Jurisprudence

Les déblais issus de travaux sur la voie publique sont des déchets

Environnement - Le Conseil d'Etat clarifie la distinction entre sols pollués et déchets. Une décision défavorable au maître d'ouvrage, rendu responsable de leur traitement.

 

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Environnement
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2020/06/29N°425514

La frontière entre la notion de terre polluée et celle de déchet est ténue. Pourtant, elle requiert la plus grande vigilance des acteurs au cours de chantiers de construction ou d'aménagement tant les enjeux financiers et juridiques sont importants. Dans un arrêt récent, le Conseil d'Etat a précisé que le maître d'ouvrage réalisant des travaux sur la voie publique a la qualité de producteur de déchets et encourt ainsi les responsabilités correspondantes (, mentionné dans les tables du recueil Lebon).

Une ancienne controverse juridique

Initialement, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avait considéré dans un arrêt « Van de Walle » du 7 septembre 2004 (affaire C-1/03) que des terres polluées, même non excavées, devaient être considérées comme des déchets.

La conséquence en était l'application de la réglementation relative aux déchets qui rend responsable leur producteur ou leur détenteur. Lequel peut être en pratique le propriétaire du terrain concerné.

Terres polluées non excavées. L'administration française militait au contraire pour que les terres polluées échappent à la police des déchets. La polémique a finalement pris fin avec la du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 sur les déchets qui exclut de son champ d'application « les sols (in situ), y compris les sols pollués non excavés ». Actuellement, l' prévoit que « les sols non excavés, y compris les sols pollués non excavés » ne sont pas soumis à la réglementation sur les déchets. Ils sont régis par un chapitre spécifique dédié aux sites et sols pollués (art. à C. env. ).

Terres excavées. En revanche, les terres excavées, naturelles ou polluées, prennent le statut de déchet dès lors qu'elles sortent du site d'origine (1). La notion de site correspond à l'emprise foncière, constituée de parcelles proches, comprise dans le périmètre d'une opération d'aménagement ou sur laquelle sera édifiée une construction faisant l'objet d'un même permis d'aménager ou de construire.

Responsabilité. L'enjeu du droit applicable concerne tant la personne responsable que l'étendue de cette responsabilité. Ainsi, un propriétaire de terrain pourra voir sa responsabilité engagée sur le fondement du droit des déchets en tant que « détenteur », même si ce n'est pas son activité qui est à l'origine de la pollution. En revanche, sur le fondement du droit des sites pollués et en fonction de l'origine de la pollution, c'est l'exploitant et non le propriétaire du terrain qui sera en première ligne.

Par ailleurs, cette soumission à la réglementation sur les déchets a aussi des conséquences en termes de traçabilité puisque le « producteur » des déchets doit émettre un bordereau de suivi et en reste responsable jusqu'à leur élimination.

Une distinction sols pollués/déchets cohérente sur le plan juridique

Dans l'arrêt du 29 juin 2020, le Conseil d'Etat est venu clarifier la distinction entre un sol pollué et un déchet pour des travaux ayant lieu sur la voie publique. Il a également précisé le régime de responsabilité des intervenants sur un tel chantier.

Règlement de voirie. Etait en cause le règlement de voirie d'une communauté urbaine. Ce document imposait aux exploitants de réseaux (télécommunications, gaz, électricité, etc. ) de prendre en charge les mesures nécessaires et les coûts afférents pour traiter les sols pollués découverts à l'occasion de travaux réalisés sous leur maîtrise d'ouvrage.

Eu égard à la fréquence des travaux qu'il réalise sur le domaine public routier, notamment pour y enfouir des fourreaux permettant de tirer des câbles, un opérateur a demandé l'abrogation de ce règlement de voirie. N'étant ni l'exploitant à l'origine de la pollution (les déblais étaient amiantés), ni le propriétaire « négligent » du terrain - personnes susceptibles d'être juridiquement responsables d'une pollution au titre de la réglementation sites et sols pollués -, il estimait ne pas être responsable des déblais pollués.

La Haute juridiction rappelle tout d'abord la définition du déchet ( ). Il s'agit d'un objet, substance ou bien meuble dont le détenteur se défait ou a l'intention de se défaire. Puis celle de producteur de déchets : celui dont l'activité produit des déchets (producteur initial) ou celui qui effectue des opérations de traitement conduisant à un changement de leur nature ou de leur composition (producteur subséquent).

Déblais sur la voie publique. Le Conseil d'Etat énonce ensuite que les déblais résultant des travaux réalisés sur la voie publique sont des déchets. Il s'agit en effet de choses meubles dont les opérateurs ont l'intention de se défaire. C'est bien leur activité - consistant notamment à implanter des réseaux dans le sol - qui crée des déchets et dont ils vont devoir se défaire, surtout lorsqu'ils sont, comme en l'espèce, pollués.

Cette analyse est difficilement contestable et la circonstance que l'amiante aurait été introduite lors de la pose du bitume des années auparavant sous la maîtrise d'ouvrage de la collectivité apparaît sans incidence pour les juges. En effet, la notion de déchet est indépendante de leur pollution éventuelle et c'est bien à l'occasion des travaux réalisés par l'opérateur en vue d'implanter ses réseaux que les terres et enrobés sont excavés.

Responsabilité du maître d'ouvrage. La Haute juridiction en déduit donc que l'activité de l'opérateur ne relève pas de la législation sur les sites pollués, qui lui aurait permis de ne pas être responsable de l'élimination de ces terres, mais bien de celle sur les déchets. Autrement dit, l'opérateur de réseaux qui assure la maîtrise d'ouvrage des travaux ayant fait apparaître ces déchets est responsable de leur élimination, même s'il n'est pas à l'origine de cette pollution.

Si cette solution peut paraître injuste puisqu'elle met à la charge d'une entreprise qui n'est pas à l'origine de la pollution le traitement de déchets pollués, elle est cependant cohérente sur un plan juridique avec la définition légale du déchet. Et l'opérateur ne pourra pas se retourner contre la collectivité précisément parce qu'il est le producteur des déchets…

Une nécessaire anticipation des responsabilités potentielles

Les effets de cette décision vont au-delà des seuls opérateurs de réseaux : elle rappelle en effet aux aménageurs et aux promoteurs que la ligne de séparation entre le droit des sites pollués et celui des déchets est ténue et que les responsabilités potentielles doivent être analysées en détail avant de se lancer dans une opération de ce type.

Enfin, le sujet de la gestion des terres excavées n'a pas fini de faire parler de lui : le ministère de la Transition écologique travaille sur un projet de décret qui fixe le dispositif de traçabilité de ces terres. Lequel serait calqué sur celui applicable aux déchets. Un nouveau signe que les terres polluées excavées et non réutilisées sur un site sont assimilées à des déchets.

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