Face au changement climatique, la vulnérabilité de tous les bâtiments de France n’a plus de secret : mise en ligne le 27 avril sur le site taloen.fr dédié aux ressources de l’immobilier durable, l’application Bat’Adapt dévoile l’ampleur des risques jusqu’à l’horizon 2090.
Il suffit de rentrer une adresse du territoire métropolitain, de donner les caractéristiques du bâtiment et de ses abords dans une liste multicritères, et d’un clic : l’application répond par une évaluation de l’exposition à la chaleur, à la sécheresse, aux gonflements et retraits d’argile, aux inondations et aux submersions marines.
La science pour tous
« Merci aux instituts de recherche français ! », s’est exclamé Loïc Moulas, directeur général de l’Observatoire de l’immobilier durable (OID), après la présentation de Bat’Adapt qui a introduit le premier séminaire de l’association en mode confiné, le 28 avril avec 250 participants.
Fruit d’une coopération entre la ville de Paris et l’OID, l’application exploite les données d’organismes publics comme Météo France, le Centre de ressources sur l’évaluation des risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema) ou le bureau d’études géologiques et minières (BRGM). « Nous avons traduit des données scientifiques et techniques en informations intelligibles pour les acteurs du bâtiment comme pour le grand public », explique Loïc Moulas.
La piste low-tech
Présentée comme « le premier jalon d’une stratégie d’adaptation du bâtiment au changement climatique » par Sakina Pen Point, chargée de projets à l’OID, l’application ne demande qu’à s’enrichir : l’association annonce l’intégration de nouveaux aléas comme les canicules ou les îlots de chaleur. Elle invite ses membres à y ajouter des cas pratiques d’adaptation, à l’image des deux opérations-pilote présentées par la ville de Paris (voir zoom ci-dessous).
Un cocktail d'innovations contribue au confort climatique de l'extension de l'école primaire Ivry Levassor, emblématique du bâtiment résilient à Paris.
« Stress-test avant des crises futures d’une ampleur encore plus grande » selon Loïc Moulas, le contexte du confinement a catalysé l’expression des intervenants à la table ronde virtuelle qui a suivi la présentation de Bat’Adapt.
Fil conducteur de leur réflexion, l’approche low-tech « n’attend qu’une explosion pour s’imposer », selon Adrien Sanchez, responsable des corps d’état secondaire chez Bouygues Bâtiment Ile-de-France.
Onde de choc
Certes, dans un monde qui cherche à se rassurer par le contrôle technologique, la société a du mal à se jeter dans l’inconnu encadré par trois mots clé : sobriété, accessibilité, réparabilité. « Avec mes étudiants, nous avons mis des mois pour aboutir à cette définition du low tech », développe Adrien Sanchez, par ailleurs maître de conférences à la Sorbonne où il a encadré un mémoire sur la question.
L’onde de choc intellectuelle et opérationnelle annoncée par le représentant du major du BTP se diffuse dans les autres maillons de la chaîne immobilière. Directeur de l’innovation chez Altarea Cogedim, Maxime Lanquetuit résume le questionnement existentiel : « L’accélération du recours au travail à distance va-t-elle remettre en cause le cahier des charges des immeubles de bureau » ?
Le promoteur anticipe une réitération du défi imposé aux centres commerciaux par l’apparition du e-commerce : « Nous devons redonner de nouvelles raisons de se déplacer au travail, comme nous l’avons fait pour ramener les consommateurs vers les centres commerciaux, avec les Retail Park ».
Echelle humaine
Les nouveaux horizons ouverts par la crise conduisent les géants du secteur à retrouver la petite échelle : « Le micro local, le quartier, que nous réinvestissons dans une expérience en cours avec la ville de Paris », témoigne Benjamin Ficquet, directeur d’exploitation chez Icade.
Jusqu’en Chine, le retour de l’humain frappe le cadre dirigeant d’une agence française de maîtrise d’œuvre à rayonnement international : « Championne du high tech, la Chine a paré au virus par une solution comportementale », constate Philippe Bihouix, directeur général adjoint de l’Arep. A Wu Han, l’antenne chinoise de la filiale de maîtrise d’œuvre de la SNCF commence tout juste à sortir du confinement.
Horizon imaginaire
En quête du sens à donner à la période, les participants au webinaire ont trouvé quelques clés proposées par le sociologue Stéphane Chevrier, partisan d’un dépassement du conflit entre high tech et low tech : « Cherchons à la fois du côté du numérique et du vivant », prône le fondateur de l’agence de sociologie et de communication Mana. L’enjeu de la sortie de crise se trouve selon lui dans la voie étroite entre deux formes de connexion : le virtuel d’un côté, « les oiseaux, le soleil, le vent et la pluie » de l’autre.
L’énergie vitale et rafraîchissante est venue de deux étudiantes de Sciences Po et de la Sorbonne : Violette de la Croix et Abigaïl Morgan ont incarné la parole du low-tech, déclinée à l’échelle de la ville et du bureau. Après avoir cliqué sur « Quitter » en fin de séance, les participants au séminaire ont pu se repasser quelques images très concrètes du monde d’après rêvé par la génération montante : « les sèche-linges, perceuses, visseuses, la buanderie et l’établi mutualisés à l’échelle d’un immeuble », dans la ville à taille humaine décrite par Violette de la Croix.
Comment rendre ce monde désirable ? Justement, le prochain séminaire de l’OID explorera le champ de l’imaginaire, à la fin de l’été.
