De plus en plus fréquemment, les bureaux de contrôle insèrent dans leurs contrats une clause par laquelle leur responsabilité ne pourra pas être engagée pour faute au-delà d’un certain montant de dommages. L’arrêt du 4 février 2016 de la Cour de cassation qui refuse de valider une telle clause mettra-il un coup d’arrêt à la pratique ?
L'affaire concerne une société civile immobilière (SCI) qui a fait réaliser un ensemble de villas avec piscines. Une entreprise est chargée du lot gros œuvre et piscines ; une mission de contrôle technique portant sur la solidité des ouvrages et des éléments d’équipement est confiée à un bureau de contrôle. Cinq piscines sont affectées de désordres. La SCI saisit le juge pour être indemnisée par le contrôleur technique des dommages subis. Celui-ci lui oppose une clause de leur contrat, au terme de laquelle sa responsabilité est limitée à deux fois le montant des honoraires perçus au titre de la mission pour laquelle sa responsabilité est retenue.
Le professionnel de l’immobilier est un consommateur face au professionnel de la construction
En vertu du principe de liberté contractuelle, les clauses de limitation de la responsabilité d’une partie, très fréquentes dans les contrats entre professionnels, sont en principe valables. En l’espèce, la cour d’appel qui statue sur la qualification de la clause la juge abusive et en prononce la nullité. Motif de contestation pour le bureau de contrôle. Il soutient devant la Haute cour que les clauses abusives ne peuvent être caractérisées que dans les contrats conclus entre professionnels et non professionnels quand elles provoquent un déséquilibre significatif entre les deux parties (art. L. 132-1 du Code de la consommation).
Les juges considèrent toutefois de façon constante qu’un professionnel est « consommateur [quand il] contracte hors de sa sphère habituelle d’activité » (Cass. 1e civ., 24 janvier 1995, n° 92-18227). Ce qui ne concerne pas la SCI, argumente le bureau de contrôle : celle-ci a conclu un contrat ayant un rapport direct avec son activité professionnelle et pour les besoins de celle-ci. Elle ne saurait dès lors bénéficier de cette protection. La cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, opère une distinction plus fine encore entre les métiers de l’immobilier et ceux de la construction : le promoteur immobilier est considéré comme un non professionnel vis-à-vis du contrôleur technique. Cette position ouvre la porte de la clause abusive.
L’obligation essentielle, instrument de justice contractuelle
Pour y échapper, le bureau de contrôle fait valoir que la clause de plafonnement du montant de l’indemnisation due en cas de mise en jeu de sa responsabilité est licite. Selon lui, l’indemnisation maximale prévue n’étant nullement dérisoire (deux fois le montant des honoraires, soit 26 000 € HT) au regard des obligations corrélatives de la SCI, la clause ne peut pas être qualifiée d’abusive.
Si, lui répond la Cour de cassation, confirmant ainsi l’analyse des juges d’appel sur le terrain de l’obligation essentielle. La clause, en limitant les conséquences de la responsabilité contractuelle quelle que soit l’ampleur des fautes du contrôleur technique, contredit la portée de son obligation essentielle. En substance, la clause fixant un maximum au montant des dommages intérêts dû par un cocontractant fautif est un plafonnement d’indemnisation qui vide de sens l’engagement pris à l’égard de l’autre partie. Elle est dès lors abusive et doit être déclarée nulle et de nul effet.
Et après la réforme ?
Sous l’empire du nouveau droit des contrats, qui entrera en vigueur le 1er octobre 2016 après ratification de l’ordonnance du 10 février 2016, c’est le nouvel article 1170 du Code civil selon lequel « toute clause qui prive de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite » qui aurait été évoqué. Quant au débat sur la notion de clause abusive, il aurait fallu que le contrat liant la SCI et le bureau de contrôle soit reconnu d’adhésion, pour que l’article 1171 nouveau s’applique à la clause créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.