Les solutions préconisées par les professionnels de l’eau douce ne conviennent pas forcément aux utilisateurs des eaux de mer. « La réutilisation des eaux usées traitées, ou ReUT, peut présenter des inconvénients. Faute d’eau saumâtre en provenance des fleuves, la croissance des huîtres et des moules a diminué de 15% pendant la sécheresse de 2022 », alerte Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire Bretagne, lors d’un webinaire sur « l’étreinte terre mer menacée », organisé le 4 juillet par Idealco dans le cadre de ses « rendez-vous de l’eau ».
La ReUT, une menace pour les huitres
Privés des débits issus des stations d’épuration, les conchyliculteurs et ostréiculteurs constitueraient des victimes collatérales d’une filière de recyclage pourtant identifiée comme un vecteur majeur du plan eau. La vigilance du comité de bassin s’exerce particulièrement sur le plus grand fleuve breton : la station d’épuration de Rennes Métropole donne son débit à la Vilaine, source des nutriments nécessaires à l’écosystème de l’estuaire.
L’évocation du ReUT a illustré le fil conducteur du webinaire : seul le décloisonnement des compétences et des périmètres d’aménagement peut sortir les écosystèmes estuariens des risques environnementaux.
Des cloisons à abattre
Le plan paysage de la métropole de Marseille Aix Provence le confirme. « Les espaces dégradés se concentrent dans les interfaces, comme le montrent les zones commerciales de la France moche, dans les entrées de ville. Ce phénomène se vérifie aussi sur les littoraux », analyse Florence Hannin, cheffe du service Paysage et aménagement.
Pour transformer les délaissés en écotones, vecteurs de biodiversité et de bien-être, elle identifie deux freins à débloquer : technicisation et sectorisation. La compétence métropolitaine en gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations a ouvert la voie du décloisonnement. Le plan paysage s’engouffre dans la brèche. Du massif de la Sainte-Baume aux zones commerciales de Marseille, le réaménagement du fleuve côtier Huveaune en traduira les dimensions écologiques et esthétiques.
Réseaux déficients
L’analyse de Florence Hannin converge avec celle de Thierry Burlot : « L’eau n’est pas un sujet technique. Elle renvoie aux notions de patrimoine, de bien commun, de culture et de projet de société », martèle l’intervenant vedette du webinaire du 4 juillet.
Levier le plus directement accessible aux collectivités locales, le fonctionnement des réseaux d’assainissement laisse souvent à désirer, selon ce protecteur institutionnel de la ressource : « Avec les 475M€ par an issus du plan Eau qui s’ajoutent à une capacité annuelle d’investissement de 2M€, les agences détiennent les moyens financiers. Mais s’agit-il d’une priorité pour les collectivités » ?
Les algues vertes dans l’impasse
Thierry Burlot confie ses doutes, à la lumière des 180 débordements observés après les récents événements pluvieux dans la baie du Mont Saint-Michel : « On connaît les causes. La mise en conformité constitue une nécessité absolue », insiste le président, « effrayé par la survivance inacceptable de réseaux unitaires », incapables de collecter à la fois les eaux usées et pluviales.
Fatalement, la pollution organique des cours d’eau breton a conduit les débatteurs vers les algues vertes. Un bilan d’étape apparemment rassurant cache une impasse : « Première région d’Europe touchée par le contentieux nitrate, la Bretagne est aussi la première à en être sortie », rappelle Thierry Burlot. Mais le passage sous le seuil de 50 mg/l ne suffit pas : « Descendre de 100 à 50 voire à 30, on sait. Mais aller jusqu’à 10 sans mettre fin à l’activité agricole, cela reste un défi énorme », concède le président.
Pour une autorité terre mer
Face à cette situation, l’établissement public territorial du bassin de la Vilaine s’avoue démuni. « On s’est focalisé sur les 50 mg, c’est-à-dire une norme administrative, mais pas un objectif environnemental. Les eaux vertes et gluantes repoussent toujours les touristes. Outre l’impact sur les estuaires, les nitrates font prospérer les cyanobactéries dans les retenues d’où proviennent les ¾ de notre eau potable », constate Anthony de Burghrave, chargé de la qualité de l’eau et de la protection de la ressource.
Envisagé dans le projet de révision du schéma d’aménagement et de gestion des eaux de la Vilaine, l’objectif de passer sous le seuil de 35 mg/l se heurte toujours à l’opposition des agriculteurs.
L’inadaptation des normes générales aux situations particulières alimente le plaidoyer de Thierry Burlot : « L’interface terre mer nous ramène à la complexité de l’eau et aux dégâts du cloisonnement. On ne se parle pas car toi littoral et moi eau douce. Tant qu’on donne du mal au fleuve, il produira du mal sur l’estuaire ». Pour sortir du cercle vicieux, il rêve d’autorités locales qui géreraient les eaux douces et salées des littoraux, pour porter une vision et une ambition.