Le modèle du « BTP à la française » à l’épreuve de la crise

Alors que les experts ne prévoient pas de sortie de crise avant un ou deux ans, les Pme s’interrogent sur la pérennité de leur modèle d’organisation. L’entreprise  de BTP traditionnelle qui s’appuie sur la formation professionnelle, l’insertion sociale et la prévention résistera-t-elle  à la concurrence de la main d’œuvre détachée et à la montée en puissance de la sous-traitance ? A l’occasion de la réunion francilienne du club Excellence du Moniteur, des entrepreneurs ont rappelé leur attachement aux valeurs historiques de la profession.

La sortie de crise, c’est pour aujourd’hui ou pour demain ? A cette question posée en introduction de la première réunion francilienne du club Excellence du Moniteur (1),  le 20 mai à Paris, les chefs d’entreprise présents ont unanimement répondu qu’ils n’entrevoyaient aucune embellie avant 2015 ou 2016. Cette prévision corrobore l’analyse des deux grands témoins invités par Nathalie Moutarde, responsable de la rédaction Ile-de-France du Moniteur. André Régnier (BTP Banque) montrait en effet que si les bilans 2013 des Pme franciliennes sont « encore relativement et globalement corrects »,  un grand nombre de clignotants devraient virer  au rouge au cours des prochains mois : dégradation des trésoreries, tension sur les marges, tendance à l’allongement des délais de paiement, effondrement des prix… « Le plus difficile est devant nous, lançait André Régnier, même si la région parisienne devrait mieux résister que d’autres territoires en raison de la concentration de projets structurants et d’une dynamique économique forte ». Même constat chez Hervé Pichery (KPMG) pour qui « les perspectives d’un rebond d’activité ne seront pas tangibles avant les travaux du Grand Paris Express, à l’horizon 2016 ». Pour l’heure, Hervé Pichery constate un recul des mises en chantier de logements neufs  de 4,4% en 2013, nettement plus accentué au dernier trimestre (-14,4%). Et le rebond de 35% de l’immobilier non résidentiel doit être comparé à une année 2012 particulièrement basse. Sans parler de l’activité des travaux publics « en très net repli depuis plusieurs mois ».

« Heureusement, le secteur du logement social ne s’effondre pas, et le schéma directeur d’aménagement de l’Ile-de-France va permettre à certains projets de monter progressivement en puissance », ajoutait le responsable régional  de KPMG.

Face à ce tableau en demi-teinte, les entrepreneurs membres du club Excellence du Moniteur, étaient invités à s’interroger sur la pérennité du  modèle de la « Pme  à la française ». L’entreprise locale ou régionale dont l’ADN est basé sur la formation, l’insertion, la prévention, le savoir-faire technique peut-elle  sortir indemne de la crise actuelle et de ses conséquences économiques et sociales (baisse drastique des investissements publics, prix écrasés, concurrence de la main d’œuvre illégale ou détachée…).

« Cette situation difficile est rendue encore plus complexe par l’inflation réglementaire qui nous oblige à repenser en permanence  notre organisation », témoignait Francis Dubrac  (entreprise  Dubrac TP, lauréate des Prix Moniteur de la construction 2005). Et d’ajouter : « Je dépense chaque année 40.000 euros pour répondre aux obligations de la DICT et je suis submergé par les démarches administratives liées à la subrogation de la TVA. Nos entreprises étaient des pur-sang. La surcharge administrative en a fait des mulets ».

De son côté, Jean-Marc Médio (entreprise Parenge, lauréate des Prix Moniteur de la construction 2013) pointait la concurrence désormais frontale des travailleurs en détachement. « Bien sûr, je déplore que les entreprises roumaines paient des charges inférieures de 30% aux nôtres, mais ce phénomène sera durable et il va falloir s’y adapter. La seule manière de répondre à ce défi, c’est d’augmenter le niveau de qualification de nos équipes, de mieux former nos cadres, de jouer la carte de l’innovation technique afin de ne laisser aux salariés détachés que les marchés peu qualifiés ».

Même analyse pour François Mortegoutte (entreprise Les Maçons Parisiens, lauréate des Prix Moniteur de la Construction en 2002 et 2011), qui estimait que « si on ne peut pas éviter le phénomène du détachement, on peut s’organiser pour en atténuer les effets». « La différence se fera sur l’encadrement intermédiaire de nos entreprises.  Formons mieux nos chefs de chantier et nos chefs d’équipe afin de conserver nos valeurs et transmettre nos savoir-faire aux plus jeunes », lançait-il.

Patrick Ramé (entreprise GTPR, lauréate des Prix Moniteur de la construction 2009) a déjà intégré  cette évolution sur l’encadrement : « Aujourd’hui, j’embauche des ingénieurs Bac+5 juste derrière les chefs de chantier, alors qu’avant des Bac +2 (BTS) suffisaient pour organiser les chantiers.  Dans la conjoncture actuelle, et notamment face à la concurrence des travailleurs détachés, les PME doivent rester imbattables sur la qualité de service aux clients », indiquait-il.

Francine Prunier (entreprise SABP, lauréate des Prix Moniteur de la construction 2004) a tenu à faire part de sa de sa propre expérience sur la question des travailleurs détachés: «  Il est vrai que les entreprises portugaises qui arrivent sur nos marchés dénaturent un peu nos marges. Mais les règles pour les faire travailler sont très rigoureuses. Nous sommes une société fonctionnant avec une réserve de sous-traitants. Nous avons décidé de recourir à une entreprise portugaise pour pallier un pic d’activité. Et pour l’instant, cela semble ne pas trop mal se passer », témoignait-elle.

« Pour résister, il faudrait que l’Etat ne nous complique pas la tâche avec  des réglementations délirantes, soulignait Charles-Henri Montaut (entreprise UTB). La loi sur le congé parental, par exemple, prive mes équipes de production de 2 équivalents temps plein en permanence. Autre aberration, on me taxe pour ne pas employer suffisamment de salariés handicapés, sans se demander comment une entreprise de couverture peut envoyer sur les toits des gars en fauteuil roulant. Dans le même temps, personne ne  remarque que plus de 10% de mon effectif est constitué d’apprentis… »

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