Jusqu’à quel point le paysage des fusions-acquisitions dans le BTP a-t-il changé avec la crise sanitaire ?
Cyril Polack : Je peux répondre pour le segment des PME de quelques dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires qui constituent la cible de notre cabinet. Nous observons une certaine bascule que l’on peut décrire comme le passage d’un « mode cession » à un mode « acquisition ». Avant la Covid-19, le profil dominant de dossier était la mise en vente par un dirigeant approchant de la retraite. C’est toujours vrai, mais un autre cas de figure s’ajoute, plus « offensif » : une stratégie d’acquisition, dans un objectif de rapprochement avec une entreprise complémentaire, afin de renforcer la sienne. En quoi la crise sanitaire a-t-elle pu jouer un rôle dans cette évolution ? Les circonstances ont amené les dirigeants à se poser des questions, à prendre de la hauteur et à conclure que le développement de leur entreprise en sortie de confinement passerait par l’acquisition de nouvelles compétences.
En plaçant des entreprises en situation de fragilité, cette crise sanitaire a peut-être aussi facilité les conditions d’un rachat ?
C.P. : Je ne pense pas qu’elle engendre des acquisitions à prix « bradés », en quelque sorte. Lorsque le confinement a arrêté l’activité, la valeur potentielle de vente d’une entreprise a certes pu baisser, mais de façon temporaire… et de toute façon, l’activité de fusion-acquisition était tout autant à l’arrêt. En revanche, l’incertitude que la crise sanitaire génère peut modifier les modalités d’un rachat. Lorsque le consensus est atteint entre l’acheteur et le vendeur sur une valeur donnée, cette valeur ne sera pas forcément acquittée d’emblée, mais en deux temps : une partie - deux tiers par exemple - tout de suite et le solde plus tard, une fois que la preuve d’un rebond durable de l’entreprise cédée aura été apportée.
Quelle est la motivation principale de ces acquisitions à but de « rapprochements » ?
C.P. : La source première de tension du BTP aujourd’hui, c’est le recrutement de main d’œuvre. C’était bien sûr vrai dans le « monde d’avant ». Cela le reste, et encore plus. Dès lors, c’est bien l’acquisition de compétences qui est recherchée en premier lieu : par exemple, tel bureau d’études qui ressent le besoin de muscler ses compétences environnementales dans la perspective de la RE 2020, et qui éprouve de grandes difficultés à les trouver par lui-même sur le marché de l’emploi.
Philippe Grenier : Dans les rapprochements d’entreprises, c’est bien une logique de renforcement qui prédomine ; sur le plan de la compétence humaine certes mais également au niveau de la capacité financière - l’améliorer se traduit par plus de crédibilité par rapport aux banques - sur le plan technologique et des outils de production qui se trouvent améliorés, et sur le plan commercial, dans un contexte où la crise sanitaire l’avait fortement réduite.
Dans quels secteurs du BTP observez-vous en particulier un dynamisme des fusions-acquisitions ?
P.G. : Une forte demande demeure dans les activités de fluides et d’environnement, et plus généralement dans tout ce qui a rapport avec l’enveloppe du bâtiment. En outre, des entreprises de gros œuvre manifestent la volonté de rechercher une diversification. L’agitation en terme de transactions nous semble moindre dans le domaine des travaux publics. D’une part, des consolidations ont déjà eu lieu, d’autre part le secteur évolue dans un climat d’incertitude, voire de crainte quant à la baisse de commandes publiques, et de son avenir après les grands chantiers en cours des JO de 2024 ou du Grand Paris.