L'an dernier, la moitié des effectifs cadres ont bénéficié d'une augmentation de 2,5 % du salaire brut annuel, la moitié des agents de maîtrise, d'une augmentation de 2,7 %, et les employés et ouvriers, de 2,9 % (voir tableau). Compte tenu de la situation économique du BTP, cela n'est pas si mal mais reste, il est vrai, en retrait par rapport au secteur de l'industrie française, indique Towers Perrin ( + 3,5 % en valeur médiane).
Cette donnée globale cache de très fortes disparités. Ainsi, l'enquête du Moniteur sur les salaires du BTP montre que, l'an dernier encore, certaines entreprises ont complètement gelé les salaires de toutes leurs catégories de salariés, preuve que la situation des entreprises ne va pas en s'améliorant. D'autant que des accords sur les salaires minimaux interviennent dans les régions, voire les départements, et que ceux-ci ont en général un effet mécanique auquel il existe peu de moyens d'échapper.
Dans certaines régions, ces accords n'ont pu être reconduits depuis la fin de l'année 1995. Ces « minima », comme on les appelle dans les entreprises, concernent bien souvent les derniers embauchés. Voilà un moyen de limiter les charges salariales qui pèsent lourd dans le bilan d'une entreprise de construction. Car il faut bien le rappeler, la construction reste une industrie de main-d'oeuvre. « La masse salariale d'une entreprise de BTP est très significative par rapport à son chiffre d'affaires, rappelle Yves Laqueille, directeur des ressources humaines de Quille (filiale de Bouygues, 1 300 salariés, 1,8 milliard de francs de chiffre d'affaires). Et le niveau de résultat est faible, rapporté au chiffre d'affaires. »
Vers l'attribution des augmentations « au mérite »
Une majorité des grandes entreprises du BTP pratique à la fois les augmentations générales avec des hausses de salaire individuelles. Une entreprise sur trois en ce qui concerne les cadres supérieurs, une sur deux pour les autres cadres. Les salariés non cadres sont augmentés de manière collective dans 80 % des sociétés. Aucune des entreprises interrogées dans notre enquête n'accorde d'augmentation générale seule. Cette pratique s'accompagne systématiquement d'une distribution individualisée, dite « au mérite ». C'est d'ailleurs une caractéristique du BTP, puisque dans les autres secteurs, selon Towers Perrin, seulement 34 % des entreprises adoptent cette position vis-à-vis des cadres, et 65 % pour les non-cadres. Mais le panachage n'est plus la règle aujourd'hui. La politique des entreprises glisse petit à petit vers l'individualisation des appointements.
Faute de moyens financiers souvent, par conviction parfois, bon nombre des sociétés du BTP mènent des politiques salariales totalement individualisées. Jean-Claude Appert, directeur général de l'entreprise de travaux Amica, reconnaît que le système qui consiste à utiliser à la fois les augmentations générales et individuelles constitue « le meilleur choix », mais objecte des difficultés de négociation avec les représentants des salariés qui réclament que l'augmentation générale compense au moins l'inflation, et qu'ensuite les augmentations individuelles prennent le relais. « Aujourd'hui, cela entraînerait une hausse prohibitive de la masse salariale. Par conséquent, en 1997, nous avons prévu d'individualiser totalement les rémunérations. Cette politique signifie sans doute que nous ne signerons plus à l'avenir d'accord salarial faute de pouvoir s'entendre. »
Chez SEEE, l'heure est également à l'individualisation afin de contrôler la progression de la masse salariale. « Cette politique se justifie plus pour les cadres et les Etam (1) que pour les ouvriers », reconnaît Michel Eisenberg, le chef du personnel. Très logiquement, plus on occupe un poste élevé dans la hiérarchie, plus la variation du salaire est individualisée. Une tendance vraie quel que soit le secteur économique considéré, y compris le BTP.
La part variable du salaire
Chez Quille aussi, l'heure est à l'individualisation, mais « dans le cadre d'une politique de ressources humaines déterminée », précise Yves Laqueille. Cela nécessite une plus grande formalisation des relations entreprise-salarié. « Nous pratiquons chez Bouygues l'individualisation des salaires au mérite depuis très longtemps, explique François Jacquel, animateur et coordinateur des politiques salariales et sociales du pôle BTP, sous réserve du respect des minima. Nous avons mis au point des conférences appointements qui ont lieu deux fois dans l'année. Les salaires peuvent être réévalués à cette occasion. Ces "conférences" sont déconnectées de l'entretien annuel, et une non-augmentation n'est pas forcément une sanction... »
Le salaire d'une grande majorité du personnel d'encadrement comporte une partie variable. « Elle est liée à l'attribution de primes de rendement, d'assiduité, de productivité, etc., explique-t-on à la Fédération nationale du bâtiment. Elle n'est que rarement formalisée, mais le principe est assez général. » Ainsi, 80 % des entreprises l'utilisent à destination des cadres, 60 % pour les agents de maîtrise contre seulement 27 % pour les ouvriers. En moyenne, cette partie variable a atteint 12,8 % du salaire annuel de base des cadres supérieurs (10 % en valeur médiane), 6,3 % pour les autres cadres (5,5 % en valeur médiane) et 4,7 % pour les agents de maîtrise (4 % en valeur médiane).
La partie variable du salaire dépend en grande partie du bon vouloir des entreprises. Elle n'est formalisée que pour 33 % des cadres supérieurs qui en bénéficient, pour 42 % des cadres, pour 33 % des agents de maîtrise et pour 25 % des ouvriers. Pour les autres, la grande majorité, elle reste distribuée d'une manière « informelle, voire discrétionnaire», souligne le cabinet Towers Perrin. Le recours aux primes répond à une logique individuelle et éphémère. Les primes s'ajoutent à la masse salariale, mais ne sont pas acquises. «L'augmentation salariale relève de l'avenir, alors que la prime est tournée vers le passé, précise Michel Eisenberg, chef du personnel de l'entreprise de travaux électriques SEEE. Chez nous, les primes sont distribuées début janvier, en même temps que les augmentations. Elles constituent une récompense pour l'année écoulée, alors que l'augmentation est à venir. »
Participation et intéressement : pas suffisamment motivants
Mais ce système possède ses défauts, et bon nombre d'entreprises veulent diminuer des primes qui ne servent parfois qu'à «faire passer les restrictions salariales » , concède un dirigeant. D'autant que les études de prix étant ajustées au mieux, il devient difficile d'augmenter l'efficacité sur les chantiers, efficacité dont découlent les primes...
L'intéressement est un outil largement sous-employé dans le BTP. A cela deux raisons : l'existence bien souvent d'un système de primes et la difficulté actuelle des entreprises à dégager des bénéfices. D'autant que, quand ils existent, ces bénéfices restent faibles par rapport à la masse salariale dans une industrie de main-d'oeuvre.
Cette dernière caractéristique se vérifie notamment au regard de la participation, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés. Alors que la somme partagée en 1995, pour les sociétés bénéficiaires, au titre de la participation représentait 1,2 % de la masse salariale globale en valeur médiane, elle n'est plus que de 1 % en 1996. Et, parallèlement, le nombre de sociétés capables d'en faire bénéficier ses salariés est en régression. C'est une conséquence de la mauvaise passe du BTP. «La participation ne peut pas être un élément de rémunération dynamique quand les bénéfices ne sont pas au rendez-vous ou restent très peu élevés, explique Yves Laqueille. Par ailleurs, beaucoup d'entreprises étant des filiales de groupe, les bénéfices se consolident à un échelon supérieur. La conjoncture économique fait que les bénéfices des unes compensent les pertes des autres...»
L'intéressement, qui procède d'une démarche volontaire de l'entreprise, suit la même tendance. Pourtant, la marge de manoeuvre est plus grande, la formule de calcul de celui-ci relevant d'un accord avec les salariés ou leurs représentants. Les responsables des ressources humaines avouent bien souvent envisager cette solution peu utilisée à ce jour. A terme, il y a fort à parier qu'au système de primes du BTP se substitue l'intéressement. Il est plus avantageux pour l'entreprise puisqu'il n'alourdit pas la masse salariale et peut être déduit du résultat imposable. Pour le salarié, le partage serait, ainsi, plus formalisé. Sur le plan politique, l'intéressement joue le même rôle que les primes puisqu'il s'agit d'intéresser le salarié aux bonnes performances de l'entreprise. Reste à étudier une distribution personnalisée de l'intéressement en fonction des catégories de salariés. La loi le permet et les entreprises y sont attachées... L'an dernier, le montant médian de l'intéressement a atteint 1,4 % de la masse salariale des entreprises qui disposaient d'un accord, contre 2 % lors de l'exercice précédent. Selon notre enquête, elles ont été moins nombreuses à distribuer un intéressement qui frisait 0,3 % du salaire en valeur minimale et 2,3 % en valeur maximale.
Une attention particulière à l'encadrement de chantier
Un conducteur de travaux, un chef de chantier, un ingénieur d'études de prix ou un acheteur (cadre) restent des salariés essentiels au bon fonctionnement de l'activité. L'efficacité de l'entreprise sur le terrain dépend de leur performance. Par ailleurs, les compressions d'effectifs qui se sont généralisées dans le BTP ont accru la charge de travail de l'encadrement. «Notre effectif moyen est aujourd'hui plutôt aligné sur les creux d'activité que sur les crêtes comme par le passé, reconnaît Michel Eisenberg. En conséquence, la charge de travail pour les opérationnels est constamment importante, ce qui justifie une attention particulière. »
D'une manière générale, la politique salariale de l'entreprise veille à ne pas démotiver ces forces vives d'encadrement de chantier dont dépend si directement la performance de l'ensemble de la structure. Cela ne veut pas dire qu'elles doivent toujours faire l'objet d'un traitement particulier. L'enquête mesure néanmoins une évolution du salaire de cette catégorie d'employés de 4 % à 7 % entre 1995 et 1997...
La plupart des entreprises déclarent vouloir mettre en place une gestion plus individualisée des ressources humaines par objectifs. Elles expriment simultanément le besoin de développer la communication interne (53 %), preuve que l'entreprise a du mal à faire passer ses messages auprès des salariés. Cet objectif était déjà cité parmi les principales actions à mettre en oeuvre dans notre enquête il y a deux ans. Le climat social reste donc tendu. Ces entreprises veulent également individualiser les bilans sociaux. Le souci est alors de mieux partager la connaissance des coûts salariaux, tout en favorisant l'individualisation de la politique sociale, y compris du salaire.
(1) Employés techniciens et agents de maîtrise.
TABLEAUX
Augmentations globales 1996 - Pédale douce sur les augmentations
Les salaires ont été en grande majorité réévalués dans les grandes entreprises. Aux extrémités cependant, certaines ont complètement gelé les salaires et d'autres ont probablement rattrapé un retard accumulé au fil des années.
Sommes versées en pourcentage de la masse salariale au titre de la participation en 1996 - La participation de plus en plus faible
La participation diminue et se ressent de la difficulté des entreprises à dégager des bénéfices.
Pratiques d'augmentations salariales des entrprises en 1996 - Une hiérarchie individualisée
Les grandes entreprises du BTP sont farouchement opposées à la seule politique d'augmentation généralisée. Mais beaucoup d'entre elles ont encore panaché, l'an dernier, des augmentations de type générales avec des relèvements à titre individuel. La tendance à l'individualisation progresse.