Voilà quelques années déjà que la « plateformisation » de la distribution s’opère. Pourtant, 2021 restera sûrement gravée dans les mémoires et l’histoire du commerce français. Trois acteurs du e-commerce ont vu leur valorisation respective s’envoler après de nouveaux tours de table. Le premier est Mirakl. En septembre, l’éditeur spécialisé dans la conception de solutions logicielles de marketplace annonçait avoir bouclé une levée de fonds de 555 M$ (environ 473 M€), soit le montant le plus important levé par une entreprise tricolore ces dix dernières années. L’opération a permis à la société, qui compte comme clients Carrefour, Conforama, Darty-Fnac, Leroy Merlin-Bricoman, La Poste, Metro ou encore Toyota Material Handling, d’être valorisée à 3,5 Md$.
Le deuxième est ManoMano. En juillet, la marketplace spécialisée sur l’univers du bricolage et le jardinage est valorisée à 2,6 Md$, après avoir récolté encore 355 M$ (environ 300 M€). Le troisième est Back Market. En mai, la marketplace spécialisée dans le téléphone et les produits électroniques reconditionnés a levé 276 M€, valorisant l’entreprise à 3,2 Md$.
Une activité en plein boom
Au-delà du caractère spectaculaire, ces levées de fonds confirment l’importance de ce modèle dans le commerce. Aujourd’hui, pour Éric Alessandri, dirigeant et fondateur de l’éditeur de marketplace Wizaplace, le secteur est comparable à celui du CRM dans les années 2004-2005. « À l’époque, les entreprises étaient alors très fortement sous-équipées, écrivait-il dans le quotidien économique La Tribune le 20 octobre 2020. En l’espace d’une décennie, la plupart d’entre elles se sont dotées d’une solution de gestion de la relation client. Nous vivons actuellement le même phénomène. Toutes les entreprises, qu’il s’agisse de PME, d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) ou de grands groupes, vont être amenées à s’équiper d’une ou plusieurs places de marché dans les années qui viennent. » Exagère-t-il ? Il semble que non. L’activité des marketplaces explose.
En 2020, au niveau mondial, elle a surpassé de loin le taux de croissance déjà considérable du secteur de l’e-commerce. Ainsi, d’après une étude de Mirakl publiée en mai 2021, « elles ont enregistré au quatrième trimestre une croissance de 81 % d’une année sur l’autre, soit deux fois plus que le secteur du commerce en ligne ». Pour les auteurs de cette étude, « cette hausse des achats montre clairement que les marketplaces sont devenues, pour les consommateurs, une destination unique pour faire leur shopping. Ils sont toujours plus nombreux à consulter indifféremment les offres de l’opérateur comme celles des vendeurs tiers ».
« Pic phénoménal »
Cet essor suit la même trajectoire en France. Les marketplaces ont progressé en moyenne de 27 %, soit deux fois plus vite qu’en 2019, selon le bilan publié par la Fédération du e-commer-ce et de la vente à distance (Fevad) en février 2021. Ainsi, chez ManoMano, « nous avons connu un pic de demandes phénoménal », observe Lorraine Valsasina, directrice de l’activité B to B du pure-player. De quoi porter les performances de la plate-forme. Elle revendique plus de 50 millions de visiteurs uniques par mois (+ 70 %) et 7 millions de clients actifs (+ 100 %). Elle affirme avoir doublé le volume d’affaires en un an, atteignant 1,2 Md€, dont 720 M€ en France. Quant à ManoManoPro, l’activité B to B, elle a bondi de 140 % sur un an.
Certes, la crise sanitaire a catalysé l’activité des ManoMano et consorts, au même titre que tous les webmarchands. Pour Éric Alessandri, ces performances sont à associer « à l’effondrement du e-commerce monovendeur. En 2008, 10 % de l’e-commerce mondial se faisaient sur des places de marché. En 2020, ce pourcentage s’élève à 57 % ». Là encore, l’évolution observée en France est aussi marquée. Leur poids dans le volume d’affaires global du e-commerce n’a cessé de s’accroître, passant de 8 % en 2012 à 32 % en 2020. Et les quinze premiers sites d’e-commerce les plus fréquentés en France disposent d’une place de marché.
Stimulation
L’évolution s’explique par le fait que les marketplaces ont un effet stimulant sur les sites de commerce en ligne. « Ils développent l’offre de produits tout en améliorant la nouveauté et la qualité du contenu mis en ligne », explique Thomas Gonin, directeur du marketing et de la communication de Bricoman.
Le succès repose aussi, pour une bonne part, sur l’augmentation du nombre de vendeurs proposés. Ainsi, selon l’index de Mirakl, « le réseau de vendeurs référencés sur ces plates-formes a augmenté en moyenne de 46 % l’an dernier, tandis que le volume d’affaires par vendeur gagnait 24 %. » Selon l’indice, les opérateurs de marketplaces ont enregistré une hausse de 34 % du trafic organique global d’une année sur l’autre. Ils ont bénéficié d’une croissance de la demande et gagné en pertinence, sans devoir dépenser le moindre centime.
Bricoman arrive, Cedeo annoncé
Bref, la marketplace semble devenue incontournable. Leur nombre ne cesse de croître, notamment dans le B to B. France Boissons, le numéro un de la distribution de boissons sur le circuit cafés-hôtels-restaurants, a lancé sa marketplace en septembre. Stellantis, le groupe automobile qui réunit PSA et FCA, a décidé de transformer ses filiales de distribution en place de marché à l’enseigne Stellantis & You. Le constructeur entend capter 25 % de
ses clients par le canal du e-commerce dès 2025, avec « une progression de sa profitabilité à hauteur de 50 %, tout en continuant à optimiser son empreinte physique ».
La distribution bâtiment-bricolage n’est pas en reste. Leroy Merlin a inauguré sa plate-forme en 2019, Bricomarché en 2020. Bricoman, l’enseigne pour les pros d’Adeo, annonce la sienne pour janvier 2022. Celle de Cedeo est aussi attendue pour 2022. En effet, après la fermeture d’Outiz en 2019, Négoce a annoncé que l’enseigne de Saint-Gobain Distribution Bâtiment France allait prochainement « renforcer son expérience digitale » avec une marketplace « sur laquelle les fournisseurs pourront commercialiser directement aux artisans les produits qui n’entrent pas dans le plan de stock des agences ».
Reste que basculer sur ce modèle, qui demande un trafic élevé et une belle notoriété, n’est pas simple. De belles opportunités, donc, pour les grandes enseignes de négoce, à condition de bien maîtriser les risques.