Les fabricants passent en mode « push »

Longtemps, le polyuréthane ne séduisait guère les ingénieurs du secteur de l’enveloppe, son intérêt se limitant au chauffage par le sol. À présent, les usines tournent, les commerciaux sont à l’œuvre, le marché s’anime. Mais attention à la guerre des prix !

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C e n’est pas un produit nouveau. Inventé dans les années 1930 par Bayer, le polyuréthane (PU) devra attendre les années 1950 pour voir ses premières applications commerciales. Les pionniers de la plaque isolante bâtiment sont Efisol (à l’époque SIS), un temps filiale d’Elf Aquitaine, en 1964, et la société belge Recticel (également présente dans les polyuréthanes pour la literie et l’automobile).

Le paysage industriel actuel émerge lorsque Knauf réoriente la production de son usine d’Auxerre vers cette spécialité en 2005. Toujours dans l’Yonne, à Saint-Julien-du-Sault, Efisol installe sa production en 2006, où il dispose aujourd’hui de cinq lignes (15 à 18 millions de m² par an). Leader du marché, il est racheté en 2010 par Soprema avec lequel il fusionne deux ans plus tard. La même année, Recticel, qui ne produisait pas encore d’isolants en France, annonce la construction d’une usine (inaugurée en 2013) à Bourges, dans le Cher. Puis l’histoire s’accélère.

En 2014, Unilin, filiale du groupe américain Mohawk, investit 25 M€ dans une unité de production (d’une capacité de 5 millions de m²) à Sury-Le Comtal (Loire). Elle sera suivie par la société canadienne Iko Enertherm, et son usine de polyisocyanurate (PIR) à Combronde (Puy-de-Dôme). Spécialiste du bardeau, Iko est un acteur de l’étanchéité (notamment via son usine Meple à Tourville-la-Rivière, en Normandie). Il est aussi présent en France via sa filiale Roofmart, négociant toiture. Enfin, le groupe irlandais Xtratherm - qui a créé une filiale commerciale en France en 2014 - construit actuellement une usine PIR en Wallonie. Par ailleurs, il propose des panneaux de mousses phénoliques (comme Kingspan ou Weber). Et c’est ainsi que la production française a plus que doublé en deux ans.

La bataille de la dalle à plots

Cette floraison d’usines est due aux perspectives (et à la croissance passée) du marché de l’isolation, à quoi il faut ajouter des orientations stratégiques d’industriels. Par exemple, Recticel, confronté au marasme des branches literie et automobile, a identifié dès 2010 l’isolation comme priorité. L’exemple de pays comme la Grande-Bretagne, où le polyuréthane représente 25 à 30 % du marché de l’isolation, justifie également les espoirs des industriels qui voudraient bien reproduire ce modèle en France. Pour ce faire, ils se lancent dans une stratégie de l’offre plus offensive, notamment en gagnant de nouveaux segments d’usage.

Jusqu’alors, le marché fonctionnait grâce à la croissance de la demande (ainsi qu’à la prescription). Or, au-delà de la conductivité thermique, le PU dispose de sérieux avantages : légèreté, faibles perméabilité et compressibilité, moindre épaisseur à R égal ou encore faible dilatation à la chaleur. Ces atouts lui ont permis de s’imposer sur des niches, tout d’abord en toiture. Selon le Syndicat national du polyuréthane (SNPU), il serait actuellement « le matériau le plus couramment utilisé pour l’isolation de toitures-terrasses en support des revêtements d’étanchéité ». « Les grands étanchéistes sont les premiers à s’être convertis au PU », note Yves Pélissier, délégué général du SNPU. Ce matériau grignote aussi les toitures inclinées dévolues à la laine de roche. « Sa légèreté permet d’alléger les structures métalliques », explique Philippe Henrot, PDG de Recticel France, qui axe sa stratégie sur la rénovation. Avec deux approches commerciales : pour les gros chantiers, telle la rénovation de centres commerciaux, « nous travaillons historiquement en direct avec les grands étancheurs ou des partenaires de longue date comme Samse ou Queguiner. En revanche, pour le marché diffus, nous nous appuyons sur le circuit négoce ».

En revanche, bien qu’étancheur lui-même, Soprema (Efisol) passe à 100 % par le négoce. « Même nos agences travaux ne sont pas servies en direct », affirme Matthieu Lechantre, directeur commercial et marketing de Soprema. Pour les toitures en pente de maisons (groupées notamment), le PU a émergé aussi à travers des applications comme les panneaux de toiture (spécialité de base d’Unilin).

À partir des années 2000, le PU opère une percée sur le créneau du sol. En effet, les acteurs du marché se sont avisé que le PU (isolant de dalle sous chape) pouvait servir de support de plancher chauffant…Au grand dam des dalles à plots en PSE, intégrées dans des offres systèmes (dalles, tubes, système d’accrochage) par les systémistes du plancher chauffant (Acome, Réhau…). Dès lors, une plaque PU au très large spectre d’utilisation - en l’occurrence le TMS (toit-mur-sol) d’Efisol soutenu par les généralistes en matériaux - a bousculé le produit système très finalisé de la dalle à plots (vendue chez les grossistes sanitaire-chauffage). Aujourd’hui, le PU compte pour au moins 50 % du marché en sol, là où le PSE en détenait 90 % il y a quinze ans. D’ailleurs, pour Efisol, le sol est encore le premier débouché, devant la toiture sous étanchéité.

Un marché « plus agressif »

L’expansion des capacités de production rebat donc les cartes. Les entreprises ne sont plus seulement dans une logique de création de la demande, mais de « push-marketing » pour écouler les volumes sortant d’usines à process continu. « Tant que la production se vendait et que nous n’avions pas de capacités de production, nous n’avions pas non plus de capacités commerciales à mobiliser. À présent, les volumes sont là : il faut plus de distribution, plus de communication », selon Philippe Henrot. Mais aussi plus de marketing produit, avec pour cibles le diffus, les propriétaires de maison individuelle attirés par le crédit d’impôt pour la transition énergétique (Cite), et même le circuit des grandes surfaces de bricolage (GSB).

Le toit (des maisons individuelles) reste un marché clé, comme pour tous les acteurs de l’isolation. Si la laine de verre règne sur l’isolation des combles, le PU met en avant des solutions par l’extérieur comme le sarking ou les panneaux de toiture. « Nos solutions sont mal connues du public. Nous développons des actions marketing B to C to B, via le Web, mais, en aval, il faut organiser un réseau de poseurs s’approvisionnant via le négoce », explique Florent Goumarre, directeur du marketing d’Unilin. Une démarche comparable à celle suivie par Recticel.

Le mur est un marché à conquérir, en isolation thermique par l’extérieur (ITE), mais aussi en intérieur (ITI). Unilin a ainsi lancé Isocombo (associant PU et laine de verre), l’argument fort du PU sur l’ITI étant les épaisseurs réduites à R égal. Elles permettent des gains d’espaces non négligeables en rénovation comme en neuf, notamment dans les villes où la pression immobilière valorise le moindre mètre carré.

Le marché offre donc des opportunités, qu’en est-il des menaces ? La principale est la guerre des prix. Certes, elle favorise l’essor de la demande, car le PU est plus cher au mètre carré que les autres isolants, mais elle est aussi destructrice de marges pour la distribution. La menace est réelle, compte tenu de l’effet de ciseau : montée en régime des capacités de production et stabilisation des surfaces posées en France depuis 2014. À l’évidence, un cap est à passer jusqu’à la reprise dans le neuf) et la montée en régime du Cite en rénovation. Certaines usines ne tournent qu’à 50 % de leur capacité (ce qui n’a encore rien d’alarmant, compte tenu de leur implantation récente). À dire vrai, cette guerre des prix est déjà avérée, en parti- culier sur le segment CMIste. « Espérons qu’elle soit la plus courte possible », confie un industriel.

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