Créé il y a près de vingt ans, le délit d'octroi d'avantage injustifié continue à faire peur aux élus, aux agents publics et aux entreprises. La simple honnêteté ne suffit pas toujours, malheureusement, pour échapper aux poursuites. Comment se prémunir ? Comment se préparer ? Eléments de réponse.
Comment le délit de favoritisme est-il défini ?
Aux termes de l', « est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait par une personne dépositaire de l'autorité publique, ou chargée d'une mission de service public, ou investie d'un mandat électif public, ou exerçant les fonctions de représentant, administrateur ou agent de l'Etat, des collectivités territoriales, des établissements publics, des sociétés d'économie mixte d'intérêt national chargées d'une mission de service public et des sociétés d'économie mixte locales, ou par toute personne agissant pour le compte de l'une de celles susmentionnées de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l'égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public ».
Ce délit a été créé par l'. Il caractérise un manquement au devoir de probité. Le législateur a tenu à créer une incrimination large, en laissant au parquet le soin d'apprécier les suites à donner aux infractions qu'il constate. Il est à noter que le fait de procurer un avantage injustifié à une entreprise est puni, mais que sa tentative l'est également. Par ailleurs, il ne faut pas confondre le favoritisme et la corruption. Celle-ci suppose que le décideur corrompu va monnayer l'attribution du marché avec l'entreprise corruptrice. S'agissant du favoritisme, il suffit que le marché ait été attribué à l'issue d'une procédure irrégulière, même si cette irrégularité n'a pas eu du tout pour objet de favoriser telle ou telle entreprise.
A quels types de contrats le délit s'applique-t-il ?
Le champ d'application matériel du délit est très large. Il concerne tous les contrats soumis au Code des marchés publics, y compris les marchés conclus au terme d'une procédure adaptée, ou en dessous de 20 000 euros HT. Il a ainsi été jugé que « les dispositions [...] qui édictent les principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, concernent tous les marchés publics sans opérer de distinction entre ceux qui, compte tenu de leur montant, sont passés sans formalités préalables et ceux qui sont soumis à un tel formalisme » (, Bull. crim. n° 47 ; AJDA 2007, p. 853, J.-D. Dreyfus). Il recouvre également les marchés passés par des organismes de droit privé ou public assimilés à des pouvoirs adjudicateurs : SEM, etc. Sont aussi visées les commandes publiques des organismes non soumis au Code, mais à des dispositions transposant en droit interne les directives communautaires relatives aux marchés : opérateurs de réseaux, concessionnaires privés de travaux publics, SA d'HLM, etc.
En revanche, les contrats de partenariat issus de l'ordonnance du 17 juin 2004 modifiée ne semblent pas concernés. Cela peut surprendre puisque, dans une décision « Sueur et a. » du 29 octobre 2004, le Conseil d'Etat a rappelé que les contrats de partenariat « qui ont vocation à être passés avec un ou plusieurs opérateurs économiques et en vertu desquels la rémunération du cocontractant fait l'objet d'un paiement par la personne publique, constituent des marchés publics au sens de [la] directive » 2004/18/CE du 31 mars 2004 sur les marchés publics. Mais l'interprétation stricte du droit pénal ne permet pas a priori d'ajouter les PPP aux contrats visés par l'article 432-14, puisque celui-ci ne les prévoit pas.
La violation du droit communautaire non transposé peut-elle justifier des poursuites ?
Non. Aucune poursuite ne peut être engagée lorsque le manquement découle uniquement de la méconnaissance des dispositions d'une directive européenne non transposées à l'issue du délai imparti (CJCE, 8 oct. 1997, « Kolpinghuis Nijmeguen BV », aff. C-80/86, Rec. p. 3970 ; Cass. crim., 10 déc. 1985, « Soc. Roquette Frères », Bull. crim. n° 290).
Y a-t-il eu des tentatives pour réformer ce délit ?
Oui. En mars 2009, le Sénat a examiné la proposition de loi de simplification et de clarification du droit. La commission des lois avait adopté un amendement tendant à y insérer un article additionnel 65 bis, lequel avait pour objet de clarifier la définition du délit de favoritisme. Il était jugé nécessaire, « sur la forme, de simplifier la rédaction de la définition du délit de favoritisme, et, sur le fond, d'apporter deux précisions : d'une part, étendre l'application du délit de favoritisme, aujourd'hui limité aux marchés publics et aux délégations de service public, à l'ensemble des contrats de la commande publique (PPP, baux emphytéotiques divers.) ; d'autre part, prévoir une formulation spécifique en vue de destinée à ne plus sanctionner des personnes pour de simples erreurs de procédure alors qu'elles n'avaient nullement l'intention de favoriser un candidat ». Cet amendement n'a pas été adopté.
Un peu plus tard, c'est sur la sanction qu'a portée la tentative. A l'initiative d'un député, la commission des lois souhaitait qu'il soit mis fin au caractère automatique de l'inéligibilité de cinq ans, qui accompagne toute peine prononcée à titre principal pour un délit de manquement à la probité, ce, quelle que soit la gravité des faits (art. L. 7 du Code électoral). Cet amendement a été écarté. Dans l'esprit des parlementaires, il n'était pas question de revenir sur l'inéligibilité elle-même, mais juste de redonner aux juges le pouvoir de moduler cette peine.
Plus récemment, le projet de réforme des juridictions financières a été l'occasion de revenir sur la nécessité d'une réforme. Le projet d'étude d'impact de la loi, en date du 3 septembre 2009, observe ainsi qu'« une adaptation à la marge du délit de favoritisme sera nécessaire () pour préciser le caractère intentionnel du délit. Le Parlement a déjà eu, à plusieurs reprises récemment, l'occasion d'aborder cette problématique. Il l'a fait une première fois lors de l'examen de la loi pour l'accélération des programmes de constructions et d'investissements publics et privés, en examinant, sans le retenir, un amendement présenté par le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale. Il l'a fait une deuxième fois lors de l'examen de la loi de simplification et de clarification du droit et d'allégement des procédures, en examinant un amendement [...], finalement retiré avec l'accord de son auteur, après que le représentant du gouvernement ait précisé, lors de la séance du Sénat du 25 mars 2003 que le projet de loi sur la réforme des juridictions financières pourrait constituer un vecteur adapté pour traiter de ce sujet.». (Projet d'étude d'impact, 3 septembre 2009, p. 43).
A qui le délit s'applique-t-il ?
L'article 432-14 a un champ d'application large. Les agents publics, les élus, les ministres et les personnes morales peuvent être poursuivis.
Sont aussi concernés les dirigeants des entreprises publiques locales. Il a ainsi été jugé d'un dirigeant de SEML, que « ses fonctions statutaires de directeur opérationnel [...], sa représentation effective de ladite société lors des réunions du comité de pilotage du site, ainsi que son implication personnelle dans la gestion des marchés litigieux caractérisent les fonctions de représentant administrateur ou agent de la SAEML, au sens de l' » (, inédit).
Est également inclus dans le champ d'application le président d'une chambre de commerce (CCI), établissement public relevant de l'Etat, soumis comme tel au Code des marchés publics ().
En outre, le délit a vocation à réprimer les personnes agissant « pour le compte » de celles susnommées. Il peut s'agir d'un architecte préparant le dossier projet et intervenant dans le choix des entreprises de travaux, d'un consultant ou de toute autre personne participant à la procédure à un degré ou un autre. Il a ainsi été jugé que les conseils donnés par le dirigeant d'un bureau d'études, auquel avait été partiellement confiée la maîtrise d'œuvre d'un marché de travaux, caractérisaient « un acte de complicité par instructions, sans qu'il soit nécessaire que ces instructions aient été accompagnées de don, de promesse, de menace, d'ordre, d'abus d'autorité ou de pouvoir » ().
Enfin, depuis l'entrée en vigueur de la réforme du Code pénal de 2004, le principe de la responsabilité pénale des personnes morales est désormais acquis. L'art. 121-2 du Code pénal dispose que « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement [...] des infractions commises pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».
La collégialité de la décision permet-elle d'échapper au délit ?
Un tribunal correctionnel avait jugé que les élus membres de la commission d'appel d'offres ne pouvaient invoquer la collégialité des délibérations pour tenter d'échapper aux poursuites (trib. corr. Strasbourg, 19 janv. 1996, RMP, n° 4, 95/96, p. 22).
Toutefois, en vertu du principe selon lequel chacun n'est responsable que de son propre fait, le juge revient un peu sur la rigueur des décisions initiales. Ainsi une cour a-t-elle jugé que « les délibérations susvisées, prises par un organe collégial de la commune, ne peuvent être imputées individuellement à chaque membre du conseil municipal du seul fait de sa participation au vote » (cour d'appel Aix-en-Provence, 16 mai 2007, n° 2007-306, « JCP A », 9 juill. 2007, p. 24, note F. Linditch).
Mais la collégialité ne fait disparaître la responsabilité individuelle que si elle ne dissimule pas la commission indirecte du délit ou une complicité. Il a ainsi été jugé qu'il appartient au président d'une commission d'appel d'offres de veiller aux agents placés sous sa responsabilité (trib. corr. Orléans, 5 juin 1996 ; circ. min. justice crim. 98.4/G3, 2 juil. 1998).
De même, un maire ne peut échapper à sa responsabilité en invoquant la délégation consentie à l'un de ses adjoints. Il a ainsi été jugé que « X ne peut s'exonérer en alléguant qu'il s'est contenté d'apposer sa signature sans en examiner le fond ni la forme ; qu'il lui appartenait, dès lors qu'il signait, de procéder à un contrôle » (cour d'appel Colmar, 12 déc. 1997, n° 1387/97, 09700077). Pour le secrétaire général d'une commune, le fait de participer à une réunion au cours de laquelle le délit se trouve commis peut suffire. Ainsi jugé que « si Serge X n'avait pas de pouvoir décisionnel, il n'en a pas moins participé aux réunions qui ont permis d'avantager certains candidats et a donné des conseils sur les procédures à suivre » (, « Bull. crim. », n° 139).