Décryptage

Les bailleurs sociaux au four et au moulin

Bousculés par des réformes budgétaires et législatives, les organismes HLM cherchent à adapter leur modèle. Ils développent de nouveaux outils, qui servent leur propre projet et peuvent être vendus à d'autres.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - 19138_1166488_k2_k1_2741084.jpg

« Les bailleurs sociaux sont à la croisée des chemins. » La formule de Marianne Louis (lire p. 28), directrice générale de l'Union sociale pour l'habitat (USH), a le mérite de résumer la situation : dans un contexte réglementaire et financier mouvant, les organismes de logement social doivent se réinventer. Outre l'obligation qu'ils ont de se regrouper d'ici à 2021 s'ils gèrent moins de 12 000 logements (depuis l'adoption de la loi Elan), les organismes HLM supporteront en effet, entre 2017 et 2020, un peu plus de 6 Mds € de coupes, selon les calculs de l'USH, dus, notamment, à la mise en place de la réduction de loyer de solidarité (RLS), à la baisse des APL, etc. Durant cette période, « notre capacité d'autofinancement est passée de 35 M€ avant la RLS, à 17 M€ après », illustre Didier Bellier-Ganière, directeur stratégie et partenariats de 1001 Vies Habitat. Or, l'autofinancement permet aux bailleurs sociaux de se développer. Alors, quand le volume disponible dévisse, il faut se réinventer pour dégager de nouvelles ressources.

Numérique. « Mieux vaut se réorganiser avant de se regrouper, au risque de se rendre compte que la culture des deux sociétés est trop différente », poursuit Didier Bellier-Ganière. Un conseil qui n'est pas partagé par Marcel Rogemont, président de la Fédération des offices publics de l'habitat (OPH) et de Néotoa. « Un regroupement comme celui de Néotoa [ancien office public de l'habitat départemental d'Ille-et-Vilaine, NDLR] et de Dinan Habitat avec la mise en commun de 20 000 logements va faciliter le développement de nouveaux services et donc de nouveaux métiers. » Et pour beaucoup, cela passe par le développement du numérique.

Maintenance prédictive. « Nous avons le projet de créer un centre de relation clients pour mutualiser et concentrer les contacts avec les locataires, détaille Didier Bellier-Ganière. Dans un premier temps, des demandes basiques pourraient être gé-rées sur cette plate-forme, comme celles liées aux questions d'assurance des logements. Puis les locataires pourraient faire remonter leurs problèmes techniques aux gardiens, telle une fuite d'eau dans leur logement, grâce à cet outil. A terme, ils seraient mis directement en relation avec nos prestataires, qui interviendraient plus rapidement pour réparer de potentiels désordres. » Cet outil abouti pourrait être commercialisé auprès d'autres bailleurs sociaux. 3F mise aussi sur le développement de services numériques. « Nous avons déployé début septembre une plate-forme regroupant toutes les données du patrimoine nécessaires aux prestataires qui interviennent sur les bâtiments, détaille Anne-Sophie Grave, directrice générale du vaisseau amiral d'Action Logement. D'ici à dix-huit mois, cet outil servira à faire de la maintenance prédictive. » Avec ces services, les économies sont immédiates, et des revenus futurs sont potentiellement assurés. Mais il faut boucler les budgets tout de suite. Alors de nombreux organismes augmentent la vente de HLM, pour générer du cash. Pour mettre un coup d'accélérateur sur les cessions dans le patrimoine existant, la directrice générale de 3F a créé une direction dédiée à l'accession et mise également sur le bail réel solidaire (BRS) (lire p. 38 et 4 2), qui permet au bailleur de rester propriétaire du foncier et des parties communes et de ne céder que les murs. « Nous adhérerons prochainement à l'organisme de foncier solidaire francilien [OFS, qui déploie les BRS, NDLR], puis nous nous ferons agréer directement comme OFS. »

Dégager des ressources, gérer les logements, booster l'accession à la propriété et numériser la relation avec les locataires.

Activité de syndic. Avec le développement de la vente dans l'ancien, certaines activités annexes deviennent « cœur de métier ». A l'instar de l'activité de syndic. « Aujourd'hui, un tiers de notre patrimoine est en copropriété, cela réinterroge notre processus de gestion de ces immeubles, continue Anne-Sophie Grave. Nous lancerons un service dédié début d'octobre, parce que jusqu'à présent ce service était externalisé. Un collaborateur préfigurera les missions à venir. » Même raisonnement chez Seqens, qui a déjà développé sa propre marque intitulée Yssyndic. « En vendant des logements, nous sommes syndic de droit dans l'immeuble, rappelle Nadia Bouyer, directrice générale du bailleur social. Mais si la copropriété souhaite nous garder comme prestataires, nous pourrons le rester pour garantir la continuité de services et prévenir le risque de copropriétés dégradées. D'ailleurs, nous avons demandé notre carte professionnelle. » Après avoir cédé 280 logements (0,3 %) en 2018, Seqens table sur 360 cessions en 2019 et plus de 400 en 2020. Au total, la marque du bailleur social gère 126 copropriétés.

Et comme le parcours client des locataires ne se cantonne pas à l'ancien, les bailleurs renforcent aussi leurs ventes dans le neuf. « Mais cela nécessite de revoir les cahiers des charges, rappelle Anne-Sophie Grave, qui souhaite faire passer de 150 à 700 unités d'ici à cinq ans le nombre de logements vendus en accession sociale. Les ménages accédants souhaitent plutôt des cuisines ouvertes, alors que nous fermons ces espaces lorsque nous développons du locatif. Par ailleurs, le foyer peut avoir envie d'aménager lui-même une partie de son habitation. Et il faut faire attention à la grille des prix car le logement doit rester abordable. » Seqens, qui souhaite aussi se développer sur ce créneau grâce à sa coopérative baptisée « Seqens Accession », pourrait miser sur le BRS pour développer des logements neufs à céder. « Les bailleurs sociaux peuvent devenir un OFS, nous sommes en discussion avec les services de l'Etat, dévoile Nadia Bouyer. Cette voie peut être très intéressante, car l'accession est sécurisée, moins chère et il n'y a pas d'inflation à la revente [puisque le prix de cession est encadré, NDLR]. »

Missions sociales. En plus de continuer à développer leur patrimoine, des organismes HLM renforcent leurs missions sociales. Seqens a augmenté le nombre de « conseillères, dont le rôle consiste à accompagner nos locataires qui se paupérisent et qui vieillissent en les orientant vers des structures adaptées, indique Nadia Bouyet. Nous n'externalisons pas ces questions-là, contrairement aux bailleurs privés, alors que les frais de gestion reviennent régulièrement dans les discussions [le gouvernement les juge trop élevés, ce qui a légitimé sa volonté de voir les bailleurs se regrouper, NDLR] ». Néotoa mise « sur le logement tout compris, en négociant des accords avec Groupama pour 20 000 assurances habitation ou des tarifs bonifiés avec des distributeurs d'électricité… », détaille Marcel Rogemont. Quant à CDC Habitat, la filiale de la Caisse des dépôts met à disposition de ses partenaires (Afpa, Pôle Emploi) des locaux en pied d'immeubles pour accompagner les locataires dans le retour à l'emploi. En trois ans, 29 antennes ont été créées et 4 800 personnes ont été suivies.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires