Interview

« Le dialogue est primordial pour amortir le choc des matières premières », Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises

Vie des entreprises - Le Médiateur des entreprises prône la solidarité et la confiance pour traverser la crise.

 

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Pierre Pelouzet, Médiateur des entreprises

Le Président de la République et le ministre de l'Economie viennent de renouveler pour trois ans votre mandat de Médiateur des entreprises, que vous exercez depuis près de dix ans. Comment avez-vous vu évoluer les relations entre entreprises ?

Bien ! Lorsque j'ai été nommé, les questions liées aux relations interentreprises, au paiement fournisseurs, etc., paraissaient un peu incongrues. Elles sont finalement devenues des sujets dont les opérateurs perçoivent l'impact, mais aussi dans lesquelles ils voient leur intérêt personnel. Avoir de bonnes relations avec leurs fournisseurs est aussi favorable aux grands acteurs ! Les entreprises viennent plus facilement en médiation pour régler leurs différends. J'observe par ailleurs que la notion d'achat responsable prend une place croissante. Tout cela s'inscrit dans un mouvement général, avec l'avènement des entreprises à mission, de la RSE… Et la France a porté à l'international la norme sur l'achat responsable. Bien sûr, il y a encore des axes d'amélioration.

Quel a été l'impact de la crise sanitaire sur ces relations ?

Elle a caricaturé les positions. Les acteurs économiques qui étaient déjà entrés dans une démarche solidaire ont vraiment joué le jeu, par exemple en accélérant les paiements des TPE/ PME. Les autres n'ont pensé qu'à eux, arrêtant par exemple leurs règlements du jour au lendemain. Le syndrome du paquet de pâtes n'a pas affecté que les consommateurs !

La situation a-t-elle été la même avec le secteur public ?

C'est la bonne surprise de ces dix années. Très engoncé dans un carcan réglementaire, ce secteur partait de loin.

Il s'est pourtant transformé en acteur responsable. Les 40 cas de mauvaises pratiques en matière de délais de paiement qui sont remontés au Comité de crise que je copréside avec Frédéric Visnovsky, Médiateur national du crédit (lire infra), concernent 40 acteurs privés ! Pour autant, tout n'est pas parfait, le secteur public représente environ 20 % de nos cas de médiation, avec notamment des problèmes de fin de chantier. Mais cela se finit de moins en moins au tribunal. Il est par ailleurs leader sur des sujets comme la dématérialisation des factures.

La typologie des sujets qui font l'objet de médiations a-t-elle évolué avec la crise ?

Les saisines de la Médiation des entreprises sur les délais de paiement ont été multipliées par dix en mars 2020. Le Comité de crise sur les délais de paiement a donc été mis en place au printemps 2020. Les médiations pour ruptures brutales de contrats, ainsi que pour difficultés à payer les baux commerciaux, nous ont aussi bien occupés. Depuis mi-2021, le sujet prégnant est celui des matières premières, les entreprises subissant des hausses de prix de 20, 30, 40 % et des retards de livraison. Ce qui a conduit, en janvier 2022, à élargir les missions du Comité de crise à l'approvisionnement.

Quel est le bilan de ce Comité de crise sur les délais de paiement ?

Il a eu un vrai impact. Fin 2019, le délai de retard moyen était de dix jours, mi-2020, de quinze jours, et fin 2020 de douze jours. Nous avons fait en sorte que la bosse ne monte pas trop haut et retombe vite. La mise en place du comité a eu un effet immédiat, et nous avons agi sur des dizaines d'entreprises structurantes, qui dépensent plusieurs milliards d'euros. Nous avons aussi pratiqué le « name & fame », pour mettre en lumière des donneurs d'ordres exemplaires, qui ont par exemple accéléré leurs paiements aux TPE/PME.

L'allongement des retards de paiement est-il calqué sur les phases épidémiques, les confinements ?

Pour partie seulement. Sur la quarantaine d'acteurs que j'ai interpellés pendant la crise, un tiers faisaient exprès de bloquer leurs paiements par réflexe de panique. Un tiers ont rencontré des problèmes techniques liés au télétravail, qu'ils réussissaient pourtant à surmonter pour faire tourner leur activité. Un tiers seulement étaient en réelle difficulté, et nous avons fait un gros travail avec le Médiateur du crédit pour les accompagner vers le prêt garanti par l'Etat, et avec leurs fournisseurs pour leur expliquer et les rassurer.

Faut-il faire évoluer le cadre juridique des délais de paiement ?

Non, le délai de paiement de soixante jours entre entreprises constitue plutôt un bon équilibre, à condition que les créanciers soient certains d'être payés dans les temps !

L'arsenal de sanctions est là, c'est à présent surtout une question de confiance, de culture. Le zéro défaut dans le paiement des factures n'est pas vraiment encore un objectif pour les entreprises. Et il faut remettre de l'humain dans les paiements. Par exemple, si la facturation électronique obligatoire dans le secteur public a eu un impact important, elle ne résout pas tout. Encore faut-il que le client aille traiter la facture sur la plate-forme, qu'il y ait un bon de commande en face, et que le dialogue soit possible si cela coince.

« L'un des objectifs du comité spécifique au BTP créé mi-2021 est de définir les bonnes pratiques de la filière qui serviront de socle aux discussions. »

L'affacturage inversé, que vous promouvez, décolle-t-il ?

La démocratisation de cet outil au service de la trésorerie des entreprises - à présent appelé « paiement fournisseur anticipé » - prend un temps infini ! La loi Pacte a rassuré les acheteurs publics en leur confirmant qu'ils pouvaient y recourir en toute sécurité. Cela bouillonne désormais. D'après l'Association française des sociétés financières, il y a des dizaines de programmes en cours. La reprise économique et la remontée des taux d'intérêt devraient favoriser son utilisation.

Un comité spécifique au BTP a par ailleurs également été constitué. Avec quelle efficacité ?

Créé dès la mi-2021 avec toutes les fédérations concernées, il visait à faire remonter le nom des gros acteurs structurants, aussi bien clients que fournisseurs, qui ne jouent pas le jeu de la solidarité économique. Pas de « name & shame » : j'ai pris mon téléphone pour leur parler, et ça marche !

Autre objectif, définir les bonnes pratiques de la filière. Ce travail devrait aboutir avant l'été à quelques préconisations sur plusieurs points : comment traiter les problèmes, notamment d'approvisionnement, mieux dialoguer, améliorer la transparence… En cas de difficulté, elles serviront ensuite de socle, reconnu par l'ensemble de la filière, aux discussions.

Quels sont les premiers constats du comité élargi à la crise de l'approvisionnement ?

La situation s'est un peu améliorée, malheureusement la crise connaît un rebond lié à l'énergie, qui affecte fortement les matières premières - et pas forcément les mêmes que précédemment. L'acier et la laine de roche, par exemple, sont aujourd'hui pénalisés. Il faudra au moins quelques mois pour en sortir. Mais les fédérations affirment que la simple mise en place du comité avait permis de résoudre un certain nombre de problèmes ! Je n'ai pas vocation à faire éternellement l'épouvantail mais cela fait partie du jeu… Je ne demande pas aux industriels de ne pas augmenter leurs prix, ce serait irréaliste. En revanche, la transparence et le dialogue sont primordiaux pour amortir le plus possible le choc ensemble, sur la base de données partagées. Et ne pas pénaliser des retards de livraison dus à une pénurie mondiale.

Y a-t-il un engouement pour le label Relations fournisseurs et achats responsables ?

Nous avons lancé en octobre dernier notre Parcours national des achats responsables, dans lequel nous voulons attirer un maximum d'acteurs publics et privés afin qu'ils souscrivent à notre Charte des relations fournisseurs et achats responsables, utilisent notre outil d'autodiagnostic, puis décrochent le label [adossé à la norme , NDLR]. Nous avons eu cinq ou six labellisés de plus depuis le lancement de ce parcours, ce qui porte le total à 65. Afin de faciliter son obtention, nous allons le décliner d'ici à l'été en trois niveaux, bronze, argent et or.

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