Les dispositions de l'article 110 de feu le Code des marchés publics concernant le privilège de pluviôse ont été, grosso modo, reprises à l' relatif aux marchés publics (1). Celui-ci énonce en effet que : « Les seuls fournisseurs susceptibles de bénéficier du privilège résultant de l' sont ceux qui ont été agréés par l'acheteur. Le privilège ne porte que sur les fournitures livrées postérieurement à la date à laquelle la demande d'agrément est parvenue à l'autorité compétente. » Selon ledit article du Code du travail, « les sommes dues aux entrepreneurs de travaux publics ne peuvent être frappées de saisie ni d'opposition au préjudice soit des salariés, soit des fournisseurs créanciers à raison de fournitures de matériaux de toute nature servant à la construction des ouvrages. Les sommes dues aux salariés à titre de salaire sont payées de préférence à celles dues aux fournisseurs » (2).
Economie générale du privilège de pluviôse
Le privilège dit de « pluviôse » tire son nom de son texte créateur, le décret du 26 Pluviôse an II (14 février 1794), modifié par la loi du 25 juillet 1891. En pratique, il autorise le fournisseur à revendiquer auprès de la personne publique « un droit de paiement préférentiel » () sur les autres créanciers. Le maître d'ouvrage est dès lors tenu de se libérer de sa dette entre les mains du fournisseur sur les sommes dues à l'entreprise au titre de l'exécution des travaux publics.
Selon l'avis du , la revendication dudit privilège par le fournisseur d'une entreprise titulaire d'un marché public a deux objets. D'une part, « de faire connaître à la personne publique maître d'ouvrage auprès de qui elle est faite l'opposition de ce fournisseur à ce que cette personne publique se dessaisisse au profit du titulaire du marché ou de tout autre créancier de celui-ci des sommes dues par elle en exécution du marché ». Et d'autre part, « d'obtenir de cette personne publique le paiement, en lieu et place du titulaire du marché défaillant, de la créance que détient le fournisseur sur celui-ci, par prélèvement sur les sommes dues au titulaire au titre de l'exécution du marché ».
Le privilège de pluviôse permet aussi au maître d'ouvrage de poursuivre l'exécution d'un chantier.
Concrètement, le privilège de pluviôse est aussi un outil qui peut présenter l'avantage pour le maître d'ouvrage de poursuivre l'exécution d'un chantier et d'éviter son interruption pour défaillance, avec le titulaire d'un marché de travaux en difficultés financières, tout en réglant in fine directement le(s) fournisseur(s) de matériaux de cet entrepreneur.
Un privilège réservé aux fournisseurs… et aux sous-traitants
Au sens des textes précités, seul le « fournisseur » peut bénéficier du privilège de créance. Toutefois, l'acception de la notion de fournisseur est ici distincte et plus large que celle que retient le juge pour distinguer traditionnellement le fournisseur du sous-traitant. Ainsi la notion de fournisseur recouvre : - en premier lieu, l'entreprise qui a conclu un contrat de vente avec l'entreprise de travaux ayant pour objet principal de livrer un bien meuble standard, sans adaptation particulière et ne comportant pas de spécifications exceptionnelles fournies par l'acquéreur, moyennant un prix convenu entre les parties. Cela vise les opérateurs qui ne peuvent prétendre à la qualité de sous-traitant, leur prestation se limitant à livrer des pavés ordinaires (), du béton prêt à l'emploi () ou des canalisations et des pièces de fabrication courante (CAA Nantes, 30 décembre 1999, n° 96NT02356). Et ce, quand bien même ces entreprises auraient participé à certaines réunions de chantier () ou pris en charge le coût des essais, le remplacement ou la réparation des produits défectueux, ainsi que les frais de pose et de dépose correspondants (CAA Nantes, 30 décem bre 1999, précité). Les fournitures doivent être des biens matériels achetés, avec translation de propriété, et non des biens meubles loués () pas plus que des prestations immatérielles (Cass. com. , 19 décem bre 2000, n° 98-12050) ;
- en deuxième lieu, le sous-traitant de premier rang (Cass. chambre civile, 10 février 1891) ;
- en troisième lieu, les fournisseurs du sous-traitant exécutant des prestations dans le cadre d'un marché public de travaux, dès lors que ce sous-traitant est bénéficiaire du paiement direct. C'est-à-dire, lorsque la prestation sous-traitée concerne un marché public et que son montant est égal ou supérieur à 600 euros ( relative à la sous-traitance).
En revanche, ne bénéficie pas du privilège de pluviôse le titulaire d'un contrat de louage () ou encore le fournisseur cocontractant d'un autre fournisseur, ce qui signifie qu'il n'existe aucun droit de suite entre fournisseurs pour le privilège de pluviôse (Cass. chambre civile, 16 mai 1979).
Un privilège limité aux marchés publics de travaux
L' ne reconnaît le bénéfice du privilège de créance qu'aux seuls fournisseurs des entreprises réalisant des prestations de « travaux publics ». A contrario, il ne profite donc pas aux fournisseurs d'entreprises réalisant des travaux privés ou aux cocontractants d'opérateurs économiques titulaires de marchés de services ou de fournitures.
On rappellera que sont des travaux publics les travaux réalisés sur un bien immeuble dans un but d'intérêt général pour le compte d'une personne publique (, « Commune de Monségur »), mais aussi les travaux exécutés dans le cadre d'une mission de service public ().
Ainsi, la Cour de cassation a rappelé récemment que « doivent être qualifiés d'ouvrages publics les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public ». Et de conclure en l'espèce que « cette centrale nucléaire, ayant pour objet de permettre l'exécution du service public de la fourniture de l'électricité, […] a la nature d'ouvrage public ; qu'il résulte de ces constatations et énonciations que le fournisseur de matériaux destinés à sa construction était fondé à se prévaloir du privilège de l', dit privilège de pluviôse » ().
Un privilège qui implique l'agrément exprès préalable du fournisseur par l'acheteur ?
Aucun texte récent (3) n'est venu préciser les modalités de forme ou de fond relatives à l'agrément du fournisseur. Mais une chose est sûre : l'agrément visé par l'article 131 du décret marchés publics a un fondement juridique différent de l'agrément des conditions de paiement visé par l'article 3 de la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance. Cette dernière s'articule avec l'obligation de demander l'acceptation du sous-traitant par l'entreprise principale.
C'est d'ailleurs au fournisseur, et non à son client (entreprise titulaire ou sous-traitante du marché public de travaux), d'engager les démarches pour se faire agréer le cas échéant.
C'est, in fine, la jurisprudence qui indique le cadre juridique applicable. Celui-ci se subdivise en deux hypothèses distinctes. En effet, les juges judiciaires considèrent que l'agrément n'est pas obligatoire en soi pour bénéficier du privilège de pluviôse « et que l'opposabilité à la masse du privilège dont il s'agit ne dépend pas de l'accomplissement de cette formalité » (). Ils précisent, cependant, que « l'agrément exprès prévu à l' [de 1964, aujourd'hui abrogé] n'est exigé que vis-à-vis des seuls créanciers bénéficiaires d'un nantissement sur le marché de travaux publics » ().
Cette dichotomie revient à dire qu'en cas de nantissement, au profit d'un tiers, de la créance découlant du marché de travaux ou de l'acte de sous-traitance, le fournisseur ne pourra opposer son privilège que s'il « justifie d'un agrément exprès donné par l'autorité compétente aux fournitures dont le privilège garantit le paiement, porté sur le registre des agréments antérieurement à la date de signification de la cession de créance au comptable public assignataire désigné dans le marché » ().
Et, dans l'hypothèse où le maître d'ouvrage aura réglé l'ensemble du marché, le fournisseur ne pourra lui demander le paiement de ses fournitures. En cas de liquidation judiciaire (), il devra s'adres-ser au représentant des créanciers pour déclarer sa créance dans les mêmes conditions que les autres créanciers ( ), c'est-à-dire selon les modalités définies aux articles à et à du Code de commerce.
C'est au fournisseur, et non à son client, d'engager les démarches pour se faire agréer le cas échéant.
Un privilège qui suppose une démarche auprès du comptable public
Les règles de la comptabilité publique sont claires : toutes oppositions ou autres significations ayant pour objet d'arrêter un paiement doivent être faites entre les mains du comptable public assignataire de la dépense. Toutefois, le Conseil d'Etat a considéré, dans son avis du 9 juillet 1996 précité, « qu'il n'incombe pas aux comptables publics, chargés du paiement des dépenses […], de veiller au respect du privilège mais qu'il appartient au contraire à ses bénéficiaires d'en assurer l'efficacité ». Cela implique qu'« en l'absence de dispositions spécifiques, l'exercice du privilège est soumis aux conditions et procédures de droit commun » que le fournisseur doit engager, via , le cas échéant, un huissier.
Il en conclut que, « dès lors que la réalité de la dette d'une personne publique à l'égard du titulaire d'un marché de travaux publics n'est pas contestée, seule une mesure conservatoire ou une mesure d'exécution, pratiquée entre les mains du comptable public assignataire de la dépense correspondant à l'exécution de ce marché dans les conditions prévues par la loi […] et les décrets susvisés […] ou un avis à tiers détenteurs émis par le Trésor […] ont pour effet d'interdire au comptable public de se dessaisir des fonds dus au titulaire du marché par cette personne publique au profit de quiconque, et de rendre ces fonds indisponibles à concurrence du montant pour lequel cette mesure est pratiquée ou cet avis notifié ».
Compétence du juge judiciaire
En tout état de cause, le privilège de pluviôse, qui a un objet et un fondement différents de la demande de paiement direct et « ne peut être regardé comme une demande de paiement direct » au sens des dispositions prévues par la loi du 31 décembre 1975 sur la sous-traitance, relève de la compétence des juridictions judiciaires (). Et cela, nonobstant le fait que le fournisseur participe à une opération de travaux publics, dès lors que la contestation en jeu porte sur la mise en œuvre et l'étendue d'un privilège ().
