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-Le CITE et sa transformation en "prime Hulot"
En matière d’assurance-construction, les difficultés et défaillances d’acteurs en libre prestation de services (LPS), concernent vos adhérents. Vous annonciez la semaine dernière au Moniteur le lancement d’une offre, par les 3 assureurs mutualistes, d’une offre de décennale, permettant aussi de « reprendre » une partie de l’assurance de chantiers déjà réalisés. Quelle sera la durée de sa rétroactivité ?
Certains assureurs ont profité d’une situation difficile de nos artisans et entrepreneurs pour faire du low cost, en proposant des garanties décennales à prix cassé. Nous avions pourtant alerté nos adhérents sur ces compagnies à bas coût, qui méconnaissent le régime décennal français. Et, suite aux difficultés ou défaillances de plusieurs assureurs opérant en libre prestation de service (LPS) survenues ces derniers mois, beaucoup de professionnels se retrouvent aujourd’hui dans une situation délicate : à défaut de couverture, ils pourraient être amenés à régler eux-mêmes les sinistres éventuels à la place de leur assureur défaillant. De nombreuses faillites sur le marché seraient alors à craindre dans les prochains mois ou années, alors même que le bâtiment connaît enfin une reprise marquée.
Notre rôle, en tant que fédération, face à une situation de crise de cette ampleur, est de trouver des solutions pour nos adhérents. Nous avons donc demandé à trois assureurs mutualistes (l‘Auxiliaire, CAM et SMABTP) de réfléchir à la création d’une offre pour réassurer les entreprises pénalisées par les défaillances des compagnies d’assurance low cost sur lesdeux dernières années écoulées. Cette solution d’assurance rétroactive devrait pouvoir couvrir la plupart de nos adhérents, moyennant le paiement d’une nouvelle prime. En tant que fédération professionnelle, nous ne pouvions pas laisser de côté des professionnels qui se sont fait piéger de bonne foi.
Quelle conjoncture anticipez-vous pour 2018 ?
2018 devrait être une bonne année, nous tablons sur une croissance d’activité de 2,5%. Néanmoins, les premiers signes de tassement se font ressentir puisque, l’an dernier, nous avions enregistré une hausse de 5%. La baisse des ventes de logements neufs, le manque de visibilité de financement pour les bailleurs sociaux, aussi bien dans le neuf que dans la rénovation, devraient conduire à un fléchissement de l’activité à partir de fin 2019.
À nos inquiétudes sur le marché du logement social s’ajoutent nos craintes liées au rabotage du PTZ et à la suppression du Pinel en zone B2 et C. Certes, dans le non-résidentiel, les résultats sont meilleurs. Mais le volume reste toutefois inférieur de 20% à la moyenne de ces trente dernières années. Quant au marché de l’amélioration-entretien, il se redresse un peu mais ne décolle toujours pas.
Comment se porte l’emploi ?
Le secteur du bâtiment a créé près de 20 000 postes sur l’ensemble de l’année 2017, soit une progression de 13,1% par rapport à 2016. Les embauches se sont même accélérées au cours du 4e trimestre, avec 31 000 emplois créés, en glissement annuel. La filière devrait embaucher 30 000 personnes en 2018. Mais il devient difficile de recruter. Nous observons par exemple un phénomène de refus à l’embauche de certains intérimaires qui, dans un contexte tendu, préfèrent garder ce statut pour bénéficier, par exemple, de l’indemnité de fin de mission.
Un autre phénomène me préoccupe, qui est lié au grand écart qui se crée entre les métropoles et les territoires moins dynamiques : les entreprises envoient leurs travailleurs vers les zones tendues où se concentre l’activité. Cela provoque des problèmes en termes de temps de déplacement, de coût de ceux-ci et a pour conséquence de rendre le travail plus difficile. Nous insistons sur le fait qu’il faut maintenir l’emploi au niveau local. Notre activité est un élément essentiel dans l’aménagement du territoire.

Quelle est votre position sur la réforme de la formation entreprise par le gouvernement ?
Le projet de loi permet des avancées pour les entreprises. Ce sera plus simple pour les entreprises avec une seule contribution formation qui devrait diminuer progressivement. Le texte prévoit également d’augmenter le temps de travail maximum pour les apprentis mineurs, et simplifie la rupture du contrat d’apprentissage, ce qui était des demandes récurrentes de la FFB.
Par ailleurs, on peut se féliciter d’une plus grande clarté dans les circuits financiers. En particulier l’argent de l’alternance sera totalement dédié à l’alternance ; le système de mutualisation mis en place permettra également au Bâtiment d’avoir les moyens de continuer à former un nombre important d’apprentis. On peut cependant regretter une trop forte étatisation du système. Nous aurions également espéré plus de responsabilité pour les branches dans l’élaboration des référentiels.
Que pensez-vous de la mouture du projet de Loi Elan ?
Il y a une forme de continuité de l’Etat dans cette volonté de créer un choc de l’offre. Mais les effets du projet de loi Elan ne se feront ressentir que d’ici 4 à 5 ans. Je constate que, aujourd’hui, le prix des logements est trop élevé, alors même que le coût de la construction de celui-ci représente aujourd’hui moins de 50%. Ce que je constate aussi, c’est que deux postes ont connu une forte inflation lors de ces 8 années de crise : le coût du foncier et la fiscalité immobilière qui frappe nos entreprises. A mon sens, c’est sur ces leviers que le gouvernement doit agir.
« Construire mieux, plus vite et moins cher », prône le gouvernement. Avez-vous des solutions ?
Pour l’instant nous restons une industrie de main d’œuvre. Si l’on veut construire moins cher, il faut réduire le coût de la main d’œuvre ou le nombre d’heures. Je partage l’idée de construire vite et moins cher, mais davantage dans une approche de processus industriel. Le BIM peut y participer en facilitant l’optimisation des projets et en réduisant les erreurs et les délais de construction.
Mais je ne suis pas de ceux qui croient au miracle. Construire plus vite passe par une augmentation de la part de la préfabrication des éléments. Et c’est là où le numérique et l’innovation prennent tout leur sens. Une des conséquences du BIM, c’est que l’ensemble des acteurs du bâtiment vont devoir travailler en amont et c’est l’un des gros points faibles de notre filière. Le BIM doit redonner du temps à la préparation. Mais attention à ce que la maquette numérique ne soit pas l’apanage de quelques-uns. Et qu’on arrête de vouloir rendre obligatoire le BIM ou de créer des labels ou certifications. Le BIM va devenir tellement pertinent qu’il s’imposera naturellement de lui-même. Il faut simplement laisser le temps à la filière de se former et de s’équiper.

Sur la limitation des recours, Elan est-il au niveau, selon vous ?
Nous soutenons les mesures en faveur de la limitation des recours contre les autorisations de construire. Mais pour véritablement éviter les dérives, il faut aussi que l’Etat donne les moyens aux services instructeurs d’étudier le dossier de permis de construire dans le délai imparti.
« La fenêtre est le point d’entrée d’une démarche de rénovation énergétique »
Le CITE sera transformé en 2019 en « primes ». Etes-vous toujours critique vis-à-vis de ces dispositifs tels qu’ils sont conçus ?
Sur l’assiette globale de ces dispositifs, le gouvernement va à l’encontre de ses propres objectifs en matière de transition énergétique. Je pense à l’exclusion du CITE pour les fenêtres et les fermetures. A la FFB, nous avons toujours affirmé que c'était une erreur car la fenêtre est le point d'entrée d'une démarche de rénovation énergétique. Nous avions pourtant proposé des mesures lisibles, par exemple de recentrer le CITE sur le remplacement du simple vitrage. C'est dans les habitations équipées de simple vitrage que la précarité énergétique est la plus importante ! Cette mesure aurait permis de réaliser 700 millions d'euros d'économie au lieu de 900 M€. Nous n’avons pas été entendus.
Mais nous comptons bien en reparler à l'occasion de la prime Hulot, qui doit se substituer au CITE en 2019. Tout le monde reconnaît que l’on s'était trompé en assurant que le montant des travaux serait amorti par les économies d'énergies générées. Compte tenu du prix de l'énergie aujourd'hui, ce n'est pas vrai. Seule une politique incitative forte permettra d’atteindre les objectifs fixés par les pouvoirs publics. Que le gouvernement ne fasse pas de grandes déclarations sur la transition énergétique s’il est incapable, budgétairement, d’accompagner cette transition.
Le mécanisme de la prime vous satisfait-il ?
Oui. Le mécanisme de la prime est beaucoup plus simple, lisible et incitatif. En revanche, pour atteindre les objectifs de transition énergétique, il faut qu'il y ait une politique d'incitation massive. Or, l'annonce de fixer le budget de la prime Hulot à 900 millions d'euros va réduire de moitié le volume des travaux.