La signature scannée est une espèce hybride apparue au début du 21e siècle, au moment où la grande vague du bricolage numérique a supplanté le rouleau de scotch et la paire de ciseaux. Ce que nous appellerons ici signature scannée (ou encore scannérisée [1]) consiste en une « image » de la signature manuscrite originale apposée sur un document numérique qui peut lui-même se présenter sous plusieurs formats (doc, pdf, tif, etc.).
L’usage type de la signature scannée est celui des contrats conclus à distance quand il est impossible d’organiser une réunion de signature ou d’attendre la circulation du contrat par courrier. Les professionnels s’interrogent souvent sur la valeur de la signature scannée, et plus précisément sur la valeur d’un contrat signé et échangé par « pdf scanné ». Ces questionnements se font plus nombreux en ces moments où réunions et services postaux apparaissent soudain comme des souvenirs de temps révolus. C'est l'occasion de faire le point sur une pratique ubiquitaire et (injustement ?) méconnue du Code civil. On verra que la signature scannée n’est pas une panacée mais peut être raisonnablement utilisée quand il est impossible d’obtenir une signature originale (ou en attendant la signature originale). Des précautions complémentaires restent bienvenues s’il est possible de les mettre en œuvre.
D’abord, qu’est-ce qu’une signature ?
L’article 1367 du Code civil mentionne simplement que « la signature nécessaire à la perfection d'un acte juridique identifie son auteur ». Il s’agit donc d’une définition fonctionnelle qui ne préjuge pas de l’outil ou du support utilisé.
Le même article 1367 poursuit en définissant la signature électronique ou numérique entrant dans le cadre du règlement européen eIDAS et qui suppose l’obtention préalable d’un certificat émis par des prestataires qualifiés. Son usage progresse mais n’est pas encore pratique commune. Quant à la signature au sens traditionnel, à savoir manuscrite et en original, le Code civil n’en dit rien.
Quoi qu’il en soit, on admettra que la signature scannée n’est ni une signature électronique ni une signature au sens usuel du terme. Mais en quoi cependant ne serait-elle pas une signature au sens de l’article 1367, alinéa 1 du Code civil puisqu’en pratique, elle est bien supposée « identifier son auteur » ? L’attachement occidental au manuscrit original n’a rien d’universel. Ainsi, l’article 32 du Droit des contrats chinois prévoit ainsi qu’en cas de contrat écrit, le contrat est établi quand les deux parties le signent ou y apposent leur sceau. En réalité, on le voit bien, la signature scannée pourrait tout à fait être considérée comme une signature. Est-ce le cas ?
Les premières réticences des tribunaux
Les tribunaux ont été longtemps très réticents à admettre la signature scannée, en raison du doute pouvant subsister sur l’identité de l’auteur. Avant qu’une définition légale soit apportée (2), la jurisprudence estimait que la signature « est la marque ou le signe de l'approbation personnelle et définitive du contenu de l'acte et de la volonté de s'en approprier les termes » (Cass. 1re civ., 14 février 1968, Bull. civ. I, n° 68). Cette jurisprudence a perduré. L’important est de pouvoir être sûr de l’accord de X mentionné comme signataire d’un acte.
L’hostilité des tribunaux envers la signature scannée s’est marquée à l’égard d’actes administratifs ou judiciaires tels qu’une déclaration d’appel (CA Besançon, 20 octobre 2000, confirmé par Cass. 2e civ., 30 avril 2003, n° 00-46467) ou une demande d’enregistrement d’une marque auprès de l’INPI (CA Fort-de-France, 14 décembre 2012, n° 12/00311), au motif notamment que les signatures scannées n’étaient ni des signatures électroniques ni des signatures manuscrites et ne permettaient pas d’identifier le signataire de façon certaine.
Dans cette veine, la cour d’appel de Paris a ainsi refusé des déclarations de créance signées par scan au motif que les signatures ne permettait ne permettaient pas de vérifier que les personnes habilitées en étaient bien l’auteur (CA Paris, 10 octobre 2006, n° 05/18789).
Le Conseil d’Etat a montré les mêmes réticences (CE, 13 juillet 2013, n° 351931). Toutefois, les sensibilités évoluent.
Une validité prudemment admise de la signature scannée
Il a été admis récemment qu’une contrainte Urssaf soit émise avec une signature scannée sur un document pré imprimé car rien ne permettait de supposer que l’insertion de celle-ci soit intervenue à l’insu de son auteur (CA Rouen, chambre sociale, 5 février 2020, n° 17/01401). Et en 2017, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a par deux fois validé l’apposition de signature scannée sur des contrats de prêt bancaire (CA Aix-en-Provence, 9 mars 2017, n° 14/16204 et 27 avril 2017, n° 15/06339). Dans le dernier arrêt en date, les emprunteurs invoquaient la nullité du contrat en contestant la signature scannée du représentant légal de la banque. La cour relève que les fonds avaient été versés aux emprunteurs et surtout que la signature identifiait bien celui qui l'appose, « peu important qu'elle soit scannée ».
On en revient donc à la fonction d’identification de la signature au-delà de la forme. A cet égard, les suspicions sont certes compréhensibles, mais on ne voit pas en quoi la signature manuscrite permet de les écarter. Hormis les hypothèses où un acte est signé lors d’une réunion par toutes les parties ou au guichet face à un employé, les actes signés supposés originaux sont reçus par courrier. Sauf à être expert graphologue (et encore), bien malin qui peut affirmer que tel gribouillis illisible apposé en bas de page est bien la signature du présumé auteur.
En quoi un contrat avec signature scannée renvoyé par un courriel émis de l’adresse mail habituelle du signataire serait moins fiable que la version renvoyée par courrier avec une signature manuscrite qui peut tout autant être une imitation ? Dans les deux cas, le risque de fraude existe et existera toujours, étant observé que dans le premier cas (signature scannée), il faut en plus que le fraudeur ait piraté la messagerie de l’émetteur.
Tout est donc une question de contexte et par exemple, dans le cas susvisé, la cour d’appel d’Aix a relevé que la banque avait bel et bien libéré les fonds auprès de l’emprunteur ce qui témoignait son consentement au contrat de prêt.
Ainsi, en matière contractuelle, la question de la validité de la signature scannée débouche très vite sur celle de la preuve.
La preuve apportée par une signature scannée (l’exemple du contrat)
Compte tenu de la richesse du sujet, nous aborderons ici la question des contrats où les parties font circuler par mail une version numérique sur laquelle chacune appose une signature scannée. En cas de contestation sur l’existence et surtout le contenu du contrat, sera-t-il possible de faire la preuve par une version comportant une signature scannée ?
Certes, de par la loi (art. 1379 du Code civil), la copie fiable d’un acte a la même force probante que l'original. Cependant un acte avec signature scannée n’est pas une copie, faute d’original. La solution ne passe donc pas par là.
Or, un contrat constitue un acte juridique qui en principe, au-delà du seuil de 1 500 euros, se prouve par un écrit sous seing privé ou un acte authentique. C’est ce qu’on appelle la preuve littérale au sens de l’article 1359 du Code civil. En l’absence de jurisprudence significative, on admet qu’un contrat doté d’une simple signature scannée n’est pas une preuve littérale et mais un simple commencement de preuve par écrit défini par l’article 1362 du Code civil comme un écrit qui, émanant de celui qui conteste un acte, rend vraisemblable ce qui est allégué.
Toutefois, dans le monde des affaires, les exigences de l’article 1359 ne sont en rien prohibitives pour deux raisons. Déjà, sauf exception (3) et même si cela n’est pas explicite dans la loi, il est admis que le commencement de preuve par écrit peut suppléer la preuve littérale. Il faut simplement que ce commencement de preuve soit complété par des indices comme par exemple le fait d’avoir exécuté volontairement un acte. Il a ainsi été jugé que le fait de verser des acomptes vaut commencement de preuve par écrit (Cass. 1e civ. 18 juillet 1995, n° 93-17503).
Surtout, l’article 1359 qui est présenté comme un principe dans le Code civil, est en fait très largement écarté dans le domaine des affaires car il ne s’applique pas en matière commerciale. En effet, la preuve est libre entre commerçants, les actes de commerce pouvant se prouver par tous moyens selon l’article 110-3 du Code de commerce. Le juge peut trouver la preuve des contrats commerciaux dans la correspondance, les factures, ou même par simple présomption. Par exemple, des échanges de courriels peuvent apporter la preuve d’un accord sur un contrat d’apporteur entre deux sociétés ainsi que montant de la rémunération due (CA Aix-en-Provence, 27 juin 2019, n° 17/02049).
Il sera donc délicat pour le représentant légal d’une société de contester l’existence d’un contrat renvoyé à l’autre partie et comportant sa signature scannée avec le risque d’être jugé de mauvaise foi.
Quelques précautions à prendre
Quelques précautions peuvent permettre de limiter les contestations ultérieures. L’objectif est de pouvoir identifier le signataire aussi sûrement que possible (question de validité) et conserver la preuve de l’existence et du contenu de l’acte (question de preuve).
A cet égard, une première précaution est de faire en sorte que l’acte soit renvoyé directement de la boîte électronique du représentant légal ou l'interlocuteur habituel (4) au sein de la société contractante.
Un courriel d’accompagnement faisant référence à des échanges antérieurs et plus généralement les courriels échangés dans le cadre de la négociation du contrat seront également des éléments précieux.
S’agissant du contenu, il est pertinent de demander un paraphe (également scannée) sur chaque page. Pour des contrats significatifs, on pourrait également imaginer de demander une photo (autrement dit un « selfie ») du signataire en train de signer voire organiser une séance de signature en visio-conférence avec échange des versions scannées en direct.
Le confinement peut être l’occasion d’avoir de l’imagination. La preuve en est Cro-Magnon, parfaitement identifiable dans sa grotte de Lascaux. Et pour l’Homo 2.0, la signature scannée a encore de beaux jours devant elle, même si elle sera tôt ou tard supplantée par d’autres outils.