En octobre dernier, vous avez signé le plus gros contrat de votre histoire -530 millions d’euros- sur le projet Iter à Cadarache. Surtout, vous le considérez comme emblématique de votre stratégie. Pourquoi ?
Guy Lacroix : Le contrat Iter est exceptionnel à plus d’un titre. Tout d’abord parce qu’il concrétise les efforts menés depuis plusieurs années pour développer des synergies entre les différentes entités dont j’ai la responsabilité. C’est-à-dire Cofely Ineo bien-sûr, mais aussi Cofely Axima (le mandataire) et Cofely Endel. Alliés à nos partenaires allemands M+W Group, nous avons réussi à construire une offre compétitive face à des concurrents puissants. En nous choisissant, Fusion for Energy (organisme de l’Union européenne qui porte la contribution de l’Europe au projet Iter, ndlr) conforte notre positionnement stratégique en tant qu'acteur de 1er rang dans le secteur du nucléaire au titre de concepteur-installateur et plus globalement sur des sujets complexes. Maintenant, tout reste à faire…
Justement, en quoi consiste le contrat ?
GL : Nous sommes en charge de la conception, des études, de la réalisation et de la maintenance des équipements de CVC (chauffage, ventilation, climatisation), de l’électricité (courants forts, courants faible, éclairage) et des installations mécaniques sur les 13 bâtiments du site (97 200 m2, ndlr) dont le «Tokamak» qui abritera le réacteur lui-même. Le complexe «Tokamak» d'Iter sera le plus grand, jamais construit dans le monde. C’est tout à fait exceptionnel et participer à l’aventure de la fusion nucléaire est extrêmement motivant.
Quelles sont vos ambitions dans le secteur nucléaire ?
GL : Nous voulons figurer parmi les leaders du marché. Outre le projet Iter, nous sommes entrés en phase active de proposition sur le projet d’EPR au Royaume-Uni avec Cofely Endel. Nous sommes attentifs également à la Turquie, ainsi qu'au projet UK de GDF-SUEZ et bien évidement à ce qui se prépare en France, avec le projet de prolongation de durée de vie du parc nucléaire (dit «grand carénage»). Un arrêt de tranche de centrale, équivaut à quatre ans de travail !
Comptez-vous augmenter la part des grands projets dans l'activité de Cofely Ineo ?
GL : Cela fait partie de nos priorités stratégiques depuis quelques années. Nous nous sommes engagés dans une dynamique collaborative pour mieux connecter nos savoir-faire et attaquer les grands projets. Notre première grande réalisation dans ce contexte, a été le tramway de Dijon (mis en service fin 2012, ndlr) qui a nécessité l’intervention de 7 directions déléguées. La part des grands projets augmente actuellement dans notre activité.
Mais plus grand projet rime aussi avec plus grand risque…
GL : C'est vrai que les écueils sont souvent proportionnels à la taille d'un projet, mais nous avons travaillé sur des processus spécifiques, qui garantissent un management d’affaire rigoureux et des organisations dédiées. Les caractéristiques des grands projets sont les coûts d'études avant-vente. L'investissement de la phase étude est une réelle prise de risque. Rendre l'offre pour le projet Iter, a nécessité des milliers d’heures d’études. Pour information notre offre représentait une masse de documents de 1m90 de hauteur. C’est très significatif dans le plan de charges de nos équipes.
Renonceriez-vous à des opérations si les coûts avant-vente devenaient trop lourds ?
GL : Je ne pense pas. Notre stratégie est d’investir le champ des grands projets parce que ces grandes opérations tirent l'entreprise vers le haut et professionnalisent toutes nos équipes.
Le numérique est-il en train de révolutionner vos métiers ?
GL : Oui, très clairement. Pas un jour ne se passe sans que l’on parle de «smart grids», de «smart buildings» et autres «smart cities»... Même si derrière ces technologies et concepts se côtoient des réalités fort différentes, on ne peut ignorer le phénomène. C’est pourquoi nous avons ajouté «une couche» de technologies à nos métiers. En termes de business model, cela représente pour nous une véritable stratégie d'investissement. Notre ambition est de développer la "brique numérique" qui nous permet de garder le contact avec le client final, car nous ne voulons pas nous retrouver en position de sous-traitant.
Développée à partir de nos savoir-faire, cette "brique numérique" garantit l'interface entre nos métiers traditionnels et nos clients. La tendance forte de nos projets de demain se dessine vers des projets globaux avec une couche de "smart".
L’écosystème dans lequel vous évoluez est très mouvant et les acteurs de plus en plus diversifiés (opérateurs télécom, géants du net…), comment s’adapter ?
GL : Paradoxalement, nous nous adaptons en restant constants dans notre stratégie : rester sur le B to B et affiner notre connaissance des besoins clients. Il ne faut pas confondre l’intelligence et l’outil. La technologie est un moyen d'optimiser les réponses à des besoins métiers. C’est cette stratégie qui nous a permis par exemple de réaliser l’installation de vidéo protection dans 600 villes en France. Notre connaissance nous donne une longueur d’avance. Les grandes entreprises internationales de technologies, qui développent des solutions de très haut niveau sont intéressées par le fait de travailler avec nous. L'innovation se déploie ainsi dans une dynamique partenariale, avec un écosystème riche de créativité.
Vous avez fait le choix de développer vos propres technologies. Pourquoi ?
GL : En tant qu'intégrateur nous déployons des solutions globales, en nous appuyant sur nos propres technologies. Ceci notamment, au travers d'une plateforme technologique, que nous avons développée et qui nous permet d'agréger tous nos métiers traditionnels.
Cette stratégie d'innovation porte ses fruits ?
GL : Oui, d’autant plus qu’elle nous ouvre des portes. Par exemple : à plusieurs reprises, nous avons travaillé avec la Direction Générale de l'Armement sur des problèmes d’organisation logistiques où nous avons apporté nos savoir-faire en termes de planification et de capacité de calcul du besoin. Le premier marché que nous avons remporté s'appelle ORRMA et concerne le maintien en conditions opérationnelles des aéronefs de l'armée française c’est-à-dire la gestion des pièces de rechange. Ces connaissances, nous ont amené à postuler à différents marchés dont le point commun est la complexité, liée à la gestion du volumétrique et au calcul du besoin. Cela nous a amené, à nous intéresser avec 16 PME françaises du secteur de l'habillement, aux marchés d'externalisation de la fonction habillement, du ministère de la défense et de la police nationale. C'est un nouveau positionnement stratégique en termes de relation client et de relation avec les PME.
Vous allez créer à Toulouse une plateforme pour répondre aux enjeux de l’efficacité énergétique. Quel est l’objectif ?
GL : Ce projet, Smart ZAE, est mené en partenariat avec l’INP Toulouse (laboratoire Laplace, les sociétés Cirtem et Levisys. Il s’agit de créer un smart grid à l’échelle d’une zone d’activité économique qui disposera d’installations en grandeur réelle (éoliennes, panneaux photovoltaïques, stockage d’énergie par batteries mais aussi par volant d’inertie, réseau à courant continu, système de gestion d’énergie…) J’ajoute que cette plateforme qui sera officiellement inaugurée dans les prochaines semaines est une belle illustration des synergies entre un laboratoire de recherche public, un major de l’énergie et deux PME.
Par ailleurs nous avons créé sur le même site un laboratoire commun avec l’INP Toulouse et Cirtem afin de bénéficier d’une plateforme de recherche et d’essais en conversion d’énergie, destinés aux infrastructures électriques et ferroviaires. Travailler sur la conversion d’énergie consiste à concevoir des systèmes qui agissent sur les flux et la qualité de l’électricité. Le laboratoire permettra de travailler en conditions réelles avec des fortes puissances.
Quelle est votre philosophie en termes de R&D ?
GL : Notre entreprise investit dans la R&D de façon conséquente. Cette R&D résulte d'une dynamique d'innovation et d'une vision stratégique de l'évolution de nos métiers. La connaissance de nos clients doit nous permettre d’anticiper leurs besoins et de créer les outils adaptés. Par exemple, nous co-pilotons, avec l’Université Numérique Paris Ile-de-France, un projet de R&D baptisé UnivCloud qui va permettre le développement d’une plateforme «cloud communautaire inter-universités». A terme, cet outil doit permettre aux établissements et aux usagers de bénéficier de services mutualisés et personnalisés, d’une meilleure gestion des compétences et donc d’une diminution des coûts. Cette expérience nous a permis d'être retenus, pour réaliser le projet de Cloud privé, du groupe GDF-SUEZ
Comment développe-t-on une dynamique d’innovation et de co construction à l’échelle de Cofely Ineo de Cofely Axima et de Cofely Endel ?
GL : L’innovation est le bénéfice d’un management par la confiance. Mon rôle ainsi que celui de tous les responsables des entités dont je m’occupe, est de créer les conditions de la confiance : par le respect, par la solidarité, par l’exigence et par l’enthousiasme. Moins d’esprit de gestion, plus d’esprit d’entreprise ! Ca peut sembler fort théorique mais c’est la posture que j’attends de l’ensemble de mes équipes et pour l’heure, ça fonctionne plutôt bien.