«Des p'tits trous, des p'tits trous, toujours des p'tits trous ». C'est à cette pénible tâche que s'adonne frénétiquement un coléoptère scientifiquement dénommé l'Hylotrupes bajulus pour survivre... Car pour se développer, ce petit longicorne xylophage doit croquer chaque jour une quantité de bois résineux aussi importante que son propre volume ! Difficile défi qu'il ne pourrait probablement pas relever sans une collaboration extérieure et bien involontaire : la vôtre !
Apprenez en effet que le lieu de prédilection de ce capricorne se situe sous votre toit et plus précisément dans votre charpente. A l'abri des regards et des intempéries, le petit insecte noir et velu perce et excave sans relâche, rongeant ainsi secrètement par l'intérieur l'armature de votre doux logis. Des traitements chimiques stoppant cette occupation clandestine existent fort heureusement et peuvent tirer d'affaires les tristes hôtes. Mais la liberté a un coût que tout propriétaire n'est pas prêt à supporter.
C'est pour cette raison que les hauts magistrats de la Cour de cassation ont été appelés à se pencher sur les ravages de l'Hylotrupes bajulus, vulgairement dénommé capricorne des maisons.
Une aimable dame décida un jour d'acquérir un chalet de bois. Elle paya le prix de l'habitation à l'entrepreneur qui l'avait construite. Quelque temps après son acquisition, elle constata la présence de capricornes xylophages dans les bois de sa nouvelle demeure. Souhaitant obtenir réparation du préjudice causé par les longicornes, la propriétaire assigna l'entrepreneur et son assureur en garantie décennale.
Quand le constructeur doit payer pour le capricorne
La cour d'appel d'Orléans la considéra dans son bon droit et condamna solidairement l'entreprise et l'assurance à lui verser une somme d'argent importante au titre du coût de traitement contre les insectes xylophages. Les deux entreprises décidèrent alors de se pourvoir en cassation estimant que leur responsabilité ne pouvait être retenue au titre de l'article 1792 du Code civil. Selon eux, en effet, les juges du second degré n'avaient pas établi que la présence des capricornes constituait un dommage compromettant la solidité de l'ouvrage ou le rendant impropre à sa destination. La déconvenue frappa les requérants lorsque les hauts magistrats de la Cour de cassation rejetèrent leur pourvoi. Les juges, semble-t-il très intéressés par les modes de vie et de reproduction des insectes en cause, entérinèrent l'explication de leurs pairs. Ils rappelèrent que l'ensemble de la construction en bois était contaminé par les insectes et que le traitement des bois apparaissait indispensable « en raison du cycle larvaire, de la prolifération et des moeurs de reponte de ces insectes » alors que « les panneaux offraient une maigre résistance aux coléoptères ». Il résultait donc clairement de ces motifs que l'immeuble construit par l'entrepreneur « était compromis dans sa solidité et impropre à sa destination ».
Nul ne sert de cacher le coléoptère
Les magistrats de la troisième chambre civile de la Cour de cassation avaient déjà eu affaire quelques mois auparavant à une histoire mettant en scène la même petite bête... Il s'agissait cette fois-ci d'une propriétaire qui avait vendu sa maison sans avertir les acquéreurs de la présence de nos amis les capricornes. Ceux-ci avaient largement investi la demeure puisqu'il fut établi que la charpente en était infestée malgré l'application d'un traitement antiparasitaire réalisée quelques temps avant la vente. Le cas était grave car la gente dame propriétaire des lieux n'avait pas cru bon d'informer les futurs acquéreurs de la cohabitation qu'elle menait avec les xylophages. Lorsque le couple d'acheteurs s'aperçut de la supercherie après avoir pris possession de sa nouvelle demeure, il se sentit floué et demanda l'annulation de la vente pour vice du consentement. Il assigna donc la vendeuse pour dol par réticence sur le fondement de l'article 1116 du Code civil. Son action fut validée et la vente annulée. La propriétaire blessée et indignée par cette décision décida de se pourvoir en cassation mais ne fut pas plus « chanceuse » dans cette action puisqu'elle se vit opposer un rejet.
La Cour souligna que la propriétaire « connaissait la présence de capricornes dans la structure du bois de l'immeuble puisqu'elle avait fait procéder très peu de temps avant la signature de la promesse de vente à un traitement curatif de la charpente ». Elle n'en avait pourtant pas informé ses cocontractants et s'était même « abstenue de leur remettre le certificat établi par l'entreprise ayant effectué le traitement qui garantissait l'exécution ..sans problème'' de nouvelles injections hypothétiques ». La propriétaire s'était donc livrée à une manoeuvre dolosive car la non-communication de cet élément substantiel de la chose vendue avait été « déterminante dans le consentement des acquéreurs ».
La puissance de l'insecte
L'incidence de ces petites bêtes que sont les capricornes xylophages est donc de taille puisqu'elle peut aboutir à l'annulation pure et simple d'un contrat de vente !
Sachez toutefois qu'une telle décision ne se prend pas à la légère et doit sanctionner une absence de consentement valable. L'article 1109 du Code civil est clair sur ce point : « Il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol. » Lorsque le consentement n'est pas vicié, d'autres actions restent à la disposition des victimes.
C'est ce qu'a tenté de plaider un couple d'acquéreurs d'un immeuble à usage d'habitation, qui découvrit des capricornes sur les pannes de sa charpente. Dans cette affaire, les vendeurs avaient pourtant, conformément à un arrêté préfectoral, annexé une attestation relative à l'état parasitaire de l'immeuble vendu. Celle-ci, réalisée par un architecte, indiquait, à tort, une absence de parasites du bois dans les locaux vendus. La Cour de cassation condamna le spécialiste à réparer le préjudice certain qu'avait causé son attestation erronée. Elle écarta en revanche l'action pour vice caché mené à l'encontre des propriétaires. L'acte de vente contenait en effet une clause exonérant les vendeurs « du chef du vice de la chose vendue du fait de parasites xylophages » puisqu'ils avaient annexé une attestation au contrat.
Ces différentes affaires démontrent la formidable puissance du capricorne xylophage coléoptère. Une puissance physique réelle que l'insecte exerce dès son état de larve, grâce à des mandibules et une forte armature buccale, afin de se délester des charpentes, quitte à entamer les feuilles de métal placées au contact du bois ! Une puissance reproductrice qui lui permet de donner naissance à d'innombrables générations qui, se succédant pendant dix à vingt ans dans une même pièce, peuvent ainsi détruire totalement son bois ! Une puissance juridique enfin, puisque sa force destructrice peut donner lieu à l'annulation d'une vente d'immeuble.
Domaines concernés
Droit de la construction
Droit des assurances
Droit des obligations
Références
Cour de cassation, 3e chambre civile, 25 septembre 2002, «Société AM. Prudence c./Riand et A» (no 1306 FS-D).
Cour de cassation, 3e chambre civile, 28 mai 2002, «Jourdan c./Epoux Benard» (no 01-00443).
Cour de cassation, 3e chambre civile, 26 septembre 2001, «Epoux Degennes c./Minguet» (no 99-21764).
Points clés
La présence de capricornes coléoptères xylophages dans une construction peut donner lieu à la mise en cause de la responsabilité décennale du constructeur.
L'infection de l'ouvrage par les insectes compromet sa solidité et le rend impropre à sa destination.
Les acquéreurs d'un immeuble à qui l'on cache qu'il est infesté par une colonie d'insectes peut demander l'annulation du contrat de vente.