Comment accueillez-vous sur la nomination de Michel Barnier à Matignon ?
Son expérience plaide en sa faveur. Sa compréhension des enjeux internationaux et sa capacité à dégager des compromis sur des dossiers difficiles sont des atouts précieux dans la situation délicate que traverse notre pays. Michel Barnier est loin d'être insensible aux enjeux de la filière du logement. C'est une bonne nouvelle. Il sait également faire preuve de réalisme économique. Un réalisme qui a fait défaut lors de la campagne des législatives. Cela devrait nous prémunir de mesures séduisantes à court terme mais très dangereuses à long terme.
Le Medef et les fédérations professionnelles du logement alertent sur la crise depuis 2022. Vous sentez-vous enfin entendus ?
Les ministres démissionnaires Christophe Béchu [chargé de la transition écologique, NDLR] et Bruno Le Maire [à Bercy, NDLR] ont convenu que l'exécutif avait sous-estimé l'ampleur de la crise qui frappe la filière logement. Il y a donc une prise de conscience, mais qui est malheureusement trop tardive.
Déjà, le logement neuf coûte plus cher en France que dans d'autres pays européens, alors même que la démographie hexagonale nous impose de bâtir davantage, contrairement à l'Allemagne et à l'Italie. Au Royaume-Uni, le nouveau gouvernement travailliste a bien pris la mesure de l'enjeu puisque sa première décision a été de concevoir un plan massif pour relancer le neuf. Signe que cette problématique concerne de nombreux pays européens : la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, a annoncé la création d'un poste de commissaire au logement. C'est un signal positif même si cette compétence ne relève pas de l'Union européenne…
Comment le gouvernement doit-il se saisir de ce sujet ?
Il doit d'abord placer le logement à sa juste place, ce qui n'a pas été le cas ces dernières années, du fait d'une lecture excessivement budgétaire de Bercy. Pour s'en persuader, il suffit de mettre en regard les 40 Mds€ de dépenses publiques annuelles qui y sont consacrées avec les 90 Mds € de recettes générées, dont bénéficient en particulier les collectivités.
Nous payons aujourd'hui cette approche, et il faudra désormais mieux prendre en considération l'impact sur le pouvoir d'achat. Aujourd'hui, le logement engloutit 40 % du budget des ménages modestes. C'est plus du double du budget alimentaire ! Il est enfin nécessaire d'intégrer le fait que l'absence d'offres à proximité des bassins d'emplois constitue un frein considérable à la mobilité professionnelle de nombreux salariés qui redoutent de ne pas pouvoir se loger dans les mêmes conditions.
A quel point le lien logement-emploi est-il distendu ?
Dunkerque est un cas d'école qui illustre à lui seul le problème. Etant donné l'offre immobilière actuelle dans la région, répondre aux offres d'emploi qui seront générées par l'ouverture des gigafactories imposerait pour certains de se loger à 100 km de leur lieu de travail. Les opérateurs du logement social sont évidemment en première ligne pour sortir de cette impasse. Or, à l'échelle nationale, nous avons construit 80 000 HLM l'an dernier. L'objectif annuel [fixé en 2023 par Olivier Klein, alors ministre du Logement, NDLR] est de 110 000… Il est temps de soutenir les acteurs du logement social, qui ont assumé leurs responsabilités au plus fort de la crise en débloquant les programmes des promoteurs en difficulté via des plans massifs de rachat. En témoignent les 30 000 logements neufs achetés en bloc au second semestre 2023 par Action Logement, que l'Etat prend hélas pour un « tiroir-caisse ». Les ponctions prévues par les lois de finances de ces dernières années n'ont fait qu'altérer ses capacités d'investissement.
« Il y a urgence à investir massivement dans le nucléaire et à véritablement lancer les EPR 2. »
Quelles sont les conséquences de la crise du neuf sur l'économie française ?
La filière construction représente 10 % du PIB et 12 % de l'emploi en France. La récession du neuf va provoquer cette année une baisse importante du PIB. Et ce que nous avions annoncé l'an dernier se confirme : le bâtiment perd 10 000 emplois par mois. Depuis le début de l'année, la promotion en a supprimé 1 000, sur un total de 29 000 salariés. Les industriels, comme les cimentiers, souffrent également, avec des baisses à deux chiffres de leurs carnets de commandes. Ceux des ingénieristes du bâtiment restent satisfaisants. Mais, par onde de choc, il faut s'attendre à des pertes d'emplois. L'effet de contagion se ressent chez les notaires, les agents immobiliers… Sur fond de hausse globale des défaillances d'entreprises, un quart des dossiers de l'Agence de garantie de salaires (AGS), gérée par le Medef, se rapportent à la filière construction.
Quels leviers faut-il actionner pour sortir de l'ornière ?
Tout d'abord, il faut faire revenir les investisseurs particuliers, avec un Pinel ou un autre outil fiscal incitatif. L'investissement locatif ne peut pas se faire à perte comme aujourd'hui, en raison de l'explosion des taxes foncières, du plafonnement des loyers… Ensuite, les pouvoirs publics, animés par de bonnes intentions, ont empilé au fil des décennies des dispositifs comme la RE 2020 et le ZAN qui complexifient le quotidien des professionnels et renchérissent in fine le coût du logement.
Le Medef partage totalement les objectifs de décarbonation et de sobriété foncière, mais un assouplissement réaliste s'impose. Cela a été fait pour faciliter l'installation d'usines.
Le logement aussi en a besoin. Enfin, les élus locaux doivent trouver un intérêt à construire des logements. Même si elle a été compensée, la suppression de la taxe d'habitation ne les y incite pas, d'autant que les Français sont globalement réticents à la densification, à la surélévation… La FPI suggère, par exemple, de reverser aux maires bâtisseurs le surplus de TVA généré par une accélération des mises en chantier.
D'autres solutions sont sur la table, comme le statut du bailleur privé. Mises bout à bout, celles-ci permettront de relancer le marché et d'endiguer la crise.
La baisse des transactions immobilières entraîne une diminution des recettes des collectivités. Craignez-vous une chute des investissements, dans les infrastructures notamment ?
Il y a en effet péril sur leurs dépenses d'investissement fléchées vers le verdissement, les transports en commun, la voirie.
A cela s'ajoute le traditionnel ralentissement lié aux élections municipales, prévues en 2026, sans oublier la dérive des finances publiques, qui suppose des mesures. Les gisements d'économies se trouvent en priorité dans les dépenses sociales et les dépenses de fonctionnement de l'Etat et des collectivités.
Quelles orientations donner pour atteindre la souveraineté énergétique avec un mix décarboné ?
Il y a urgence à investir massivement dans le nucléaire et à véritablement lancer les EPR 2. C'est l'un des effets malencontreux de la dissolution : à part à Penly, les bons de commande n'ont toujours pas été transmis. Ces chantiers tracteraient l'activité des entreprises, en particulier dans la construction. Au total, elles auraient besoin de 100 000 salariés, de l'ingénierie à la mécanique en passant par l'exploitation.
Au-delà des débats sur le mix énergétique, il faut se mettre d'accord au plus vite sur les tarifs de l'électricité de demain. Nous ne connaissons toujours pas l'après-Arenh [Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, NDLR], qui sera supprimé en 2026.
En matière de transports, quels chantiers faut-il prioriser face aux crispations qu'ils suscitent ?
Notre pays a besoin de croissance, notamment pour financer l'innovation et la transition énergétique. A un moment donné, il faut savoir gérer nos contradictions. La reculade sur Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) encourage certaines activistes à reproduire ce qu'il s'est passé. Je pense à l'A69, projet très intéressant pour Castres (Tarn), mais aussi au Lyon-Turin. D'autres dossiers sont bloqués, comme l'extension de l'aéroport de Nantes qui n'en finit pas d'être reportée. C'est un vrai problème d'attractivité et de compétitivité pour les Pays de la Loire.
