Le monde industriel à la recherche d'un nouveau Graal sanitaire

Les rachats de Sanitec par Geberit et de Grohe par Lixil vont rebattre les cartes du secteur. En attendant, les industriels cherchent de nouveaux relais de croissance, au premier rang desquels figurent les bâti-supports, les « rimless » et les toilettes lavantes.

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Tombée au mois d'octobre 2014, l'information a fait l'effet d'une petite bombe sur le marché. Le groupe suisse Geberit, spécialisé dans la fabrication d'installations sanitaires (mécanismes de réservoir, bâti-supports, canalisations), a annoncé le lancement d'une offre publique d'achat (OPA) pour un montant dépassant le milliard d'euros sur le groupe finlandais Sanitec, surtout connu en France pour sa marque de salle de bains Allia (mais également Selles et Keramag). La finalisation de la transaction, prévue courant mars, donnera naissance au « leader sur le marché européen des produits sanitai- res », selon Albert Baehny, PDG de Geberit. Cette prise de contrôle permet au groupe suisse de mettre la main sur le numéro un européen de la céramique sanitaire (lavabos, WC, baignoires, receveurs, bidets, meubles de salle de bains...) et de générer un chiffre d'affaires de près de 2,65 Mrds€. Un résultat qui lui permet de devancer largement ses principaux rivaux Roca (1,57 Mrd€) et Grohe (1,45 Mrd€).

Des prises de position en cascade

L'acquisition est aussi l'occasion, pour Geberit, de renforcer sa présence auprès des particuliers et dans les showrooms, comme l'explique Ara Shahnazaryan, responsable du marketing de la filiale française : « Ce rachat n'est pas qu'un choix industriel ou financier, il répond aussi à une logique de marque. Nous nous adressons aux installateurs et aux techniciens, mais ce n'est pas suffisant aujourd'hui. Il nous faut parler aux consommateurs finaux, ce que les marques du groupe Sanitec, notamment en France, font très bien. » Dans un communiqué, Albert Baehny, son président, confirme : « Ces aspects sont cruciaux, en particulier sur les marchés où les clients finaux prennent eux-mêmes les décisions. » D'autant que la nouvelle entité a encore des opportunités pour grignoter des parts de marché. Si Geberit réalise 53 % de ses ventes en Europe centrale (Allemagne, Autriche, Benelux et Suisse), elle n'écoule que 14 % de ses produits en Europe du Sud (France, Italie, Portugal et Espagne), 11 % en la Scandinavie et 10 % en Europe de l'Est.

L'opération n'est que la dernière d'une longue liste ces vingt-quatre derniers mois. On y trouve ainsi Lixil, numéro un japonais des salles de bains (lui-même produit de plusieurs fusions) : au printemps 2013, aux États-Unis, il a acquis American Standard et ses quatorze sites de production, pour quelque 400 M€. En septembre de la même année, il a mis la main sur Grohe, « l'une des marques les plus connues dans le marché mondial des sanitaires », selon Yoshiaki Fujimori, président de Lixil. Ce dernier rapprochement a donné naissance à un géant qui, dans le secteur des sanitaires, devrait générer un chiffre d'affaires annuel de plus de 4 Mrds€, devant un autre groupe japonais, Toto.

De son côté, en 2012, Delabie, spécialiste en robinetterie et équipements sanitaires pour les établissements accueillant du public, a acquis Kuhfuss Sanitär, numéro deux du sanitaire Inox en Allemagne. De plus, en septembre 2013, le groupe familial français a repris la société portugaise Senda, acteur majeur dans la fabrication d'appareils sanitaires Inox (vasques, urinoirs, toilettes...).

Les fabricants lâchent la bride

Concomitamment, les industriels ne cessent pas de chercher de nouveaux relais de croissance, notamment en innovant. « C'est indis- pensable dans la conjoncture actuelle, juge Yves Daniélou, directeur général France des activités commerciales et marketing d'Allia. Le marché de la céramique est difficile et ce, depuis plusieurs années. » Pourtant, Allia prévoit de terminer l'année avec un chiffre d'affaires en hausse. Pour le porte-parole du premier vendeur de cuvettes de France, cette réussite tient en un mot : innovation. « Nous avons gagné des parts de marché en commercialisant des modèles novateurs, comme le sans-bride. Nos six premières cuvettes Rimfree ont rencontré un vrai succès, à tel point que nous avons vendu plus de WC suspendus sans bride que de modèles suspendus avec », révèle-t-il. L'autre gros succès de la marque concerne le pack WC au sol Prima 6. « Conçu et fabriqué en France, il présente plusieurs innovations qui ont nécessité deux brevets. Le première concerne un nouveau système de fixation de la cuvette au réservoir (avec une simple molette de serrage). Quant au second, il permet de changer la configuration de la chasse d'eau (en passant d'une configuration 3/6 L à 3/4,5 L et vice-versa, en cas d'incompatibilité de l'installation existante). »

Les industriels s'attaquent donc à de nouveaux territoires. Le premier est le sans-bride. Les principales marques se sont positionnées en proposant chacune leur dénomination propre : directflush pour Villeroy & Boch, Rimfree pour Allia, Rimless pour Duravit.... Devant le succès de cette famille de produits, elles ont même accéléré la commercialisation de nouveaux produits. « Nous avons été surpris par la demande, confie Bérangère Benet, chef de produits chez Roca. Nous avons même eu des diffi- cultés pour honorer les commandes. Les délais notamment sur les deux cuvettes sans bride chez Laufen ont été importants. C'est pour cela que pour 2015 nous avons beaucoup investi dans l'outil industriel et élargi nos gammes. Nous présenterons deux gammes de pack WC sans bride sous la marque Roca et des modèles dans la collection Kartel chez Laufen. » Il en va de même chez Ideal Standard. « Nous avons beaucoup investi dans cette catégorie, car cette technologie offre la possibilité de revaloriser un produit et de créer de la valeur sur un marché très bataillé, analyse Delphine Fragai, directrice marketing et communication du groupe. Nous proposons deux modèles suspendus sur la ligne Connect, et un modèle sur les lignes Khéops, Softmood et Dea. »

Entre hygiène et confort

Le second territoire concerne le bâti-support. Devant la réussite de Geberit et face à la baisse continue des ventes de WC au sol, les concurrents débarquent sur ce créneau, tel Villeroy & Boch. L'industriel de la céramique sanitaire a fait son entrée sur le segment du suspendu avec des offres packagées cuvette + support + plaque de commande. « Notre gamme comprend cinq bâti-supports et trois plaques, dont deux en ABS et une en verre, détaille Virginie Georges, chef de marché. La gamme sera proposée dans un premier temps avec les cuvettes O.novo DirectFlush et O.novo Compacts. L'objectif est de nous positionner au cœur du marché tout en valorisant notre savoir-faire de céramiste. » De même, Wirquin, fabricant d'abattants français, dispose d'une ligne avec deux modèles et de plusieurs références de plaques de commandes depuis quelques mois. Même SFA propose son bâti universel, le Saniwall, avec un broyeur intégré.

Troisième domaine, le lavant, segment de niche - estimé actuellement à 10 000 unités - attise les convoitises. Pour preuve, pour Ideobain 2011, seuls Geberit AcquaClean et Toto exposaient des modèles. Lors de l'édition 2013, une dizaine de marques présentaient au moins un produit. Aujourd'hui, Johann Suzanne, chef de projet chez Geberit AcquaClean, recense plus de 50 références : « La concurrence se fait de plus en plus sentir sur ce segment. Les céramistes qui y distinguent un relais de croissance commencent à se positionner, à l'image de Villeroy & Boch ou de Duravit, mais également les fabricants d'abattants comme Olfa. Grohe aussi s'est lancé. » Bref, cette progression à deux chiffres attire.

Dans ce contexte, la compétition s'annonce rude, quelle que soit la famille de produits. D'autant que l'effet marque est quasi nulle sur ce marché. Même en notoriété assistée, les scores sont très bas. Cette réalité va peut-être pousser les acteurs les plus modestes à se rapprocher pour affronter les nouveaux géants du sanitaire.

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