Le défi est de taille. Depuis la publication de la loi Climat et résilience, en août dernier, qui interdira progressivement les mises en location des passoires énergétiques, les bailleurs sociaux font face à une tâche titanesque. Les travaux de rénovation thermique devront être réalisés à marche forcée, sous peine de ne plus pouvoir quittancer les logements étiquetés G à partir de 2025, F dès 2028 et E en 2034. Selon les données de l'Union sociale pour l'habitat (USH), près de 1,8 million de HLM doivent être réhabilités en urgence.

Quelque 36% du parc HLM ont été construits avant 1970. Ils présentent divers enjeux (patrimoniaux, recours aux énergies fossiles…).
« Dans un monde idéal, deux années suffisent entre la réalisation d'un diagnostic de performance énergétique (DPE) et la livraison d'un logement rénové, calcule Matthieu du Roscoät, directeur technique d'AC Environnement, un diagnostiqueur qui réalise 75 % de son activité auprès des bailleurs sociaux.
Problème, le marché est engorgé : la maîtrise d'œuvre, les bureaux de contrôle, les architectes, l'administration… tout le monde sera fortement mobilisé pour passer le cap de 2025. » Conscient de l'enjeu, le groupe Action Logement a lancé un plan d'éradication des passoires thermiques. « Tous les travaux seront lancés avant la fin de l'année 2023 », indique Nadia Bouyer, sa directrice générale. Il y a urgence car le moindre grain de sable risque de gripper la machine à rénover.

De 2006 à 2019, les investissements ont quasiment doublé, mais ils ont baissé entre 2017 et 2019.
« Adopter une stratégie offensive ». Le nouveau DPE, déployé depuis le 1er juillet 2021, a d'ailleurs bien failli tout faire dérailler. Il se compose de deux étiquettes : la première mesure la consommation énergétique, la seconde, les émissions de gaz à effet de serre (GES). Précédemment, les deux notes n'influaient pas l'une sur l'autre. Désormais, elles se pénalisent mutuellement, la partie énergétique devenant sensible au carbone. Alors bien sûr, le DPE réformé a rapidement été révisé face aux alertes de la Fnaim qui constatait un classement systématique des logements construits avant 1975 en passoires énergétiques. La méthode de calcul a bien été adaptée, mais la nouvelle version actée au mois d'octobre 2021 continue de pénaliser les habitations alimentées en gaz ou en fioul. « Même si l'on arrive à réduire les consommations énergétiques, un logement ayant recours aux énergies fossiles restera toujours émetteur de GES. Sa note évoluera à la marge, indique Matthieu du Roscoät. Beaucoup d'immeubles de bailleurs sociaux dépendent soit du gaz soit du fioul dans le cadre d'une chaufferie collective. Ils seront donc contraints d'adopter une stratégie offensive visant à travailler sur l'enveloppe (isolation et fenêtres) et les systèmes (chauffage, eau chaude sanitaire et ventilation). » De quoi rendre la facture très salée.
Pour sortir de l'étiquette F et G, un bailleur social devait jusqu'à présent débourser entre 25 000 et 35 000 € par logement. Mais passer à C ou même à D nécessite une rénovation globale bien plus coûteuse : « Entre 60 000 et 100 000 €, évalue Audrey Linkenheld, première adjointe de la maire de Lille, en charge de la transition écologique et du développement soutenable, qui demande un réajustement des politiques publiques pour accompagner l'enjeu de massification [lire « Le Moniteur » du 14 janvier 2022, p. 10, NDLR]. Et jusqu'à 200 000 € pour les maisons en bande si typiques des Hauts-de-France. » D'autant que le nouveau DPE, en cours de déploiement, pourrait venir gonfler les volumes d'habitations à rénover, à cause de leurs émissions de gaz à effet de serre. « Quelque 5 % de notre patrimoine est étiqueté F ou G, poursuit Nadia Bouyer, et 16 % en E. Le nouveau diagnostic devrait faire basculer certains logements vers une étiquette plus dégradée. Il pourrait ainsi faire progresser la part des logements étiquetés F ou G de 1 ou 2 points. » Autrement dit : le nombre de logements à rénover, aujourd'hui estimé à 1,8 million, pourrait bien croître au fil du temps…
Au bas mot, les organismes HLM devront réaliser un peu plus de 100 Mds € de travaux en quinze ans. « Nous engageons chaque année 5 Mds € de travaux. Pour atteindre les objectifs réglementaires, il faudra passer à 7,5 Mds € », pose Emmanuelle Cosse, présidente de l'USH. Laquelle s'inquiète aussi des logements situés dans des immeubles classés (lire ci-contre) ou en copropriété, qui ne pourront être efficacement rénovés qu'après un vote favorable en assemblée générale de l'ensemble des propriétaires…

Une grande partie du parc émet beaucoup de GES dans le Nord de la France, car les logements y sont plus souvent chauffés au gaz.
Supprimer la RLS ? L'ancienne ministre du Logement salue la nouvelle ligne de financement de 1 Md € débloquée par la Banque européenne d'investissement (BEI) à la Banque des territoires, pour que cette dernière octroie des prêts à taux fixe sur quinze à trente ans aux bailleurs sociaux qui souhaitent éradiquer leurs passoires thermiques. « Mais cela ne suffira pas, il faut augmenter les sources de financement », demande Emmanuelle Cosse, faisant ainsi un nouvel appel du pied au gouvernement pour supprimer la réduction de loyer de solidarité (RLS, appliquée en symétrie de la baisse des APL) qui grève chaque année la trésorerie des bailleurs sociaux de plus de 1 Md €.
En attendant une nouvelle mandature, et d'éventuels engagements, le marché bancaire se structure et adapte ses offres. Batigère Grand Est a ainsi conclu un prêt à impact pour 30 M€ avec la Caisse d'Epargne Grand Est Europe afin de financer la rénovation de ses 10 500 logements étiquetés E, F et G (sur un peu plus de 37 000 unités). « Ce prêt propose de restituer annuellement une part du taux d'intérêt fixé, lorsque l'opérateur surper-forme un indicateur extra-financier déterminé au préalable. Dans le cas de Batigère Grand Est, il s'agit du taux d'éradication de passoires énergétiques », explique Yves Ferron, directeur de l'habitat social de l'établissement prêteur. Selon les calculs de Christophe Colard, directeur administratif et financier du bailleur emprunteur, « si nous atteignons nos objectifs, nous percevrons 415 000 € sur vingt-cinq ans ». Autre avantage : « Nous ne demandons pas systématiquement de garanties, pose Yves Ferron. Or, elles sont difficiles à obtenir par les collectivités locales, car les prêts visant à financer la rénovation énergétique du patrimoine les engagent sur une très longue durée - trente ans en général -et certaines limitent l'octroi des garanties lors de délibérations cadres. » Enfin, le prêt n'est pas fléché sur une opération comme c'est traditionnellement le cas, l'organisme HLM est libre d'affecter les fonds aux travaux de son choix. « Nous pourrons ainsi faire avancer les projets traditionnellement moins finançables », illustre Christophe Colard.
Des financements compliqués à obtenir. Les organismes HLM peuvent également se tourner vers les régions pour bénéficier d'une aide européenne. Dans le cadre du plan de relance React-EU qui abonde les fonds Feder, 40 Mds € de subventions sont réservés à la France sur un total de 750 Mds €, dont 5,8 Mds € dédiés à la rénovation énergétique des bâtiments, rappelle Véronique Ménez, coordinatrice des fonds européens à l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), autorité de gestion pour les fonds structurels européens en France. Problème : aller chercher ces financements se révèle d'une complexité sans nom. « En vingt ans, le métier de monteur d'opération a profondément changé, reconnaît Aïcha Mouhaddab, directrice de l'association régionale des organismes HLM Auvergne-Rhône-Alpes. Auparavant, il devait se concentrer sur le fond du programme. Depuis quelques années, la maquette financière et la justification de l'atteinte des performances occupent une place plus prégnante. » La réalisation des objectifs de rénovation énergétique passera par une mobilisation globale visant à subventionner, simplifier et massifier. Ainsi, les bailleurs réussiront au moins à lézarder le mur de la rénovation énergétique. Mais un autre se dressera alors juste derrière : celui de la dette.