Les "habitations à loyer modéré" ne répondent pas suffisamment aux besoins des personnes les plus démunies, condamnées à rester bloquées dans le circuit de l’hébergement ou à assumer des taux d’effort trop importants au sein du parc privé. Ce constat n’est pas neuf : il a été pointé à plusieurs reprises par des chercheurs, la Cour des comptes et par les bailleurs sociaux eux-mêmes, aux côtés d’associations, en février dernier.
Ce 11 juin 2020, six associations (le Secours Catholique, ATD Quart-Monde, Habitat et Humanisme, la Fondation abbé Pierre, l’Association Dalo et SNL) apportent une nouvelle contribution, en publiant une étude de 170 pages, en collaboration avec le "Lab Urba" de l’université Paris-Est et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).
Ce rapport inter-associatif sur "les difficultés d’accès au parc social des ménages à faibles ressources" s’appuie sur la littérature existante, sur les données du Système national d'enregistrement des demandes de logement social (SNE) désormais disponibles et sur des entretiens menés avec l’ensemble des acteurs de la chaîne d’attribution (demandeurs, bailleurs sociaux, réservataires). Cette démarche vise à comprendre l'"écart entre les mécanismes théoriques et les mécanismes effectifs" et à expliquer "les différences de traitement qui existent entre les demandeurs".
L’étude sert également de support à des propositions que les associations aimeraient voir émerger dans le débat public, et lors du prochain Congrès HLM, en septembre, à Bordeaux.
"Plus vous êtes pauvre, moins vous avez de chances d'avoir un logement social"
Côté statistiques d’abord, au niveau national, "à l’exception des ménages très très pauvres, on constate que plus vous êtes pauvre, moins vous avez de chance d’avoir un logement social", résume Pierre Madec, économiste à l’OFCE.
Ainsi, selon les taux d’attributions HLM en 2017, pour les près de 1,4 million de demandeurs disposant de revenus compris entre 340 et 1 370 euros par mois (par unité de consommation et hors APL ou AL), "le taux d’attribution augmente lorsque leur revenu augmente", indique le rapport. Un demandeur ayant un revenu compris entre 340 et 510 euros a — toutes choses égales par ailleurs — 30 % de chances en moins de se voir attribuer un logement social qu’un ménage dont les revenus sont compris entre 1 370 et 1 710 euros.
À l’inverse, les demandeurs les plus pauvres (dont les revenus oscillent entre 171 et 342 euros par mois, toujours par UC) semblent avoir plus de chance d’obtenir un logement social. Mais "au-delà du fait qu’ils ne représentent qu’un très faible effectif" (47 000 demandeurs), les auteurs de l’étude estiment que ces ressources déclarées apparaissent tellement basses qu’elles ne correspondent probablement pas aux ressources réelles au moment de l’attribution. Ils ajoutent aussi que c’est probablement l’accompagnement social, particulièrement fort auprès de ces publics, qui permet de faire aboutir la demande, et non le système d’attribution, qui, selon eux, dysfonctionne pour ces ménages.
Vu des demandeurs HLM
Pour comprendre ce qui se cache derrière ces statistiques, l’étude se place aussi du point de vue des ménages, avec une approche exploratoire assumée. 96 demandeurs ont été identifiés par les associations qui les accompagnent (lire encadré ci-dessous).
La majorité des personnes interrogées dans le cadre de cette étude sont âgées de 40 à 60 ans. Certaines sont célibataires — avec des enfants (33 % des personnes interrogées) ou sans enfants (34 %) —, d’autres vivent en famille (28 %). Plus de la moitié d’entre elles ont un emploi et leurs revenus (par unité de consommation) s’échelonnent entre 200 et 1 200 euros par mois. Ces personnes attendent un logement social depuis un à trois ans (11 %), cinq à sept ans (25 %), voire dix à 30 ans (20 %) et près de 70 % d’entre elles ont été reconnues prioritaires Dalo. Un peu plus de la moitié des personnes interrogées ont déjà vu leur dossier passer devant une CAL (avec, dans deux cas sur cinq, un refus pour cause de ressources insuffisantes), et l’autre, jamais.
En croisant leurs témoignages avec les données disponibles, l’auteure du rapport, Pauline Portefaix, constate que "ce n’est pas juste une question de montant, mais aussi de pérennité et de stabilité des ressources". Cela pénalise les personnes qui enchaînent des contrats précaires, lesquels ne reflètent pas toujours leurs ressources réelles.
"L’insuffisance de ressources semble parfois être utilisée comme prétexte pour masquer d’autres motifs d’exclusion inavouables", souligne également le rapport.
D’autres points de blocages (que certains ménages cumulent) sont cités, comme la nécessité, pour le demandeur, de renouveler un titre de séjour, l’instabilité géographique des personnes (qui rend le suivi des démarches complexes), leur appartenance ethnique, un historique d’impayés de loyers (même si une démarche d’apurement de la dette est en cours) ou encore le refus d’un logement de la part du demandeur, un "comportement beaucoup plus sanctionné quand les demandeurs sont pauvres", note Pauline Portefaix.
Cette exclusion n’intervient pas uniquement au moment de la Commission d'attribution des logements (CAL). En amont, certains ménages, découragés par les durées d’attente et les prérequis, ne formulent tout simplement pas de demande. D’autres dossiers de demandes ne remontent pas du fait de la non prise en compte des APL dont la personne pourrait bénéficier, ce qui la rendrait solvable et donc éligible à un logement.
Dans d’autres cas, "les acteurs anticipent un refus en CAL", et ne font pas de ces dossiers une priorité, les jugeant "trop risqués", soit sur le plan financier, soit pour le "fonctionnement social de la résidence". Pour l’auteure de la recherche, "les bailleurs sociaux sont transparents sur le fait qu’ils filtrent les ménages, et ils sont conscients qu’il y a un problème dans le système" en raison du manque de logements à bas loyers.
Des fonds régionaux pour faire baisser les quittances
Parmi les quinze propositions formulées par les associations ce 11 juin (lire encadré ci-dessous), une idée est particulièrement mise en avant : la création de fonds régionaux de baisse des quittances de loyers. Nourris par l’État et/ou par des acteurs privés, ils permettraient d’alléger la facture, au moins temporairement, pour permettre aux personnes les plus démunies d’accéder rapidement au logement social sans pénaliser les organismes HLM.
Cette mesure, également proposée en février par la Fondation abbé Pierre et l’USH, dans le cadre plan Logement d’abord, prend une nouvelle dimension avec la crise sanitaire. Elle pourrait permettre aux personnes hébergées pendant le confinement d’accéder à un logement à l’issue de la fin de la trêve hivernale, reportée au 10 juillet (lire sur AEF info), fait valoir le directeur des études de la Fondation abbé Pierre, Manuel Domergue. Il y voit une solution à la fois "pérenne" et "d’urgence".
Autre "proposition phare", de plus long terme, selon la présidente du Secours Catholique, Véronique Fayet : l’expérimentation d’une quittance adaptée aux ressources du ménage. Une idée "révolutionnaire", d’après elle, qui vise à "trouver le bon logement pour chaque famille", plutôt que de "chercher le bon locataire pour un logement".
Le logement révélé par le confinement : et après ?
Cette étude et ces propositions ont été transmises à l’USH, qui a consulté les associations début juin dans le cadre de la préparation de son plaidoyer pour son prochain congrès. Pour le président de SNL, Baudouin de Pontcharra, ce rendez-vous bordelais, fin septembre, "pourrait être la bonne occasion pour mettre ces propositions au cœur du débat".
Pour ces associations, la question ne concerne pas que les bailleurs sociaux, mais bien toute une chaîne d’acteurs. Avec la crise sanitaire, "on a vu que, pour respecter le droit au soin, on a été capable de prendre des mesures radicales. En matière de droit au logement, la loi n’est pas respectée, et il ne se passe rien", se désole Bernard Lacharme, de l’association Dalo. Alors que le logement a été au cœur des préoccupations pendant les semaines de confinements, les associations espèrent que le droit à un logement abordable émergera comme un débat de société, au même titre que celui du droit à la santé ou à l’éducation.
Les 15 propositions des associations
En publiant ce rapport, les six associations formulent les propositions suivantes :
- Revaloriser les APL, "le meilleur moyen de sociabiliser les locataires", selon Véronique Fayet, présidente du Secours catholique
- Créer un fonds régional de baisse de quittance HLM.
- Renforcer les conditions d’application du SLS.
- Maîtriser le coût des charges, "qui sont mal solvabilisées par les APL et représentent parfois jusqu’à la moitié du loyer", indique Véronique Fayet.
- Évaluer les expériences de recomposition des loyers du parc social, comme le loyer unique à Rennes (lire sur AEF info).
- Expérimenter la quittance adaptée aux ressources du ménage.
- Développer et mieux répartir le logement social dans les grandes agglomérations.
- Financer chaque année 60 000 PLAI aux loyers proches des plafonds APL (et non 40 000 comme prévu par le plan quinquennal pour le logement d’abord).
- Mobiliser "les 250 000 logements vacants" et l’offre privée à vocation sociale, "souvent bien placée au cœur des villes", souligne Bernard Devert, fondateur d’Habitat et Humanisme.
- Accélérer le relogement des publics prioritaires, sachant que plus de 70 000 prioritaires Dalo sont encore dans l’attente d’un logement (lire sur AEF info)
- Informer et accompagner les demandeurs en difficulté, notamment en autorisant les recours Dalo via internet et en mettant en place une ligne d’assistance téléphonique, suggère Bernard Lacharme, de l’association Dalo.
- Fiabiliser l’outil de gestion de la demande de logement social, en faisant évoluer le document Cerfa notamment.
- Intégrer aux systèmes de cotation des critères de ressources financières des ménages.
- Faire appliquer les obligations liées au respect des 25 % d’attributions de logements hors QPV au premier quartile de revenu des demandeurs. une mesure de la loi Égalité et citoyenneté "quasiment pas appliquée", regrette Bernard Lacharme.
- Évaluer les progrès accomplis grâce à un indicateur annuel d’accès au logement des plus pauvres.