Sur le marché de la cuisine en France, je ne crois pas qu'il y a de la place pour les négoces… lance Carlo Dal Negro, responsable de l'export de Nobili, fournisseur spécialisé dans la robinetterie pour la cuisine en Italie. Le doute de l'industriel illustre bien la situation française ces dernières années : un marché largement occupé par les grandes surfaces d'ameublement (GSA) et de bricolage (GSB) et les cuisinistes, auxquels s'ajoute la concurrence d'Internet. Pourtant, certains y croient : Gedimat, enseigne de Gedex, et l'enseigne Tout Faire Côte d'Azur (qui regroupe les sociétés Provençale de Matériaux, Girard Matériaux et Pro-G-Mat, soit 9 points de vente et 2 showrooms en Paca, et membres du groupement Tout Faire) ont récemment lancé une offre spécialisée, chacun à sa façon.
Un marché en forme
Si le pari semble risqué, Gedimat est convaincu qu'il y a de la place pour tout le monde, appréhendant les bons résultats des GSB et des cuisinistes comme un présage encourageant.
| (Source : IPEA) | PDM en 2022 | Evolution vs 21 |
| Spécialistes | 55 % | -0,8 % |
| Grande distribution ameublement | 21 % | +11,5 % |
| GSB | 20,4 % | -2,3 % |
| Ameublement milieu et haut de gamme | 1,9 % | -4,6 % |
| Commerce en ligne | 0,8 % | -15 % |
| AUTRES (dont négoces) | 0,9 % | -1,1 % |
« Ce marché croît de 1 à 3 % par an en moyenne en France, avec une vraie stabilité, explique Hélène Ruaut, chef de marché cuisine et revêtements de Gedex. Nous observons aussi cette hausse chez nous. » À l'image des adhérents de Gedimat, Tout Faire Côte d'Azur ressent également une demande croissance. « Nos clients nous questionnaient régulièrement sur une offre cuisine », raconte Marc Avena, président du directoire de Provençale de Matériaux.
Pour Gedimat, le déclic intervient en 2021, durant la pandémie : le marché de la cuisine enregistre une hausse phénoménale (+ 26 %, selon Hélène Ruaut) qui donne envie au groupement de développer son offre, en créant tout d'abord un poste de chef de marché. « Mon rôle est de muscler le marché de la cuisine, encore petit, et d'en faire un marché aussi puissant que peuvent l'être ceux de l'extérieur, de l'intérieur, de la menuiserie… », résume Hélène Ruaut, en fonction depuis plus d'un an.
Une offre variée
Pour Gedimat, la stratégie passe par le développement des offres d'entrée et de milieu de gamme, son cœur de cible. « Pour l'entrée de gamme, nous proposons 18 modèles aujourd'hui, contre 6 auparavant », explique Hélène Ruaut. Via un benchmark, la chef de marché sonde ce qui est moins courant sur le marché et propose de nouveaux meubles, comme des demi-colonnes, ou multiplie les coloris - « pour être dans l'air du temps : terra cotta, rose poudré, vert matcha… » -et les matières, à l'image de ce nouveau range-couverts en bambou. Un produit au prix légèrement plus élevé assumé par Gedimat, qui pense cette offre comme le haut de gamme de l'entrée de gamme.
L'offre est également enrichie avec des accessoires tels ces tiroirs à l'anglaise ou ces étagères métalliques. « Nous voulons nous distinguer en étant capables de proposer de la diversité, explique Hélène Ruaut. Des réseaux existent depuis longtemps, et il nous faut prendre notre place en capitalisant sur la proximité avec nos clients et en étant différents tant sur les gammes que sur les services. »
Dans l'ensemble, la déco progresse dans l'offre Gedimat, qui souhaite parler autant aux particuliers qu'aux pros. La cuisine est un élément désormais central qui peut être changé plus régulièrement par les clients finaux, au fil de la mode et ce, grâce à de petites modifications. « Nos clients ne sont pas obligés d'avoir un budget important, ils peuvent changer le look de leur cuisine et monter en gamme avec quelques accessoires s'ils le veulent », explique Hélène Ruaut. En 2023, par exemple, une offre de plans de travail en matériaux plus haut de gamme - pierre, quartz et céramique - et plus coûteux sera développée grâce à l'arrivée d'un nouveau fournisseur.
Approche haut de gamme
Pour Nobili, la stratégie depuis des années est de miser sur le haut de gamme. « La cuisine, ce sont des marchés de niche », explique Carlo Dal Negro. L'industriel italien propose des innovations de design et de nouvelles technologies, tel ce robinet multifonction qui filtre l'eau et la rend pétillante.
Tout Faire Côte d'Azur s'inscrit dans cette approche avec un nouveau showroom cuisine-living-dressing ouvert fin avril, nommé Showroom Avenue. Installé à Mougins (Alpes-Maritimes), en face du showroom généraliste de Tout Faire Côte d'Azur, cet espace de 300 m² présente six box de cuisine destinés avant tout à inspirer les clients. « Nous ne faisons pas de prêt-à-porter. Ici, c'est du sur-mesure », affirme d'emblée Marc Avena.
L'offre de Tout Faire Côte d'Azur s'adresse à des budgets de 20 000 à 50 000 € - « c'est en tout cas notre cœur de cible, nuance Marc Avena. Mais nous nous adaptons aux clients, nous avons déjà enregistré des commandes variant de 10 000 € à 200 000 €. » De la même façon que Nobili, l'offre se démarque de celle de cuisinistes en proposant des éléments de niche et haut de gamme : la possibilité d'intégrer une fonction bureau dans la cuisine, « une offre que nous développons au vu de la montée du télétravail en Paca », mais également une console de jeu, un coffre-fort… Point commun avec Gedimat, Tout Faire Côte d'Azur veut séduire les particuliers à projet en misant sur le créneau de la décoration, d'où l'utilité d'un showroom où ces clients finaux représentent 50 % de leurs visiteurs - contre 25 % seulement dans leurs dépôts de négoce.
Le showroom cuisine de Tout Faire Côte d'Azur va encore évoluer avec des propositions rares : le négoce veut notamment développer une offre « d'objets-concepts » à mettre dans la cuisine (comme des objets d'art, un mur d'enceintes de musique, un établi en pierre naturelle…), mais aussi un espace pouvant accueillir des événements commerciaux ou les produits de jeunes fournisseurs qui se lancent.
Des visites innovantes
Pour accompagner ses clients dans leurs projets de travaux, Tout Faire Côte d'Azur va installer un dispositif de réalité virtuelle : un box où plusieurs clients peuvent entrer pour observer les projections de leur future cuisine. « C'est plus ludique qu’un casque de réalité virtuelle. Grâce à ce box, les clients peuvent échanger entre eux, souligne Marc Avena. Il fallait rendre notre offre accessible. » Le dispositif sera installé dans le showroom principal cet été, et dans le showroom cuisine d’ici à la fin de l’année.
De son côté, Gedimat veut aider les professionnels en développant, pendant l’été et l’automne 2023, un nouveau logiciel, facile d’utilisation, pour réaliser rapidement un chiffrage et un devis de cuisine. « La plupart de nos adhérents sont des généralistes, et nous devons les accompagner », précise Catherine Volsfelts, category manager en charge de la menuiserie et de la cuisine chez Gedex. Prochaine étape, le groupement travaille à élaborer des formations commerciales et techniques, « il y a un besoin d’accompagnement pour développer le segment », assure Catherine Volsfelts.
Au-delà de stratégies de marché, les négoces comptent sur leur réseau face à ce nouveau défi. Contrairement aux GSB, « Gedimat possède un solide réseau de clientèle et un bon maillage géographique », note Catherine Volsfelts. Pour elle, c’est finalement du « bon sens » d’étoffer l’offre cuisine : « Les clients qui construisent ou rénovent fréquentent le négoce à un moment ou un autre. » De même, chez Tout Faire Côte d’Azur, « si les clients font confiance à leurs professionnels, ils auront confiance en nous, assure Marc Avena. Nous comptons sur le bouche-à-oreille. » Un cercle vertueux sur lequel ces négoces tablent pour réussir leur pari.
