« La notion de béton bas carbone est devenu un concept fourre-tout, qui met surtout en évidence l'absence de normes et de références partagées », estime Laurent Izoret, directeur délégué de l'Association technique de l'industrie des liants hydrauliques (Atilh), chargé du pôle produits et applications. Un flou qui s'explique par la phase de transition enclenchée par ce matériau, selon Vladimir Doray, fondateur de l'agence Wild Rabbits Architecture : « La filière béton doit se repositionner pour anticiper la réglementation environnementale 2020 (RE 2020), qui va enfin intégrer le calcul carbone. » Dans ce contexte, les procédés à forte émission de CO2 seront défavorisés. Or, à l'échelle mondiale, le béton représente à lui seul 5 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) (1).
La problématique est posée, et la filière tente de la résoudre en réduisant son impact carbone.

Un béton classique formulé avec un ciment Portland (CEM I) émet plus de 800 kg en équivalent CO2 par tonne de ciment. Bien que le liant hydraulique ne constitue que 12 % de sa composition, il représente la principale cause des émissions de GES. Et la faute en incombe au clinker, lequel représente 95 % de la composition du ciment. Or, ce constituant est problématique à double titre. D'une part, il résulte d'une cuisson à 1 450 °C obtenue avec la combustion d'énergies fossiles. D'autre part, il contient essentiellement du calcaire qui se décarbonate en chauffant, et donc libère du CO2.
Afin de limiter les émissions carbone liées au clinker, les industriels utilisent déjà des combustibles de substitution et des coproduits qui remplacent le calcaire, comme des cendres volantes ou des laitiers de hauts fourneaux. Leur usage est d'ailleurs défini dans la norme relative aux bétons. « Ce texte, dans le cas des bétons d'ingénierie, nous autorise à utiliser 50 % de laitiers moulus pour formuler un liant. Le matériau qui en résulte divise ainsi par deux ses émissions », souligne Diane Achard, ingénieur applications chez Ecocem. Par ailleurs, le Comité européen de normalisation (CEN) cherche à introduire un nouveau ciment, un CEM VI, qui fera encore baisser la part du clinker à 35 %.

Sans cuisson, ni clinker. Le cimentier vendéen Hoffmann Green Cement Technologies (HGCT) a poussé à l'extrême cette stratégie. Il travaille sur un ciment réalisé sans cuisson, ni clinker. Côté formulation, les mêmes coproduits minéraux (argile, gypse, laitier) sont mélangés à un activateur en poudre dont la formulation est confidentielle. Trois ciments élaborés sur le principe des géo polymères en résultent. Ils sont baptisés H-P 2A, H-EVA et H-UKR. Les émissions de ce dernier sont de 188 kg de CO2 de ciment. Ces produits sont actuellement encours de certification par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB). Par ailleurs, les analyses de cycle de vie (ACV) devraient se traduire enfiches de déclaration environnementale et sanitaire (FDES) d'ici à la fin 2019.
Côté production, « le pro ces s ne nécessite ni eau ni transformation thermique, et l'usine n'émet aucun rejet dans la nature », assure David Guglielmetti, directeur du développement de l'industriel. Une partie (30 %) des besoins énergétiques de l'usine est couverte par trois trac kers solaires, le reste est assuré par le réseau électrique. Le site produit actuellement 50 000 tonnes de ciment par an, une petite quantité au vu du marché français estimé à 18 millions de tonnes. HGCT prévoit donc l'ouverture de deux nouveaux sites à court terme.

Ce matériau représente 5 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
Devant ces initiatives, Patrick Rougeau, directeur matériaux et économie circulaire au Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib), souligne l'implication des industriels qui « travaillent déjà à réduire davantage l'empreinte carbone de leurs produits ». En attendant de connaître les seuils exacts qui seront imposés par la RE 2020, Lafarge s'implique en communiquant avec son outil « Lafarge 360 ». L'industriel y note ses produits de A à D, en fonction de la réduction des émissions de CO2 et de la part de matériaux recyclés qu'ils intègrent. « L'objectif est de sensibiliser et d'accompagner nos clients sur l'impact énergétique et carbone de nos matériaux », explique Mouloud Behloul, directeur innovation et construction durable chez Lafarge Ciment France. Indépendamment de la réduction des émissions de GES inhérents au matériau, une autre voie est possible, comme le rappelle Jean-Marc Potier, responsable technique du Syndicat national du béton prêt à l'emploi (SNBPE) : « Ce qui importe, c'est d'utiliser le bon béton au bon endroit. » Un objectif qui reprend les principes de l'approche performantielle, traduite dans le guide « Maîtrise de la durabilité des ouvrages d'art en béton », édité par l'Ifsttar en 2010. « Cette démarche implique d'envisager l'ouvrage dans sa globalité, poursuit l'expert, et de tenir compte du gros et du second œuvre pendant toute la durée de vie du bâtiment. » Recourir à des solutions mixtes avec du bois ou de l'acier peut ainsi présenter plusieurs avantages : une empreinte carbone réduite et des performances adaptées aux besoins et aux contextes.
(1) Source : Artelia Bâtiments durables, à partir des données de Manicore & Bribiánet al. (2017).