Interview

«Le télétravail a ses limites, même pour les études», Sébastien Pailhès, directeur exécutif Villes & Territoires d’Artelia

Société d’ingénierie et de conseil employant près de 6 000 personnes dans le monde, Artelia apprend à travailler en mode confiné. Sébastien Pailhès, directeur exécutif Villes & Territoires d’Artelia et délégué régional de Syntec Ingénierie pour la région Occitanie, explique au Moniteur l’impact de la crise sanitaire sur l’activité du groupe.

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Sébastien Pailhès, directeur exécutif Villes & Territoires d’Artelia et délégué régional de Syntec Ingénierie pour la région Occitanie

Nous entamons la quatrième semaine de confinement. Comment vous êtes-vous organisés ?

Notre premier réflexe a été la protection des salariés. Dès le 17 mars, nous avons mis en place le télétravail pour les plus de 3 000 salariés employés en France. Cela a demandé beaucoup d’agilité pour assurer à chacun un accès sécurisé aux serveurs. Nous avons enregistré des pics de connexion à près de 2 500 personnes, alors qu’un temps normal, cela monte à 300 personnes. En parallèle, nous avons engagé très tôt des discussions avec les représentants du personnel pour définir les modalités de prise anticipée des RTT et des congés payés. Nous sommes dans ce régime depuis le 23 mars. Enfin, nous avons mis en place une organisation opérationnelle permettant de répondre à toutes les demandes de nos clients et de poursuivre les missions indispensables.

A quelles contraintes faites-vous face ?

Le télétravail a ses limites, même pour les études. Nous sommes avant tout un métier d’interfaces qui implique de communiquer et d’échanger sans restriction. Nous étudions beaucoup d’opérations en mode projet demandant de rassembler dans un même lieu différentes équipes et compétences. Cela n’est plus possible.

De plus, nous sommes limités par la disponibilité de nos clients dont on attend des orientations, des validations et des décisions. Tout ce processus est soit ralenti, soit à l’arrêt. Nous avons aussi besoin d’autorisations administratives pour continuer d’avancer. Le report des instructions des permis de construire préconisé dans l’ordonnance du 25 mars est pour nous catastrophique. Cela grippe un peu plus une machine économique déjà bien mal en point.

L’impossibilité aujourd’hui de se déplacer et de voyager est un handicap supplémentaire. Or, nous avons de nombreuses opérations à l’international. Et même en phase étude, il est toujours nécessaire de visiter le site et de réaliser un diagnostic. Par ailleurs, nous devons nous rendre chez nos clients pour réaliser des missions d’assistance technique sur des sites industriels qui sont, eux, nombreux à être fermés.

« Nous nous inquiétons de l’écroulement de la commande »

Quel est l’impact sur la commande ?

Nous nous inquiétons de l’écroulement de la commande, qu’elle soit publique ou privée. En janvier et en février, nous recevions de l’ordre de 1 000 à 1 200 appels d’offres publics par mois. En mars, nous en avons reçu à peine 800 ainsi que près de 1 000 avis rectificatifs annulant ou reportant des procédures ! Bon nombre de nos clients ont pris l’initiative de suspendre leurs opérations. Pour celles qui ont été maintenues, nous avons analysé la situation au cas par cas, prenant soin de vérifier s’il était possible de respecter les consignes de sécurité sanitaire. D’après nos premières analyses, un chantier sur dix est resté actif à ce jour. Pour la plupart, ils se situent en région parisienne.

Quelles sont vos autres préoccupations ?

Nous redoutons les effets induits du report des élections municipales sur les marchés publics. En plus de la crise sanitaire, les collectivités doivent faire face à cette incertitude. Nous avions constaté ces derniers temps une recrudescence des marchés à bons de commande et des accords cadre. Cela peut soutenir une certaine activité. Il est vital que les donneurs d’ordre utilisent cette possibilité pour entretenir la commande publique. Cela va nécessiter des mesures très volontaristes.

« La crise sanitaire permet de rappeler le rôle de chacun »

Que pensez-vous du guide de l’OPPBTP ?

Nous sommes dans une semaine charnière où nous confrontons, avec les coordonnateurs SPS, les entreprises et les maîtres d’ouvrage, les recommandations du guide à la réalité des opérations, ainsi qu’aux capacités d’approvisionnement… Nous sommes bien entendu très favorables à une reprise rapide d’activité. Mais nous devons aussi raisonner au cas par cas pour évaluer les capacités à mettre en œuvre les recommandations. C’est au maître d’ouvrage de prendre l’initiative de la reprise des chantiers, et d’intégrer les potentiels surcoûts dont il faudra discuter en amont. En tant que maître d’œuvre, nous avons un peu une position de pivot. Nous sommes, d’un côté, là pour faire remonter la réalité du terrain et, d’un autre côté, pour faire appliquer les recommandations. Finalement, l’ampleur et la gravité de la crise sanitaire permettent de rappeler le rôle de chacun.

Certains sont défavorables à une reprise de l’activité même avec le guide. Qu’en pensez-vous ?

La situation est complexe. Il y a des opérations qui ne peuvent pas souffrir d’arrêts prolongés. Je pense à celles qui engagent la sécurité. Par exemple, dans le cadre de travaux de protection contre les crues, on ne peut pas laisser des brèches dans les cours d’eau. La problématique est la même pour des chantiers de sécurisation de l’alimentation en eau potable, de rétablissement de circulations ou bien lors de la livraison de bâtiments sous exploitation, etc. Mais, nous faisons tout notre possible pour concilier exigence de reprise et exigence sanitaire.

Préparez-vous l’après-crise ?

Oui. Sa réussite sera fondamentale pour la suite. Toutes les mesures prises pour réduire l’activité, telles la prise des RTT et des congés payés, sont une façon de préserver l’entreprise et de préparer l’après-crise. Par ailleurs, le Comex et les Codir des différentes entités du groupe se réunissent chaque jour. Nous avons également constitué une cellule de crise sur la sécurité. Cette semaine, la question est de savoir dans quelles conditions on peut appliquer les recommandations inscrites dans le guide de l’OPPBTP. Un autre enjeu est de déterminer quelles actions préventives sont nécessaires pour offrir à nos salariés et à l’ensemble des acteurs les conditions optimales de sécurité sanitaire. Nous avons commandé 100 000 masques il y a une quinzaine de jours. Nous attendons des premières livraisons d’ici à la fin de la semaine, sachant que cela n’est qu’une mesure parmi d’autres.

« L’impact va être énorme »

Avez-vous chiffré l’impact de la crise ?

C’est bien entendu impossible à dire aujourd’hui. C’est sûr, l’impact va être énorme. Dans les métiers d’ingénierie, les marges sont faibles, les résultats d’exploitation sont bien inférieurs à un mois de facturation. Donc, l’impact sera forcément très important. La situation est totalement inédite. Il ne faut pas oublier qu’Artelia est détenu à 100 % par les salariés. On ne peut pas compter sur un actionnaire financier ou industriel pour éponger les dettes ou générer de l’activité pour notre propre compte. Cependant, chez Artelia, nous avons la chance d’avoir une situation financière saine et des collaborateurs engagés.

Pourquoi recourir à l’activité partielle ?

Si la situation dure, et nous pensons qu’elle va durer, une grande majorité des sociétés d’ingénierie devra y recourir pour maintenir les emplois. Entre le 16 mars et aujourd’hui, notre activité a été réduite de 50 % au minimum. L’engagement de l’entreprise et de ses collaborateurs, la prise de RTT et de congés payés ne peuvent pas suffire dans la durée. Nous déposons actuellement des demandes d’activité partielle et nous espérons pouvoir y recourir avant la fin du mois d’avril. Probablement, plus des trois quarts des salariés seront touchés à des degrés divers. Les premiers concernés sont ceux qui suivent les chantiers aujourd’hui arrêtés.

Comment gérez-vous l’inquiétude en interne ?

Par l’écoute et la communication à tous les niveaux de la chaîne managériale. Il faut rendre hommage à nos collaborateurs qui font preuve de beaucoup de sang-froid et de solidarité. Ils prennent aussi beaucoup d’initiatives. Sur les réseaux sociaux par exemple des groupes se sont créés. Cela permet d’échanger, de travailler, de garder le contact ! Nous espérons rassurer les salariés par notre transparence, et notre engagement à d’abord préserver leur santé et celles de leurs proches, tout en veillant sur leur entreprise et ses clients.

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