"Le monde de l'économie sociale et solidaire a investi les questions d'urbanisme à sa façon, le BTP à la sienne, faisons les se rencontrer et se parler !", Mélanie Marcel

SoScience fait se rencontrer le monde de la recherche, de l’économie sociale et solidaire et de l’industrie pour faire se développer des solutions avec un impact socio-environnemental positif. Sa fondatrice Mélanie Marcel, ingénieure de formation, explique au Moniteur comment ce nouveau mode de coopération pourrait s'appliquer au BTP.

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Mélanie Marcel, fondatrice de SoScience.

Comment SoScience intervient-elle auprès des entreprises qui mettent de plus en plus en avant leur engagement social et environnemental ?

Chez encore beaucoup d’entreprise, il y a un côté « RSE années 90 » : on se dit « le but c’est de réduire nos impacts négatifs en mettant des pansements à droite à gauche et on s’engage parallèlement auprès des communautés ».

SoScience accompagne un changement de mentalité de ces entreprises : on passe de cette volonté de réduire les impacts négatif à la volonté d’avoir un impact socio-environnemental positif.

La deuxième vision c’est, avec des partenaires très divers, d’arrêter de se concentrer sur sa propre activité et intégrer un écosystème plus large, de mettre en place les choses différemment et de changer radicalement le business.

SoScience est spécialisé dans l’open innovation orientée recherche et innovation responsable. Nous travaillons donc sur les enjeux de recherche qui vont avoir des impacts sociaux ou environnementaux positifs.

L’économie circulaire est un bon exemple de cela…

SoScience appartient à un groupe de travail de l’ANRT (Association Nationale Recherche Technologie) pour réfléchir à ces problématiques. Au sein de ce groupe, Michelin a une très belle étude de cas : c’est leur projet « Black cycle » qui consiste à recycler intégralement le pneu. Michelin s’est entouré de nombreux partenaires de sa chaine de valeur, 13 en tout. Pour chaque produit et sous-produit composant un pneu les partenaires se sont demandé : qu’est-ce qu’on peut en faire ? Avec l’objectif de trouver une issue pour chacun de ces composants. Chaque partenaire du projet trouve un intérêt à collaborer avec les autres. Tout cela demande beaucoup de recherche et de développement : la décomposition d’un objet de haute technologie multiplie les débouchés à trouver.

Et la première chose qui manque à un industriel pour cela c’est un facilitateur pour monter un consortium comme Michelin l’a fait. Il faut aller chercher les partenaires un par un, pour les associer et créer un programme de recherche et d’innovation. Tout cela prend énormément de temps, de ressources internes et souvent il manque également une méthodologie et des outils pour faire que ces acteurs s’alignent et travaillent réellement ensemble. Il manque également les structures pour permettre ces mises en relations. SoScience aide justement les industriels à créer ce genre de programmes. C’est une vraie difficulté d’avoir accès au bon partenaire au bon moment.

Est-ce que les industriels n’auraient pas dans ce cas intérêt à concevoir des produits simples à décomposer et à recycler ?

Le gros problème des industriels avec des composés de pointe c’est que pour faire des matériaux qui répondent à un certain nombre de capacités techniques requises, il faut souvent les complexifier. On remarque cela par exemple dans l’industrie de l’embouteillage plastique. Vous avez l’impression qu’une bouteille plastique c’est quelque chose d’assez simple. Mais c’est en réalité composé de plusieurs couches, il n’y a pas forcément qu’une seule sorte de plastique dans la bouteille, tout cela parce que l’on recherche certaine propriétés : la transparence par exemple, la résistance… Pour les pneus c’est pareil et encore plus complexe.

Et votre démarche peut s’appliquer aussi à la construction ?

Nous avons commencé le groupe de travail de l’ANRT et Michelin pour voir si ce genre de démarche peut effectivement intéresser l’industrie du bâtiment.

Aujourd’hui la question environnementale est cruciale, il serait dommage de lancer des projets de R&D coûteux qui ne soient pas acceptés par la société, au sens large, lors de leur mise sur le marché.

Dans le BTP, les questions pourraient tourner autour de l’urbanisme : comment repenser les villes ; comment construire une ville résiliente, qui laisse sa place à la biodiversité, permet de recréer du lien social ou encore comment concilier besoins d’urbanisation et enjeux autour de l’artificialisation des sols dans le respect des territoires.

Prenons les déchets de construction : avec ces déchets vous pouvez créer des sols techniques (de la terre à laquelle sont mélangés des déchets inertes) pour les réintégrer dans des zones urbaines afin qu’on puisse y faire repousser certaines plantes et arbres. Ca c’est un sujet de recherche avec une multitude de questions : quel genre et quelle quantité de déchets peut-on utiliser, à combien de mètres de profondeur faut-il enfouir ces terres mélangées ? Quelles plantes peut-on planter ? Parce qu’il y a des plantes qui vont dépolluer le sol, d’autres non, il faut donc faire des rotations. Tout cela c’est de la recherche très avancée, qui demande des connaissances en santé des sols.

Le monde de l’impact et de l’ESS a investi ces questions à sa façon, le BTP à la sienne, faisons les se rencontrer et se parler !

Comment s'élaborent les projets ?

La méthodologie commence  par le montage d’un premier comité expert pour 'problématiser' le sujet avec une approche orientée usage et besoins de société. Ce comité est composé des différents métiers au sein de l'industriel, auxquels s'ajoutent des experts divers, chercheurs comme acteurs de la société civile, startups et entrepreneurs à impact, concernés par les problématiques, ici de la construction en l’occurrence, et on définit ensemble une question.

Je vous donne un exemple concret avec Nestlé. Notre question autour du plastique était : comment peut-on réinventer le plastique en début et en fin de vie pour qu’il ait des impacts positifs sociaux et environnementaux ? On lance ensuite un appel à projet mondial auprès de différentes catégories d’acteurs. 30 à 50 projets sont sélectionnés. Et au cours d’une journée de rencontre on commence à monter des projets collaboratifs et dessiner des plans d’action à 6 mois pour lancer les collaborations.

Lors de la dernière journée, une vingtaine de projets a émergé. Nous en suivons 3 : un sur le recyclage, un deuxième sur des matériaux biosourcés et biodégradables avec une entreprise sociale kenyane et enfin projet de nouveau contenant, des futs flexibles.

 « Puis-je faire mon métier autrement pour ne pas avoir d’impact négatif ? »

Qui sont vos interlocuteurs au sein des groupes industriels ?

Notre porte d’entrée est différente selon les groupes. Ca peut être le responsable RSE, le plus souvent la R&D mais ce sont aussi parfois les gens de la direction générale. Mais notre première réunion de travail une fois que l’on monte le dossier, nous demandons à ce que tous les départements de l’entreprise participent : R&D, RSE mais aussi marketing et ventes.

Les groupes de BTP voient l’intérêt de ces nouvelles démarches. Il faudrait maintenant que les entreprises se demandent : « quel est mon métier ? ». Un groupe qui construit des routes, au-delà des remarques que l’on peut faire sur l’artificialisation des sols et ses impacts environnementaux, doit se demander « à quoi je sers ». En l’occurrence, transporter les gens et les biens. Et dès lors : puis-je faire mon métier autrement pour ne pas avoir d’impact négatif.

Aujourd’hui beaucoup de grands groupes publient leur « raison d’être ». Ont-ils réellement pris conscience de l’importance d’avoir un impact positif ?

En tout cas il y a eu une évolution très nette. En 2014 quand nous avons déposé les statuts de SoScience, un discours comme le nôtre n’était pas très bien compris. Aujourd’hui, il est compris et accepté tout de suite. Les entreprises voient immédiatement l’intérêt. Il y a eu un changement très profond. En revanche, il faut encore dépasser la démarche classique de réduction des impacts négatifs et penser à plus long terme pour être présent demain.

Et le monde de la recherche comment se positionne-t-il ?

Ce n’est pas l’acteur le plus difficile à convaincre. Tous les chercheurs sont passionnés. Beaucoup font de la recherche pour être utile et travailler avec l’économie sociale et solidaire est valorisant pour eux.

Il reste à faire tomber quelques stéréotypes ou clichés : quand on pense ESS on pense ressourceries, petites entreprises de services. Et quand on pense recherche, science, industrie on pense grand groupe. Eh bien posons-nous cette question : si on donnait l’accès à la recherche à des start-up de l’ESS ? Ne deviendraient-elles pas les grandes entreprises de demain ?

Aujourd’hui en tout cas il manque des outils de financement pour vraiment financer le maillage entre l’ESS et la recherche.

Entre l’industriel, le chercheur et l’entrepreneur social et solidaire, qui a le plus besoin de l’autre ?

Les entreprises de l’économie sociale et solidaire ont vraiment envie de rencontrer le monde de la recherche. Le monde la recherche, sa problématique est plutôt : « j’aimerais un terrain de recherche avec de vraies implications sociales et environnementales ». L’industriel lui a une problématique très complexe : « j’ai besoin de beaucoup de gens pour y répondre, comment les rencontrer ? ».

Quelle est la prochaine étape pour Socience ?

Nous avons formalisé notre méthodologie et créé un kit que nous voulons diffuser le plus largement possible. Et notre première envie c’est d’avoir de plus en plus d’impact. Pour cela, nous formons des ambassadeurs pour qu’ils lancent leur propre programme. Nous travaillons sur une plateforme en ligne qui permettrait de collecter tous les appels à projets de tous les programmes du monde.

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