Un directeur général mis à pied après avoir dénoncé « les entraves et les ingérences quotidiennes » de sa présidente, un ancien directeur général devenu conseiller de son successeur licencié pour faute grave, des lettres anonymes dénonçant les supposées malversations de dirigeants, des bureaux perquisitionnés par la brigade financière pour des soupçons de favoritisme dans les marchés de travaux, une présidente qui affirme découvrir dans la presse des manquements dans la gestion de l’organisme et saisit le procureur pour des soupçons de délits de détournements de fonds publics, d’abus de confiance et de prise illégale d’intérêts... le tout saupoudré d’accusations de népotisme et de clientélisme... Bienvenue rue Albe, au siège marseillais de l’Office public de l’habitat (OPH) 13 Habitat (700 collaborateurs), bailleur social du département des Bouches-du-Rhône.
Principal OPH de la région Paca
Depuis deux semaines, l’organisme, qui est le principal bailleur public de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur avec un parc de quelque 33 700 logements, connait d’importants soubresauts. Le conflit qui oppose Nora Preziosi, la conseillère départementale marseillaise déléguée à la politique de la ville et au renouvellement urbain à la tête du conseil d’administration de l’office depuis octobre 2022, et les deux derniers DG de l’OPH, Jean-Louis Ervoes et son successeur Frédéric Mignon jette un voile opaque sur la situation du logement social dans un département qui compte un tiers de ses communes (40 sur 119) frappées d’un arrêté de carence pour non respect du quota légal de logements sociaux. Et dont les listes d’attente pour décrocher un HLM s’allongent comme un jour sans pain : au début 2025, 110 000 demandes y sont en souffrance, chiffre en hausse de 10 % en douze mois.
Seulement 114 agréments en 2024
Dans ce paysage hypertendu, 13 Habitat peine à jouer le rôle moteur que son statut et son plan stratégique du patrimoine (PSP) voté en mars 2023 l’invitent à tenir. Alors qu’en janvier 2023, un rapport de l’agence nationale de contrôle du logement social (Ancols) pointait le malthusianisme productif de l’OPH, notant le décalage entre l’état de son patrimoine (20 % du parc départemental) et le niveau de sa production neuve (11 % de la production de l’ensemble des bailleurs sociaux), la situation empire. Malgré l’ambition du PSP qui prévoit une enveloppe d’investissement de 4 milliards d’euros d’ici 2040 pour réhabiliter 22 000 logements et construire 400 logements neufs par an à partir de 2026, l’organisme avance au rythme d’un escargot au galop : en 2024, il a obtenu 114 agréments, soit seulement 6 % de la production départementale (1 898). Et d’ici fin 2026, pas de coup de collier en vue puisque l’OPH prévoit de construire 270 nouveaux logements (soit 135 par an), un engagement qu’il compte tenir en puisant dans l’enveloppe de financement de 315 millions d’euros octroyée par la Banque des territoires le 13 mars.
Brouillard sur les comptes
Plus grave, le flou entoure les comptes. Dans le communiqué publié le 26 mars annonçant le limogeage des deux dirigeants, Nora Preziosi indiquait avoir découvert « avec stupéfaction, dans la presse, le chiffre de 8 millions d’impayés » (sur un montant de quittance et de charges de 200 millions d’euros). Deux jours plus tard, Romain Luongo, directeur de la communication et du cadre de vie de l’office ajoutait une couche de brume sur le plateau de BFM Marseille en évoquant un montant potentiel « de 17 millions d’impayés », somme intégrant celles dues par les locataires ayant quitté leur logement. Des révélations qui interrogent quant à l’efficacité du commissaire chargé de certifier les comptes de l’organisme qui affiche un budget de 387 millions d’euros (253 millions d’euros en fonctionnement et 134 millions d’euros en investissement) en 2024.
La vacance ne prend pas de vacances
Autre dysfonctionnement mis en avant par la présidente : le nombre de logements vacants ou faisant l’objet de procédures. Selon nos informations, le taux de logements inoccupés atteint 6,2 % en 2024, niveau en hausse d’un point par rapport à 2020. Une augmentation, là encore, en contradiction avec l’objectif affiché par l’OPH de ramener ce taux de vacance à 3,9 % en 2029.
La Fédération des OPH « fortement préoccupée »
Du côté de la fédération des OPH, on suit évidemment avec inquiétude cette crise de gouvernance. Marcel Rogemont, son président, fait part de « sa forte préoccupation ». Tendant la main Martine Vassal, la présidente (DVD) du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, tutelle de 13 Habitat, afin « d’échanger avec elle sur la situation », le patron de la fédération des OPH rappelle que l’organisme « a les reins solides ». D’où « son incompréhension face à une crise de gouvernance préjudiciable pour le département et les communes ». Une crise révélatrice d’un mal plus profond ? Marcel Rogemont refuse cette hypothèse. Même si l’Ancols, alertée par les révélations de la presse, a été mandatée au mois d’août 2024 pour réaliser un nouvel audit sur le fonctionnement de l’organisme. Un état des lieux que d’aucun annonce explosif. A défaut d’en connaître la teneur exacte, le rapport définitif n’étant pas publié, ses conséquences sont déjà tangibles : la déflagration fait suite à la première restitution orale du rapport du gendarme financier des HLM, le 3 février 2025.
Une remise... remise sine die
Autre conséquence révélatrice du climat délétère : Nora Preziosi figurait sur la liste des personnalités promues au rang de chevalier de la Légion d’honneur sur le contingent du ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires le 9 juillet 2024. La remise de l’insigne prévue le 21 septembre 2024 par le préfet des Bouches-du-Rhône a été reportée sine die... Entre temps, Marsactu s’était fait l’écho d’une attribution d’un logement du parc de 13 Habitat entièrement rénové aux Catalans, un quartier huppé du littoral marseillais à la mère de la présidente. Dans La Provence, son entourage s’était défendu de toute ingérence, affirmant que l’appartement avait été attribué au titre du contingent préfectoral. Une information aussitôt démentie par la préfecture. Un mois plus tard, les inspecteurs de l’Ancols revenaient rue Albe...
« J’ai donné ma confiance à des hommes qui en ont abusé », Nora Preziosi, présidente de 13 Habitat
Nora Preziosi, présidente de 13 Habitat. © Paul Boinet
Depuis 9 mois et le changement de directeur, les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour 13 Habitat. On a l’impression de la chronique d’une crise annoncée : n’avez-vous pas senti venir ces vents contraires ?
Le statut de présidente de 13 Habitat n’offre pas de fonctions exécutives. Oui, je m’investis beaucoup. Cette fonction me tient à cœur. J’ai donné ma confiance à des hommes qui en ont abusé, qui ne la méritait pas et qui n’avaient pas visiblement les compétences nécessaires. J’ai pu néanmoins identifier ces dérives avant que la situation ne devienne trop difficile. Que les choses soient claires : tant que je serai présidente, il n’y aura pas de parachute doré à 13 Habitat.
J’ai alerté le parquet et les dossiers sont entre les mains de la justice. J’ai aujourd’hui une équipe resserrée, un directeur général par intérim avec beaucoup d’expérience [Didier Papacalodouca, qui était jusque-là directeur des territoires de l’OPH, NDLR]. Nous sommes en ordre de marche. 13 Habitat a un cap à tenir et nous le tiendrons. Ma volonté est farouche, les salariés sont mobilisés. On lance un plan de lutte contre les impayés et la vacance des logements. Nous le devons à nos locataires et à ceux qui attendent trop longtemps un logement social. Nous le devons aussi à nos partenaires et à tous ceux qui nous font confiance.
La crise dans ce secteur n’a jamais été aussi forte dans notre département et nous avons une responsabilité importante pour aller plus vite et plus loin.
Il ne faut pas voir le verre à moitié vide. Nous sommes tombés de haut, mais nous nous relevons. Nous en avons la volonté, la force et la capacité.
En 2024, l’OPH a obtenu 114 agréments. C’est très loin de l’objectif du PSP. Comment expliquer ce décalage ?
Vous avez raison, c’est loin de ce que j’avais demandé et ce que j’avais fixé comme objectif. L’année 2024 était une année de mise en œuvre de notre plan stratégique du patrimoine. Nous avions prévu de construire 400 logements par an. Entre cette année et 2027, nous avons signé pour 855 nouveaux logements. Vous le savez, la difficulté, c’est le foncier disponible. Je sillonne tout le département et je convaincs de nombreux maires. Certaines communes coopèrent beaucoup plus que d’autres… Marseille continue de traîner les pieds alors qu’il y a plus de 50 000 dossiers de demande en souffrance dans cette ville. Mais je n’abandonnerai pas. Se loger dignement est un droit fondamental, les élus ont compris que leur responsabilité est énorme, à la hauteur de leurs engagements. J’ai demandé aux équipes d’appuyer sur l’accélérateur.
Avec les projets Anru, 13 Habitat a devant lui un mur d’investissements : comment y faire face sans gouvernance stabilisée ?
Tout d’abord, le conseil d’administration de 13 Habitat est très investi et mobilisé, comme je le suis. Ensuite le DG par intérim tient le cap et il en a fait plus en une semaine que certains en plusieurs mois. Les financements sont là et tout est programmé. Je rappelle aussi que la Banque des territoires vient de nous accorder un prêt de 315 millions d’euros ce qui nous permet de mener à bien nos projets et de respecter nos engagements. Nous serons au rendez-vous des projets Anru, soyez-en assuré. Nous sommes en cours de réalisation d’une des plus grandes opérations Anru de ces dernières années à Campagne-Lévêque dans le 15e arrondissement à Marseille. Les trafics et les squats pourrissent la vie des habitants, il est urgent d’agir. La précédente direction générale n’avait pas pris la mesure de cette opération à près de 200 millions d’euros, dont 160 millions financés par l’office. Nous sommes maintenant en phase avec les services de l’Etat et les partenaires de cette opération. Pour le reste, que chacun se rassure, nous tiendrons nos objectifs. J’ai annoncé un plan de 4 milliards d’euros sur 18 ans en mars 2023, je m’y tiendrai, et l’office mettra tout en œuvre pour l’assumer. 13 Habitat reste et restera un acteur majeur pour lutter contre la crise du logement dans ce territoire. Je veux terminer en citant Edison : « Notre plus grande faiblesse est d’abandonner, le plus sûr moyen de réussir est d’essayer encore une fois. Alors laissez-nous essayer de réussir ».