'objectif de promotion de l'open data relatif à l'exécution des contrats de la commande publique, et notamment à leur modification. On comprendrait difficilement les raisons pour lesquelles des modifications potentiellement importantes du marché seraient exonérées de l'obligation de publication et, donc, de transparence, au seul motif qu'elles n'auraient pas été notifiées au titulaire par l'acheteur mais par un tiers.

Une clarification sur ce point par la Direction des affaires juridiques de Bercy pourrait être opportune, voire une modification de l'arrêté du 22 mars 2019, nécessaire.

Précisons qu'il convient de prendre en compte le montant du besoin tel qu'il résulte de l'attribution des marchés concernés, et non de son estimation par l'acheteur.

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