Le boom du logement fait les beaux jours des professionnels

L’envolée du logement profite aux professionnels de la filière, qu’il s’agisse des intermédiaires ou des bâtisseurs…, mais aussi à l’Etat, aux villes et aux départements, qui voient leurs rentrées fiscales augmenter. La transaction, un métier peu rentable

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En quête de confort ou d’indépendance, les Français sont devenus des acheteurs convaincus de logements. Et si aujourd’hui 56 % de la population est déjà propriétaire, nul doute que cette proportion ne s’accroisse. Pourtant, entre 1995 - année où le marché était très déprimé – et 2004, le prix moyen au mètre carré d’un logement ancien est monté de 1 323 à 2 532 euros. En dix ans, la durée moyenne des crédits est passée de 12,5 années à 16,5, les taux d’intérêt baissant de 7,5 % à moins de 4 %. La progression du nombre de transactions dans l’ancien a atteint 50 %, malgré un léger tassement récent.

C’est dire si les ménages ont réussi à faire leur affaire de cette hausse et ont bien alimenté le marché. Une situation en or pour les professionnels ? Habitués à cette forte conjoncture, qui persiste au-delà des cycles habituels de l’immobilier, ils se montrent parfois plus sensibles à ses inconvénients mais n’en nient pas les avantages.

L’ÉTAT/LES VILLES

La hausse des prix de l’immobilier de logement entraîne directement la progression des droits de mutation, assis sur les ventes (4,89 % de leur ­montant). Leur recette progresse de 10 % par an depuis 1999. Cette hausse fait les beaux jours des communes et des départements : en 2004, les départements ont perçu à ce titre 5,7 milliards d’euros et les communes 1,72 milliard d’euros. A la fois commune et département, Paris a touché 668 millions d’euros contre 484 millions d’euros en 2001. L’Etat, qui perçoit l’impôt sur les plus-values payé par les particuliers revendant un bien autre que leur résidence principale détenu depuis moins de quinze ans, s’enrichit aussi.

Mais l’envolée des prix a eu pour conséquence de rendre redevables de l’impôt de solidarité sur la fortune des ménages qui n’auraient jamais imaginé entrer dans son champ. Le cas des habitants de l’île de Ré, où les prix des terrains sont passés, en dix ans, de 80 à 300 euros le mètre carré et où ostréiculteurs et petits agriculteurs doivent payer des impôts largement supérieurs à leurs revenus, est sans doute extrême. Toutefois, le nombre de contribuables assujettis à l’ISF est passé de 179 000 à 335 000 depuis 1997, suivant l’envolée de la pierre. L’assiette fiscale de cet impôt, qui a rapporté 2,6 milliards d’euros en 2004, repose aujourd’hui pour 222 milliards d’euros sur l’immobilier contre 370 milliards pour les divers biens mobiliers. Et on évalue à 14 000 par an le nombre de contribuables supplémentaires soumis à l’ISF du seul fait du boom immobilier.

De même, l’envolée de la construction de logements privés gonfle les rentrées de TVA. Les promoteurs qui avaient payé 2 milliards de TVA pour 12 milliards de chiffre d’affaires, en 1996, en acquitteront 4 milliards en 2004 pour 24 milliards.

Pour sa part, Michel Mouillart, professeur à Paris X-Nanterre, estime à 4,4 milliards d’euros le gain de TVA lié à la seule hausse des prix depuis 1997. Ce chiffre se ventile entre 2,6 milliards pour les terrains et 1,8 milliard pour le logement. Il suit l’envolée des prix et monte au fil des ans, passant de 208,3 millions en 1998 à 888,4 millions en 2005 (prévisions), après avoir atteint 814,2 millions en 2004. L’écart est calculé en comparant ce qu’auraient été les recettes de TVA si les prix des logements et terrains avaient suivi l’indice du coût de la construction avec ce qu’elles ont été effectivement.

Le financement des programmes de logements sociaux devrait s’en trouver facilité. En théorie. Car l’envolée des prix fait la course avec celle des recettes fiscales. La hausse du foncier, en particulier, est spécialement forte. Un récent rapport du Sénat conclut que les prix des terrains représentent aujourd’hui 50 % du coût global de la construction, contre 30 % il y a trois ans. Ainsi, à Lyon, le budget d’acquisition de foncier de la communauté urbaine est passé de 1 million d’euros en 2000 à 16 millions en 2005. ­Elle est parvenue à libérer 100 hectares de terrains pour y faire 5 000 logements, dont 20 % à vocation sociale. Elle tente aussi de préempter le parc privé à vocation sociale du quartier de la Croix-Rousse. L’affaire est urgente car la part du parc privé de Lyon ayant une vocation sociale, qui était de 90 % en 1990, est tombée à 15 % en 1999 et à 8 % en 2005 ; la vocation sociale n’a pas résisté à l’escalade du marché.

« A Paris, explique Jean-Yves Mano, adjoint au maire pour le logement, le parc locatif privé ne cesse de diminuer, notamment avec les ventes à la découpe, 60 % des locataires ne pouvant pas acheter. Les ménages logés dans des HLM n’en bougent plus : le taux de rotation est tombé à moins de 4 % vu l’écart entre le loyer social, 8 à 10 euros le mètre carré, et le loyer privé, qui atteint 20 à 25 euros le mètre carré. Nous avons quand même réussi à maintenir le cap du logement social, avec 15 500 logements créés depuis 2001, en combinant un tiers de neuf, un tiers d’acquisitions avec réhabilitation lourde et un tiers d’acquisition de patrimoine en état variable. »

LES INTERMÉDIAIRES

«Aujourd’hui, tout va bien et je ne constate pas que ça s’arrête », déclare Alain Dinin, le P-DG de Nexity, premier promoteur français. Bien que tous les professionnels n’affichent pas leur satisfaction aussi franchement, force est de constater que le boom du marché du logement soutient un vaste secteur de l’économie. Même si la hausse effrénée des valeurs, notamment celle des terrains, pose des problèmes aux entreprises, la décennie qui vient de s’écouler a permis une progression assez générale de la rentabilité des professionnels, accompagnée d’une concentration chez les promoteurs et agents immobiliers. Et, plus généralement, d’une transformation des modes opératoires des entreprises.

Outre les promoteurs et les constructeurs de maisons individuelles, les agences immobilières, les syndics, les notaires ou les banques, on trouve parmi les principaux bénéficiaires de l’envolée du marché, les foncières et les détenteurs privés ou publics de terrains. « Les prix des terrains ont augmenté de 37 % en cinq ans, note Alain Dinin, et le terrain à bâtir moyen se négocie aujourd’hui 73 800 euros. » Un groupe de promotion comme Nexity affiche au premier semestre 2005 une marge opérationnelle de près de 14 % et de 15,3 % pour son pôle logement, en hausse de trois points sur un an.

Mais les métiers plus en aval de la filière construction sont aussi fort prospères. Les syndics, par exemple, ont réalisé en 2004, 3,14 milliards d’euros de chiffre d’affaires et un résultat net de 261 millions d’euros, soit une marge de 8,33 %. Le chiffre d’affaires des agents immobiliers a cru de 54 % depuis 1997, et 25 000 cabinets vivent de ce métier, soit 10 000 de plus en dix ans. Les agences ont-elles réussi pour autant à capter une plus forte proportion des ventes ? Le débat reste ouvert.

L’adaptation des modes opératoires des entreprises se traduit aussi par l’entrée dans de nouveaux métiers : c’est ainsi qu’on voit Nexity - mais il n’est pas le seul - se lancer dans des opérations globales d’urbanisme dans des quartiers à restructurer. On assiste aussi à l’épanouissement de nouvelles professions liées aux transactions : c’est le cas des diagnostiqueurs, portés par le développement de la réglementation destinée à protéger l’acheteur.

Le montant des crédits à l’immobilier des banques ne cesse de gonfler : 135 milliards sont attendus pour cette année, contre 110 milliards en 2004. Face à la désolvabilisation de la clientèle, elles ont à la fois proposé des taux de crédit immobilier bas - c’est un produit d’appel, même s’il est rentable - et des durées de prêts de plus en plus longues, puisque les prêts peuvent aller jusqu’à 35 ans. Les acquéreurs ont suivi, et la durée de leurs prêts s’allonge très vite : entre 2004 et 2005, elle a gagné en moyenne un an, pour passer de seize à dix-sept ans.

Les banques s’intéressent aussi de plus en plus aux services immobiliers. BNP Paribas, autour de sa filiale de promotion Meunier, se développe dans la commercialisation avec son enseigne Espace Immobilier et a vendu 3 700 logements en 2004. Le Crédit immobilier de France a acquis 140 cabinets de syndics et de transactions sous le label Immo de France… Même si la rentabilité de ces activités n’est pas très élevée, les banques voient un intérêt à offrir une palette complète de services et espèrent améliorer leur rentabilité par une forte présence sur le marché, et le développement de produits annexes comme les assurances.

Les constructeurs de maisons individuelles, aussi, ont évolué : même si la hausse des prix dans les zones urbaines les rend plus concurrentiels, il leur a fallu faire preuve d’innovation. C’est ainsi, par exemple, que Maisons France Confort, numéro deux français, va lancer des maisons bioclimatiques - dont le surcoût est de 15 % - pour une clientèle plus sophistiquée, et des maisons industrialisées, qui peuvent être vendues 14 % moins cher que les maisons traditionnelles. Quant aux compagnies d’assurances, elles tentent aussi de profiter de la situation en poussant l’idée d’assurances « impayés de loyers », ce qui suscite pour l’instant une nette résistance des locataires.

Aujourd’hui, les prix tendent à s’écrêter. Alors que l’on se trouve actuel­le­ment sur un rythme annuel de hausse des prix de 11,8 %, la Fnaim prévoit pour les transactions dans ­l’ancien que l’on va descendre à 10 % sur 2005, soit un net ralentissement par rapport à 2004, où ils galopaient encore au rythme de 17 %. Cela semble bien indiquer que l’on ne s’oriente pas vers un écroulement du marché, succédant à une bulle spéculative, mais plutôt vers un ajustement. Encore que les spécialistes voient de nouvelles possibilités dans l’hypothèque rechargeable, qui permet de se réendetter au fur et à mesure des remboursements. La réforme « rendrait le marché plus liquide, plus souple, et devrait le dynamiser », estime Alexandre de Gouïyon-Matignon, d’Eversheds, premier cabinet d’avocats mondial spécialisé en immobilier.

Enfin, la prospérité de ces dernières années a poussé les professionnels à améliorer leur qualification. C’est ainsi qu’ont été créées des formations de niveau universitaire comme l’Ecole supérieure des professions immobilières ou l’Institut du management des ­services immobiliers.

LES BÂTISSEURS

Le tonus du logement a un dernier incontestable bénéficiaire : le bâtiment. Et, derrière lui, l’économie dans son ensemble puisque l’on sait qu’un logement construit entraîne directement et indirectement la création de 2,5 emplois.

En 1995, le bâtiment était en plein marasme : il réalisait 67,53 milliards de chiffre d’affaires HT avec 870 000 salariés, et ne construisait que 270 000 logements. En partie parce que les prévisions en matière de population étaient inférieures à la réalité et que les besoins de logements étaient très sous-estimés, et aussi parce que les promoteurs comme les constructeurs, financièrement exsangues, lançaient le moins d’opérations possibles.

Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de la profession est monté à 98 milliards. Et cette année encore, on attend une croissance assise sur le logement, puisque l’immobilier d’entreprise est plutôt atone. La construction est déjà remonté en 2004 à près de 363 000 logements, ce qui a permis 25 000 créations d’emplois (soit un effectif salarié de près de 890 000 personnes), et ce rythme devra être tenu pendant plusieurs années pour rattraper le retard accumulé depuis la fin des années 1990 et le début des années 2000.

Pour 2005, la progression prévue est de 3,5 % en volume : « La hausse des prix du logement, estime-t-on à la Fédération française du bâtiment, a permis aux entreprises de remonter à marge plus acceptable, de 1 à 2 % pendant la crise à 3 à 4 % aujourd’hui, mais plutôt de 6 % pour les entreprises de plus de 50 salariés. » Elle a permis aussi d’absorber diverses hausses sur la période récente : celle des cours du pétrole, celle des matières premières et, notamment, celle de l’acier, qui a beaucoup pesé sur le bâtiment.

98,4 % Appartements anciens en dix ans

(Source : Fnaim)

60 %

Prix des appartements neufsen dix ans

(Source : FPC)

93,5 %

Prix des maisons anciennes en dix ans

(Source : Fnaim)

38 %

Prix des maisons neuves en diffusen dix ans

(Source : Caron Marketing)

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