En 2017 était publiée la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre. Elle oblige toute société employant au moins 500 salariés à se doter d’un plan de vigilance afin d’identifier et prévenir les atteintes graves aux droits humains, à la santé et la sécurité des personnes ainsi qu’à l'environnement résultant de ses activités ou de celles de ses sous-traitants ou fournisseurs. Ce plan doit être publié dans son rapport de gestion.
Quatre ans après son adoption, quel est l’impact de la loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance ?
Noëlle Lenoir : Le principe de transparence (basée sur l’accountability) a pris un essor incomparable, les entreprises ne peuvent plus fermer les yeux sur ce qu'elles font ou font faire à l'étranger. Son objectif éthique est indiscutable. Mais cela est susceptible de conduire à une mise en cause permanente de la responsabilité des entreprises par la société civile - principalement les ONG et les réseaux sociaux. Parmi les secteurs les plus ciblés figurent ceux de l'énergie, de l'eau et de la construction ainsi que la banque.
Comment cette responsabilité se traduit-elle ?
Noëlle Lenoir : Ce qui marque une rupture dans le droit français, c'est qu'une entreprise peut désormais être rendue responsable des dommages causés, par exemple, par un fournisseur. Certes, le Conseil constitutionnel a posé une limite, en énonçant qu'il s'agit d'une responsabilité directe, supposant de prouver un lien de causalité entre la faute et le dommage, et non d'une responsabilité du fait d'autrui. Mais de toute façon, le risque n°1 n'est pas juridique, mais réputationnel. Une fois que les réseaux sociaux ont donné l'alerte, le mal est fait, et l'éventuel procès n'interviendra que bien des années après.
Quels conseils pouvez-vous donner aux entreprises ?
Dominique de la Garanderie : Le devoir de vigilance doit être pris en compte dans la rédaction des contrats notamment pour les projets à l'international. L'entreprise doit assurer une cohérence dans ses activités partout dans le monde : ses standards en matière de santé, de sécurité et de respect des droits humains, sans être alignés uniformément, ne peuvent passer en dessous d'un seuil qui serait contraire aux droits humains. Ce peut être compliqué à mettre en place dans la chaîne de sous-traitance. Cela impose une réflexion des entreprises et souvent la mise en place d’un dispositif de soft law, avec toujours un process : rédaction des règles, formation des collaborateurs, organisation du contrôle, audits internes, enquêtes par des tiers extérieurs, améliorations, voire sanctions par la rupture des relations contractuelles.
Noëlle Lenoir : Le devoir de vigilance, c'est de l'auto-discipline, de la transparence, de la gestion des risques.
L'entreprise doit tout d'abord cartographier précisément ses risques - et ceux-ci évoluent tous les jours, notamment en matière de santé. Pour les entreprises de BTP, les risques relatifs à la sécurité au travail, à l'environnement et au climat sont particulièrement importants.
Elle doit aussi rédiger ses propres référentiels. Il faut veiller à publier toutes les mesures mises en place afin d'éviter les risques dans toute sa chaîne de valeur (par exemple, l'engagement de reloger les personnes en cas d'expropriation pour un projet). Mais attention aux effets d'annonces ! En se référant à tout un tas d'engagements et normes internationales de la soft law qu'elle déclare respecter, l'entreprise peut avoir l'impression de se protéger, mais en réalité elle engage davantage sa responsabilité. La vigilance, ce ne doit pas être du marketing ni de la communication, c'est du droit.
Dominique de la Garanderie : Enfin, il ne faut pas hésiter à mener des audits préventifs, par sondages et entretiens individuels. Mieux vaut utiliser des moyens fiables, objectifs, sans conflits d’intérêts, ciblés et vraiment efficaces.
Les entreprises doivent-elles s’attendre encore à un renforcement de leurs obligations ?
Noëlle Lenoir : Oui, en droit français comme européen. Voyez le projet de loi sur le dérèglement climatique. Son objectif est noble, mais il multiplie les contraintes bureaucratiques assorties de sanctions dans le secteur de la construction en matière de performance énergétique, de végétalisation, etc. Le mot « construction » y est mentionné 95 fois !
Au niveau européen, le climatique et la RSE sont devenus les principaux domaines d’intervention du législateur. Le Parlement européen, selon une procédure inédite, a adopté le 10 mars un projet de directive sur le devoir de vigilance très punitif et qui prévoit une forme de cogestion avec les « parties prenantes », i.e. des ONG, qui auraient leur mot à dire sur la stratégie de vigilance de chaque société. On ne sait ce que retiendra la Commission européenne. Pour autant, c’est symptomatique d’une volonté de contrôle social des entreprises. Aussi, elles ont intérêt à se prémunir, par exemple en demandant préventivement à des professionnels de passer en revue leurs plans de vigilance et leurs politiques de conformité.
Dominique de la Garanderie : Plus généralement en droit social, nombre de matières sont concernées par le renforcement des obligations : égalité professionnelle, RSE, harcèlement moral et sexuel et évidement la vigilance avec les premiers contrôles judiciaires. L’organisation même des entreprises sera impactée par la proposition de loi dite "Rixain" sur les mesures d’égalité « genrées » concernant pour l’instant la présence des femmes dans les fonctions de hautes responsabilités, même s’il faut observer un décrochage entre le possible et l’obligation dans certaines branches d’activité (30 % à échéance de 5 ans, 40 % à échéance de 8 ans selon les discussions actuelles). Ainsi, la compliance ne pourra que se développer.
Quelles sont les sanctions prévues par le projet de directive européenne ?
Noëlle Lenoir : On parle souvent d’écologie punitive, et c’est bien de cela qu’il s’agit. Le texte du Parlement européen est du jamais vu car il prévoit un cumul de sanctions qui risque de signer la mort économique de l’entreprise et donc de ses salariés. Une éventuelle amende administrative de la part d’autorités nationales de contrôle de la vigilance s’ajouterait aux indemnités pour responsabilité civile et aux amendes pour responsabilité pénale. Mais le texte y ajoute des peines complémentaires de privation d’éventuelles aides publiques et l’exclusion des marchés publics, sans préjudice d’autres sanctions. Sans parler de la publicité donnée à ces sanctions. Le projet de loi sur le dérèglement climatique multiplie également les sanctions et facilite les recours contre les entreprises dans son chapitre « renforcer la protection judiciaire de l’environnement ».