«Nous avons besoin du savoir-faire des architectes», Pierre-René Lemas

Depuis la fin 2019, l’ancien préfet dirige le groupe de travail chargé d’élaborer des pistes sur la qualité d’usage et la qualité architecturale des logements sociaux, à la demande des trois ministères du Logement, de la Culture et de la Transition écologique. Ce fin connaisseur du dossier, qui a été notamment à la tête de Paris-Habitat ou encore de la Caisse des Dépôts, tire à son tour, pour «Le Moniteur», les enseignements du confinement. Il estime que les normes du logement doivent être revues à la hausse.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
L’ancien directeur général de la Caisse des Dépôts, Pierre-René Lemas mène les réflexions d’un groupe de travail sur la qualité d’usage et la qualité architecturale dans le logement social.

Le groupe de réflexion sur la qualité du logement social que vous menez pourra-t-il tirer les leçons de la période de confinement ?

Dans la mesure où nous avons dû, nous aussi, suspendre nos activités et que nous ne pourrons pas rendre notre rapport avant septembre ou octobre prochain, nous aurons cette possibilité. Et puisque le président de la République estime que la sortie du confinement amène à poser un nouveau regard sur les politiques sociales, nous devons évidemment nous servir de cette expérience.

D’autant que si l’on regarde les contributions pourtant nombreuses qui sortent sur le «monde d’après», bien peu portent sur le sujet du logement. Si on fait exception des professionnels de la fabrique de la ville, aucun sociologue, aucun penseur ne s’est encore penché sur la façon dont le confinement a amené toute une population à rester chez elle, ni sur ce que cela veut dire de notre identité ou encore sur ce que signifie, dans de telles circonstances, être bien ou mal logé, vivre en centre-ville, en banlieue ou en zone rurale, etc.

Avez-vous déjà décelé des pistes d’améliorations ?

Il ne s’agit pour l’heure que de réflexions personnelles mais la première chose à faire serait tout simplement de relancer une politique du logement social. Ces dernières semaines ont encore accru les difficultés dans lesquelles se trouvent les personnes sans logis… qui ne pouvaient donc se confiner nulle part, mais aussi de celles de millions de mal-logés qui se sont retrouvés enfermés 24h/24 avec toute leur famille dans des espaces souvent trop petits. Se réengager dans la construction de logements, et donc de logements sociaux, aurait un sens social mais aussi économique. Bâtir crée de la valeur et de l’activité. J’espère donc que le gouvernement ira dans ce sens...

Souhaitez-vous un engagement renouvelé et très fort de l’Etat sur le logement ?

La puissance publique doit impulser le mouvement. On attend de l’Etat qu’il fixe un cap et des directives afin que les différents acteurs puissent ensuite jouer leur rôle.

Redéfinir les normes

Vous suggérez de bâtir plus, mais ne faudrait-il pas aussi bâtir mieux ?

Les gens ont assurément besoin de vivre dans des lieux plus agréables et plus grands. Pour cela nos normes d’habitat, établies au début des années 2000, doivent évoluer. Il nous faut en particulier revoir la taille des logements. Des T2 d’une surface comprise entre 40 et 46 m² ont-ils encore un sens aujourd’hui ? Ne faut-il pas monter à 50 m² ? Cette redéfinition est d’autant plus importante que tous les financements sont liés à ces surfaces minimales.

Des logements plus grands, tout le monde le souhaite mais on objecte souvent que la cherté du foncier ne le permet pas…

On aboutit en effet toujours à cette idée que le coût du logement est la conséquence d’un prix trop élevé du foncier. Mais il faut que nous engagions une réforme par l’objectif - la qualité des logements - et non que nous nous arrêtions d’emblée aux obstacles. Par ailleurs, des projets conçus avec pertinence peuvent permettre de réaliser des logements plus grands sur une même emprise au sol. Pour y parvenir, nous avons besoin du savoir-faire des architectes. Mais j’y reviendrai.

Repenser les normes, c’est aussi redéfinir les obligations d’ouverture à l’air et à la lumière. Peut-on encore proposer des cuisines sans fenêtres ? Quand on n'est chez soi que le soir, passe encore. Mais là, nous avons bien vu que quand nous occupons notre logement toute la journée, c’est pour les familles modestes difficiles à vivre. De la même façon, nous devons réfléchir au logement «à tout faire», surtout si le recours au télétravail doit, comme tout le monde le prédit, s’accroître.

Faire plus vaste, plus clair, plus modulable, tout cela paraît très basique mais cela relève surtout de décisions qu’on peut prendre rapidement. Si, comme cela a beaucoup été dit, nous traversons une période qui ressemble à l’après-guerre, profitons-en pour ensuite reconstruire et pour réfléchir, comme cela avait été fait après 1945, à la façon dont nous devons le faire.

Que doit-on encore prendre en considération dans la fabrique du logement ?

Nous sommes en train de redécouvrir que vivre au nord, au sud, en Alsace ou en Aquitaine ne veut pas dire la même chose. Les modes de vie et donc d’habiter ne sont pas partout les mêmes, ne serait-ce que pour des raisons climatiques.

Territorialiser la production

Mais jusqu’ici les politiques du logement n’établissent une différence qu’entre zones tendues et détendues. C’est essentiel, mais insuffisant. Il faut réfléchir à la manière dont on peut territorialiser la production et je compte que notre groupe de travail s’attaque à ce sujet.

Il pourrait ainsi être envisagé que les directives nationales seraient modulables selon les zones géographiques. Je me souviens d’ailleurs qu’au début de la Décentralisation, Gaston Defferre voulait qu’elle s’applique aux règlements de permis de construire… Ca l’exaspérait qu’on puisse construire, dans sa région, des lycées qui tournaient le dos à la mer.

Vous considérez aussi que la question de l’habitat ne peut pas être décorrélée de l’urbain…

Il faut en effet réconcilier la politique urbaine et celle du logement. La ville n’est pas un plan-masse. Il faut aussi la penser au niveau de l’habitant, et notamment du piéton. Nous devons penser à l’usage des trottoirs, des pieds d’immeubles, des espaces verts… La mobilité est aussi un chantier à poursuivre car aujourd’hui les villes accroissent la place accordée aux cyclistes mais elles ne sont pas habitées que par des gens capables de faire du vélo. Elles sont aussi peuplées de personnes âgées, de familles.

Que l’urbanisme, le transport, le logement, l’architecture ne relèvent pas des mêmes administrations n’est-il pas un frein ?

C’est vrai. Dans une commune, on a l’adjoint à l’urbanisme et celui au logement. Au niveau national également, les dossiers sont répartis entre divers ministères. Je ne suis pas en train de dire que l’organisation administrative serait la seule réponse mais tous ces responsables doivent apprendre à mieux travailler ensemble. Au niveau de l’Etat, la cohésion des politiques est essentielle.

Comment faire en sorte, également, que la fabrique du logement sorte d’une logique purement financière ?

Nous ne devons pas remettre en cause la dimension économique du logement. Les entreprises de construction ou de promotion font un travail nécessaire et recherchent par définition le moindre coût de production ; ce n’est pas aberrant. Cependant, nous devons considérer que ce n’est pas un produit comme les autres et ne pas ignorer sa dimension sociale et humaine. Nous devons aussi réintégrer l’idée qu’il a une valeur sur le long terme. Le logement est un capital long et patient.

Faire confiance à l'intelligence des concepteurs

C’est, à mon sens, là que les architectes, les urbanistes et les paysagistes sont indispensables. Ils doivent intervenir comme concepteurs et ensembliers, être partie prenantes des projets dès l’amont, la programmation, et jusqu’à l’aval, c’est-à-dire la construction et même après la remise des clefs. Cependant je ne suis pas en train de dire qu’il faut revenir à la loi MOP, cela n’est pas souhaitable. En revanche, les concepteurs ont un rôle majeur à jouer y compris dans des procédures de type Vefa ou conception-réalisation qu’il faut encadrer. Ne refaisons pas les grands ensembles !

Mais on entend souvent que le recours à l’architecte renchérit les opérations…

De par mon expérience, notamment à la tête de l’office HLM Paris-Habitat, je pense que ce n’est pas vrai. Il faut faire confiance à l’intelligence des concepteurs pour savoir intégrer la dimension de la qualité architecturale dans le projet et sans dépassement de coûts.

Après, j’entends aussi souvent que «les architectes ne savent pas faire» et sans doute, comme dans toute profession, y en a-t-il de bons et de moins bons. On peut aussi engager une réflexion sur leur formation. Mais ne laissons pas l’architecture partir de France comme on a laissé partir les laboratoires pharmaceutiques.

En tout cas, l’architecte est le professionnel qui peut faire en sorte qu’on propose aux gens davantage qu’un toit, un abri, mais un endroit qu’ils auront plaisir à retrouver le soir, où ils seront heureux d’inviter leurs amis. On a besoin d’être content de son chez soi, d’en être fier parce qu’il est grand, agréable, beau… Je suis convaincu que le beau est un droit social.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires