Le malheur des uns fait le bonheur des autres. Sur les neuf premiers mois de l’année, de janvier à septembre 2020, le chiffre d’affaires des magasins physiques a baissé en moyenne de 20 % en France par rapport à la même période en 2019.
Dans le même temps, les recettes générées par les enseignes de e-commerce a augmenté de 87 %. Du jamais vu pour Emmanuel Le Roch, délégué général de la Fédération pour la promotion du commerce spécialisé (Procos), qui a dévoilé ces chiffres ce 22 octobre 2020, à l'occasion d'une web-conférence.
Les gros centres commerciaux et les métropoles souffrent plus
Des résultats qu’il convient toutefois de nuancer en fonction des secteurs d’activités, des typologie de surfaces commerciales et des zones géographiques. « Les mesures sanitaires créent des disparités territoriales », analyse le spécialiste.
Les moyennes surfaces de périphérie et les retail parks (galeries marchandes à ciel ouvert), sont favorisés au détriment des grands centres commerciaux des métropoles, lesquels ont perdu, pour certains, jusqu’à 30 % de leur fréquentation. « Ces derniers sont très affectés par la problématique du télétravail, des transports en commun, du fait d’être des lieux fermés, anxiogènes pour une partie de la population, notamment la plus âgée, et par l’état d’esprit des consommateurs qui se déplacent davantage en magasin pour des achats utilitaires que pour la flânerie ou le shopping ».
La même tendance se dégage en centre-ville. Les commerces des grandes villes souffrent plus que ceux des petites. « Jusque-là, on s’inquiétait pour les villes moyennes mais, aujourd’hui, conjoncturellement, l’inquiétude est plus sur les métropoles », reconnaît Emmanuel Le Roch.
A l’exception du mois de juillet, la fréquentation des magasins y est en baisse par rapport à 2019. Celle-ci y a même chuté de 30 % en septembre, après la rentrée scolaire.
-31,8 % de chiffre d'affaires en Ile-de-France
Paris intra-muros est particulièrement frappée par le phénomène. Les commerces de la capitale sont touchés de plein fouet par les effets collatéraux du Covid : niveau élevé du télétravail en Ile-de-France (30 % des salariés, contre seulement 13 % en Auvergne-Rhône-Alpes, deuxième au classement), absence de touristes étrangers, méfiance vis-à-vis des transports en commun et perturbation de la vie culturelle liée à l’application des gestes barrières.
Les quartiers du Marais, des Champs-Elysées et de Montparnasse sont les plus affectés. Sur le mois de septembre 2020, leurs boutiques ont vu leur taux de fréquentation s’effondrer respectivement de 89 %, 65 % et 50,6 % par rapport à septembre 2019.
Au-delà de Paris, toute la région Ile-de-France subit de plein fouet la crise sanitaire. « Sur les neuf premiers mois de l’année 2020, la baisse de chiffresd’affaires cumulées des magasins du panel Procos est de -31,8 % en Ile-de-France alors qu’elle est de -20 % sur la France entière », note Procos.
Toutefois, « plus on s’éloigne de Paris, moins l’impact est fort ». Ainsi, les centres commerciaux "Parly 2", au Chesnay (Yvelines), ou "Carré Sénart" à Lieusaint (Seine-et-Marne), résistent mieux que "Les Quatre Temps" à La Défense ou "Créteil Soleil" qui ont perdu près d’un tiers de leur clientèle et près d’un quart de leur chiffre d’affaires en septembre dernier (comparé à septembre 2019).
Adapter le montant des loyers à la réalité du chiffre d'affaires
Cette situation « inédite et grave » aura des conséquences lourdes pour les acteurs du commerce. « Dans la restauration, 15 à 20 % des points de vente, soit plusieurs milliers de magasins, pourront être amenés à ne jamais rouvrir », estime Emmanuel Le Roch.
Si « certains positionnements, en particulier les formats discount, sortiront probablement renforcés de la crise, d’autres secteurs (restauration, cinéma, salle de sport) « sont en grand danger et ne pourront survivre qu’à la condition d’accompagnement massifs de la part de l’Etat et des bailleurs », alertent les adhérents de Procos. Selon la fédération, « la survie des acteurs et des magasins peut dépendre de la réactivité des pouvoirs publics dans les aides et l’adaptation très rapide des loyers à la réalité des chiffres d’affaires ».
Or, au regret de la fédération du commerce spécialisé, aucun dispositif n’a jamais été mis en place pour adapter le montant du loyer à la réalité du chiffre d’affaires, laissant bailleur et preneur régler la situation de gré à gré. « De même, rien n’est aujourd’hui en place pour répondre à en urgence à la situation, dans le cas où des reconfinements ponctuels interviendraient dans les prochains mois, ni pour répondre aux grosses difficultés vécues actuellement dans les grandes rues ou centres commerciaux, notamment à Paris », déplore Procos. « Nous sommes un peu tristes de voir que dans une situation aussi grave, la réactivité n’est pas là », confie Emmanuel Le Roch.
Choisir un modèle pour le commerce de demain
En outre, tout en saluant les mesures de chômage partiel et le Prêt Garanti par l’Etat (PGE), auxquels les commerçants ont recouru massivement, Procos demande des aides complémentaires : la suppression de la Tascom (1Mds€) dans le cadre du PLF 2021, un soutien à la transformation numérique du secteur et des subventions pour la transition écologique
« L’accompagnement dans le domaine est prioritairement prévu pour les bâtiments publics et le logement. Par ailleurs, quelques aides (100 M€ sur 30 milliards) sont réservées aux TPE-PME, dont une partie sera sans doute accessible aux petites entreprises du commerce. Ce n’est malheureusement pas suffisant si on veut créer une véritable impulsion pour la modernisation du parc de magasins à travers tout le territoire français », souligne Procos.
Enfin, la fédération du retail milite pour un « plan Commerce ». Pour Emmanuel Le Roch, « il faut réunir les différents acteurs de la filière -collectivités locales, commerçants, bailleurs- pour avoir une vision partagée de la place du commerce dans les territoires pour les dix ou quinze prochaines années, afin d’être dans des sujets de construction de l’avenir, dans une logique d’impulsion plutôt que de conflit entre le centre-ville et la périphérie, le commerce physique et le e-commerce, alimentaire et non alimentaire. Nous avons le choix entre deux modèles : bâtir une France des lieux de vie attractifs ou préparer une France de l’excellence de la livraison à domicile ».