Le logement social s’effondre à Strasbourg, son salut par le BRS fait débat

Les permis de nouveaux logements locatifs sociaux sont tombés à un point bas. L’ensemble des acteurs s’accorde sur la gravité de la situation, mais pas sur le moyen d’en sortir, en particulier sur le rôle que peut y jouer le bail réel solidaire.

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L’Ore?e Baggersee a? Illkirch (Bas-Rhin), premie?re ope?ration en BRS de La Coope?rative foncie?re initie?e par Habitat de l’Ill
L’Ore?e Baggersee a? Illkirch (Bas-Rhin), premie?re ope?ration en BRS de La Coope?rative foncie?re initie?e par Habitat de l’Ill

Dans le marasme du marché immobilier, certaines statistiques sur la construction de logements dans l’Eurométropole peuvent encore laisser une place à la thèse de la relativisation, sans doute pas pour longtemps (voir encadré ci-après). Concernant l’habitat social, la discussion n’est plus permise. La métropole elle-même doit en dresser le constat en livrant les chiffres : « La chute est vertigineuse », résume Suzanne Brolly, vice-présidente à l’habitat de l’Eurométropole (EMS) et adjointe à la ville résiliente à la mairie EELV de Strasbourg.

Les autorisations de logements sociaux sont tombées à 519 l’an dernier : moitié moins qu’en 2022, 30% et 40% en dessous des scores respectifs de 2020 et 2021, années Covid, et très loin du dernier pic à 1 813 remontant à 2018. Elles représentent moins d’un cinquième de tous les permis 2023 de logements dans l’agglomération.

Entre la priorité attribuée par les bailleurs à la rénovation dans leurs plans stratégiques de patrimoine et la panne de la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) issue des programmes privés réduits à peau de chagrin, l’impasse semble complète. Sur le second terme, l’Eurométropole a certes relevé de 150 euros le prix de revente par les promoteurs, à 2 400 euros du mètre carré, courant 2023. « Nous saluons la décision, mais dans les conditions économiques du moment, elle reste de portée limitée, elle permet tout juste de couvrir les frais », réagit Olivier Kinder, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI) Grand Est.

La longue file d’attente des 29 000 foyers demandeurs de logements sociaux de l’agglomération présente donc tous les risques de son allongement. Quelques désengagements, ciblés partiellement sur le locatif social, pourraient venir depuis Paris, de la nouvelle étape attendue de la vente en bloc à Action Logement et du programme « Territoires engagés pour le logement » dont le nouveau quartier strasbourgeois Deux-Rives est lauréat.

Projet Alternatif dans le nouveau quartier Deux-Rives à Strasbourg par Ofsa
Projet Alternatif dans le nouveau quartier Deux-Rives à Strasbourg par Ofsa Projet Alternatif dans le nouveau quartier Deux-Rives à Strasbourg par Ofsa

L’autre OFS actif dans l’agglomération Strasbourg, Ofsa, a programmé ou lancé neuf opérations en BRS, dont « Alternatif » dans le nouveau quartier Deux-Rives. © Ofsa

Le BRS sera-t-il solidaire ?

Le salut pourrait-il résulter aussi du bail réel solidaire (BRS) qui est applicable au territoire métropolitain ? Au moins en partie et par ricochet, en offrant une solution d’accession à prix modéré aux locataires du parc social et en libérant d’autant de places pour d’autres ? Suzanne Brolly n’en est pas convaincue. « Le parcours résidentiel est bloqué à sa source et là se situe l’urgence : reconstituer de l’offre de locatif à prix abordable. Ce n’est pas le segment dans lequel se situe le BRS. Notre responsabilité, c’est la création de logement social pour que les personnes, et des familles entières, ne se retrouvent pas à la rue », expose-t-elle. Pas d’opposition au bail réel solidaire, certes : « On le soutient, il complète l’offre, mais ce n’est pas la priorité » de l’élue qui indique « craindre » également la concurrence qu’il pourrait exercer la consommation des crédits PLUS et PLA-I du logement social.

L’argumentaire fait bondir la direction d’Habitat de l’Ill. La coopérative HLM, qui a pu et su rénover son parc, certes plus modeste (3 600 logements) que celui des grands bailleurs de la place, est devenue, de fait, une contributrice significative au logement locatif social neuf dans l’Eurométropole. Et par l’organisme de foncier solidaire (OFS) La Coopérative foncière, dont il est moteur, ce bailleur « produit » aussi du BRS, en quantités significatives, soit 272 logements aux travaux programmés sur les trois ans en 16 opérations dans l’agglomération. « La part des anciens locataires du parc social y atteint au moins 50 % et grimpe à 88 % dans l’un des programme à Eschau. Pour notre première livraison, L’Orée du Baggersee l’an dernier à Illkirch, ils sont 14 sur 25. Pour 830 demandes ! Nos offres en BRS se situent dans des opérations mixtes, proposant également du PLUS et du PLA-I. Comment ne pas voir dans cet outil un levier de parcours résidentiel et une partie au moins de la solution, qui ne s’oppose pas aux autres ? Et comment ne pas l’encourager ? », expose Serge Scheuer, président de La Coopérative foncière d’Habitat de l’Ill.

BRS et financement

La preuve d’amour de la collectivité, la coopérative HLM l’attend de l’octroi de la garantie aux prêts dédiés de la gamme Gaïa de la Banque des territoires qu’elle contracte. L’Eurométropole la promet et Suzanne Brolly confirme au Moniteur qu’elle est prévue. Chez Habitat de l’Ill, le directeur général Laurent Kohler manifeste une certaine impatience en jetant un œil sur son bilan. « En attendant, la quasi-totalité du financement de ces opérations repose sur nos fonds propres, qui sont ainsi lourdement engagés, alors que le BRS a vocation à nous aider à les reconstituer. Si cela continue, nous allons être bloqués et ce sera une nouvelle occasion de perdue pour loger nos concitoyens », tonne-t-il. Ceci pour un prix de 2 700 à 3 250 euros si l’on se réfère aux données d’Habitat de l’Ill pour les opérations livrées ou en cours de commercialisation. Soit de l’ordre de 25 à 40 % sous la moyenne de l’accession classique, aujourd’hui stabilisée vers 4 500 euros selon la FPI.

Projet de logements sociaux a? La Wantzenau par Habitat de l’Ill - La Coope?rative foncie?re
Projet de logements sociaux a? La Wantzenau par Habitat de l’Ill - La Coope?rative foncie?re Projet de logements sociaux a? La Wantzenau par Habitat de l’Ill - La Coope?rative foncie?re

Un nouveau projet de La Coopérative foncière en BRS va se situer à La Wantzenau, commune de la périphérie de Strasbourg déficitaire en logements sociaux. © Habitat de l’Ill

Un différentiel similaire est mesuré pour les neuf programmes en travaux, lancés en commercialisation ou en projet de l’autre organisme foncier solidaire agréé, Ofsa (A pour Alsace) associant la SEM Sers et les gros bailleurs alsaciens. Ils totalisent 185 logements neufs (et 12 en réhabilitation). Pour la demande de garantie de prêt Gaïa qui concernera la majorité de ces dossiers, l’Ofsa doit pouvoir compter sans difficulté sur l’accord de l’Eurométropole, qui se trouve être l’un de ses membres.

Pente toujours glissante pour le collectif neuf

« A chaque rendez-vous, je vous présente des chiffres divisés par eux. A ce rythme, il ne restera plus rien ». Il reste pourtant à Olivier Kinder, président de la FPI Grand Est, une pointe d’humour pour commenter la conjoncture régionale de la profession, comme il l’a fait ce lundi 25 mars. Les réservations nettes dans les trois agglomérations de la région (Strasbourg, « Sillon lorrain » Nancy-Metz-Thion ville et Reims) ont effectué une chute de moitié au second semestre 2023, à 655 contre 1 316 un an auparavant. L’Eurométropole de Strasbourg affiche un -56 % pour 2023, soit un nombre ramené à 844 sur les douze mois de l’année écoulée. Les 112 recensées sur janvier-février 2024, « nous font démarrer l’exercice sur un rythme encore plus dégradé, de 55 par mois », relève Olivier Kinder. Les mises en vente de ce début 2024 sont au nombre de…6 logements : « le carnet de commandes ne se renouvelant plus, la profession ne met pas en commercialisation les nouveaux permis », observe le président des promoteurs de la région.

La crise de la demande passe devant celle de l’offre, qui reste aiguë selon le représentant de la FPI. « Les autorisations d’urbanisme restent toujours aussi difficiles à obtenir », assure-t-il. Sur ce plan, il reste une part de discussion possible à la lecture des chiffres transmis par l’Eurométropole. Ceux-ci font état d’un relèvement à 2 320 des permis hors logements sociaux, en 2023 contre 2 000 en 2022. Le score de l’an dernier est également supérieur à ceux de 2021 et 2020, mais en-deçà des 2 900 de 2018, sans parler du pic en mode presque himalayen à près de 5 000 en 2019.

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