Si on excepte le changement de patronyme de Materis Paint, qui a opté pour Cromology en juillet 2015, et la cession des activités B to B de Blancolor (et de ses 18 agences) au groupe Allios en novembre de la même année, le négoce décoration semble plutôt tranquille.
« Les rapports de forces n'ont guère évolué depuis 2012, date de notre dernière grande étude sur notre branche, relate Dorothée Bruchet, secrétaire générale de la Fédération nationale de la décoration (FND). Les grandes surfaces de bricolage (GSB) dominent toujours, avec près de 42 % du marché en valeur. Elles sont talonnées par les grossistes en produits de décoration (près de 38 %). Loin derrière, on trouve les négoces généralistes et multispécialistes (autour de 3-4 %). » Ces positions n'ont pas été affectées par l'évolution du marché : - 2,80 % en 2013 ; - 0,40 % en 2014 ; - 0,70 % en 2015 (source : FND).
Pour 2016, qui s'est terminé sur une hausse de 1,30 %, les acteurs dressent un bilan mitigé. « Morose » (Thomas Pestourie, directeur général d'Unikalo). « Au mieux stable » (Michel Plana, directeur du marketing et de la communication d'Onip). « Une année toujours difficile sur un marché en quasi-stagnation depuis trois ans » (Mathieu Lebettre, responsable des opérations de Caparol Marketing Services France). « Mitigée » (Consuelo Bemou-Ferrat, responsable de marché décoration de Socoda). « Moins mauvais qu'il y a deux ans » (Hugues Le Metter, directeur général de Sikkens Solutions). « Marché atone » (Jérôme Maton, directeur général de Tollens)…
PP G lorgne AkzoNob el. Mais comme le rappelle Gaëtan Bartra, directeur des réseaux de distribution de PPG France, il ne faut se fier à cette apparente inertie : « La course au réseau reste d'actualité. Les enseignes continuent à fermer ici et ouvrir là, développant d'un côté et restructurant de l'autre. Et si le calme règne sur le terrain des fusions-acquisitions et des concentrations depuis quelque temps, rien n'indique que les grandes manœuvres sont terminées, bien au contraire. En atteste l'offre de rachat d'Akzo Nobel émise par PPG le 8 mars 2017, pour 20,9 Md€. Même si elle a été rejetée par le groupe néerlandais le lendemain, cela va bouger dans le monde de la peinture. » Notamment dans le négoce décoration.
« Face à la guerre des prix initiée par les industriels, nos adhérents ont du mal à suivre : les volumes sont là, mais avec des marges érodées. » Consuelo Bemou-Ferrat, responsable de marché décoration de Socoda
La filière fait face à plusieurs défis qui ne sont pas sans incidence sur les orientations stratégiques des réseaux et des enseignes prises pour les années à venir. Certes, ces enjeux divergent selon la typologie des acteurs, industriels ou distributeurs, la taille de leur parc d'agences, la surface des points de vente, le poids du non-paint et des particuliers dans le chiffre d'affaires. Néanmoins, tous les intervenants identifient et formalisent trois défis majeurs.
1 LA TENSION SUR LES PRIX
La conjoncture toujours aussi incertaine, l'asthénie du marché de la rénovation, l'étiolement du budget travaux des particuliers ou encore le travail détaché exercent une forte pression sur les tarifs de vente des distributeurs. Le phénomène ne touche pas les seuls négoces, selon Michel Plana, directeur du marketing et de la communication d'Onip : « Les grandes surfaces de bricolage en souffrent aussi. » Mais, à en croire certains intervenants, au moins un autre facteur joue. « Les fabricants de peintures y jouent un rôle prépondérant, persifle Marc Mafille, directeur du marketing du groupe Allios-Jefco. Leur objectif est de faire tourner leurs usines. Si leur propre réseau de distribution ne gagne pas d'argent, ce n'est pas un souci pour eux. » Cette tactique inquiète les enseignes spécialistes.
C'est le cas pour Socoda, allié de Jefco dans Iris Décoration, la centrale de référencement sur le non-paint. « Face à cette guerre des prix initiée par les industriels, qui s'explique par leur besoin de maintenir leur rythme de production, nos adhérents ont du mal à suivre : les volumes sont là, mais avec des marges érodées », constate Consuelo Bemou-Ferrat, responsable de marché décoration du groupement.
Espace Revêtements ne partage pas entièrement ce point de vue. Et Alain Déposier, son directeur général, de moduler le tableau : « Il est évident que le rôle des fabricants est primordial sur un marché aussi concurrentiel. Cependant, si ces derniers orientent le prix d'achat des produits dans les réseaux, ils n'ont pas la maîtrise des marges commerciales, lesquelles sont appliquées par les réseaux eux-mêmes. Selon les stratégies de ces derniers, les prix peuvent effectivement intégrer ou non les frais inhérents aux notions de service, de qualité ou de garantie pour la mise en avant du produit. »
Le titane flambe de 20 %. Le phénomène devrait s'estomper en 2017. Les principaux fabricants - dont PPG AC et Tollens - ont relevé leurs tarifs, d'au moins 2 %, au 1er janvier. La raison ? « Le renchérissement depuis quelques mois du coût des matières premières [NDLR : pigments, résines, solvants et autres diluants représentent 50 à 60 % du prix de revient d'une peinture], explique Iérôme Maton, directeur général de Tollens (Cromology). Le Syndicat national des industries des peintures (Sipev) confirme par la voix de Dominique Ayoul, son porte-parole: « Certains composants ont vu leur prix s'envoler. Nous ne disposons pas de statistiques consolidées pour le moment [NDLRz prévues pour la fin avril]. Néanmoins, d'après nos chiffres provisoires, les hausses sont très fortes depuis le lerjanvier: + 7 % pour la résine acrylique; + 12 % pour le dioxyde de titane (et +20 % depuis juin 2016); +6% pour l'emballage métal.»
2 LA TRANSITION NUMÉRIQUE
À la question « Avez-vous un site de vente en ligne ? », tous les intervenants sont à l'unisson. « Nous réfléchissons sur la manière de faire » (Marc Mafille, Jefco). « La question de la couleur reste compliquée. On cherche une solution » (Hugues Le Metter, Sikkens Solutions). « On y pense notamment pour attaquer le marché des particuliers » (Consuelo Bemou-Ferrat, Socoda). « On réfléchit. Ce n'est pas simple, car la peinture est un pondéreux au coût de transport élevé » (Jérôme Maton, Tollens).
Il est vrai que les premières initiatives ont été des échecs. « Nous avons lancé notre site en 2007, raconte Thomas Pestorie, directeur général d'Unikalo. Le succès n'était pas au rendez-vous. Nous travaillons pour lancer la deuxième version du site fin 2017-début 2018. » Et Mathieu Lebettre, responsable des opérations de Caparol Marketing Services France, de synthétiser la pensée de tous : « Les produits de décoration restent des produits spécifiques, les choix des clients finaux sont liés aux goûts et aux émotions. Un écran ne remplacera jamais le contact avec le produit, sa couleur, sa texture… De plus, la mise à la teinte nécessite d'être proche des consommateurs, donc un maillage territorial. » Ce manque d'investissement sur le Web fait le jeu de leurs principaux concurrents que sont les grandes surfaces de bricolage (GSB). Leroy Merlin, Castorama ou encore Brico Dépôt disposent déjà d'une offre importante. Il faut également compter avec les pure-players. Ainsi, Amazon propose 10 000 références de peintures, solvants et outils ; Cdiscount plus de 5 000, dont des revêtements de sols (parquet, dalles, lames PVC, LVT) et de façade.
En attendant Fab-Dis. Mais attention, la transition numérique ne se résume pas au seul e-commerce. Cela concerne aussi la dématérialisation des factures fournisseurs, le paiement en ligne, les services multicanaux (click & collect, drive, points relais… ), les solutions de traitement et d'analyse des données… Là aussi, « le secteur est fort peu numérisé », remarque Mathieu Lebettre. Et Robert Mourral, président de la FND, dresse un diagnostic sans appel : « Ne tournons pas autour du pot. Si on compare à d'autres filières, notre branche a tardé à lancer sa mue numérique. Mais rien n'est perdu. » La FND, qui prône le travail collaboratif, planche sur le déploiement de Fab-Dis, base de données fournisseurs déjà utilisée par le négoce en matériel électrique. « Cette standardisation bénéficiera à tous, insiste Robert Mourral. Les acteurs vont gagner en qualité, donc en productivité, dans leurs échanges de données informatisés. » Fab-Dis sera installé courant 2017 dans les systèmes d'information des négoces. Restera à en démontrer le bien-fondé aux fabricants.
3 LA COLLECTE DES DÉCHETS
Les négoces reconnaissent l'importance de l'enjeu. Mais tous, ou presque, calent leur pas sur ceux de la FND [et de la Fédération des industries des peintures, encres, couleurs pour les fabricants-distributeurs (Fipec)]. « C'est un enjeu de filière, justifie Franck Jorion, directeur général d'Agir. Notre démarche est donc syndicale, et notre réponse sera collective. » Dans ce contexte, les distributeurs attendent les résultats des divers recours juridiques en cours afin de clarifier les obligations de chacun, selon Mathieu Lebettre : « La réglementation à ce jour est extrêmement pénalisante pour l'un des derniers secteurs où les commerçants indépendants ont une présence significative. L'impact sur les centaines de PME constituant la force vive du secteur et les milliers d'emplois concernés pourrait être dramatique. » Quelques initiatives existent déjà. Socoda propose le service de gestion des déc h e t s Professionnel Éco-Responsable à son réseau. Un bac de stockage est installé chez le peintre et un site Internet l'aide à gérer l'enlèvement des restes de peinture. Ce service, délégué à un acteur de la filière recyclage-récupération, évite le stockage des déchets dans les agences des grossistes et anticipe les dispositions (discutées) du décret sur la collecte des déchets. Elle se distingue du service proposé depuis 2 0 0 9 p a r Seigneurie (groupe PPG), qui collecte sur le point de vente.

