Vulnérabilité du territoire, érosion du trait de côte, phénomènes météorologiques… L'exposition aux catastrophes naturelles "va augmenter au cours des prochaines années avec le dérèglement climatique", expose Nicole Bonnefoy (groupe Socialiste et Républicain), afin de défendre sa proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles. Celle-ci, adoptée par le Sénat avec des modifications le 15 janvier 2020, comporte cinq articles issus du rapport de la mission d’information consacré au sujet, et présenté le 3 juillet 2019.
Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État auprès du ministre de l'Économie et des Finances, reconnaît l’urgence : "à l’horizon 2050, le coût des catastrophes naturelles pourrait augmenter de 50 % du fait du dérèglement climatique". Un français sur quatre est d’ores et déjà exposé à un risque de débordement de cours d’eau, rappelle la sénatrice Maryse Carrère (RDSE), tandis que "25 % des communes ont subi un aléa climatique en 2018".
Face à l'augmentation de ces risques, quelle est l’efficacité du régime actuel ? Pour Nicole Bonnefoy, le système est "injuste" pour de nombreux sinistrés : "opacité de la procédure de reconnaissance" de la catastrophe par l’État, "inintelligibilité des critères", "manque d’explications" relatives aux décisions prises… La sénatrice fustige ainsi le "parcours des combattants" que doivent souvent mener les sinistrés avec les administrations et les assureurs.
Sa proposition de loi mise avant tout sur une "modernisation durable" du système d’indemnisation. Après son adoption par le Sénat en première lecture, elle "allonge de deux à cinq ans le délai de prescription dont disposent les assurés pour réclamer à leur assurance le règlement de l’indemnisation due en cas de dommages résultant de sécheresses." Jusqu’ici, ces dommages, visibles sur un temps plus long qu’une inondation ou qu’une tempête par exemple, impliquaient des procédures plus complexes. Le texte a également pour objectif de "permettre aux maires de formuler une deuxième demande" de reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle sous condition d’apport de données complémentaires, dans "un délai de six mois".
Adapter la politique de prévention
Mais, si une telle réforme du régime d’indemnisation est "nécessaire", admet Agnès Pannier-Runacher, il s’agit également d'"adapter la politique de prévention". Lutter à la source contre ces catastrophes naturelles implique de "renforcer les normes d’urbanisme et de construction", d'"améliorer la gestion des cours d’eaux", ou encore de "végétaliser les zones urbaines pour atténuer les effets des canicules", fait valoir le sénateur Guillaume Gontard (CRCE).
L’enjeu du débat autour de la proposition de loi portait surtout sur le fonds de prévention des risques naturels, connu sous le nom de "fonds Barnier". Nelly Tocqueville, rapporteure pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, va dans le sens de la proposition de loi en affirmant la nécessité de "réformer" ce dernier. Elle rappelle par ailleurs le besoin d’encourager l’ensemble des acteurs à "davantage investir dans les mesures de prévention" et d’améliorer la couverture assurantielle en outre-mer.
A terme, le Fonds Barnier "ne suffira pas"
Le premier article de la proposition de loi est ainsi consacré à la réforme du fonctionnement du fonds Barnier. L’un des constats majeurs est que "ce fonds manque d’une marge financière du fait du plafonnement de ses ressources par l’État", insiste Nicole Bonnefoy. Et ce, tout en étant "victime de ponctions régulières". "70 millions d’euros" sont en effet prélevés sur le fonds Barnier "chaque année", abonde Nelly Tocqueville.
Si nombre de sénateurs et de sénatrices plaident pour un déplafonnement du fonds, le gouvernement, par la voix d'Agnès Pannier-Runacher, y reste fermement opposé. La secrétaire d'Etat rappelle que "le gouvernement a engagé une réflexion sur la mobilisation du fonds", par ailleurs prolongé en outre-mer sur les opérations de démolition jusqu’en 2024 (soit une prorogation de cinq ans), par un amendement de la loi de finances 2020.
En vertu d’un amendement adopté par le Sénat à l’article premier de la proposition de loi de Nicole Bonnefoy, seule la contribution du fonds Barnier "au financement de l’aide financière et des frais de démolition", tels qu’ils sont définis à l’article 6 de la loi n° 2011-725 du 23 juin 2011 relatif aux quartiers d’habitat informel et à la lutte contre l’habitat indigne en outre-mer, n’est désormais plus plafonnée à 5 millions d’euros.
L’absence de décision de déplafonnement du fonds laisse sceptique plusieurs sénateurs. Pour Frédéric Marchand (LREM), "c’est toute la doctrine du fonds Barnier que nous devrions revisiter". Surtout, à terme, avec l’amplitude grandissante du dérèglement climatique et donc la multiplication des demandes d’indemnisation, le fonds Barnier "ne suffira pas", tranche Ronan Dantec (RDSE), pour qui il faudra bien élaborer "une autre péréquation, et d’autres sources de financement".
Résoudre les inégalités territoriales
Un autre enjeu soulevé par le débat au Sénat est celui des inégalités entre territoires, y compris voisins, dans la reconnaissance par l’État des catastrophes naturelles. Pour Nelly Tocqueville, "l’opacité de la procédure" aggrave dès lors le sentiment d'"injustice" des élus et citoyens locaux. Le sénateur Marc Daunis (Socialiste et Républicain), ancien maire de Valbonne Sophia Antipolis (Alpes-Maritimes), en témoigne. Suite à un gonflement du sol argileux dû au phénomène de sécheresse, "j’avais vécu l’incompréhension quand toutes les communes entourant ma commune étaient déclarées en catastrophe naturelle, quand la mienne ne l’était pas".
La méthode de fonctionnement actuel de l’État pour attribuer la reconnaissance d’une catastrophe "reste à géométrie variable", renchérit Dominique Estrosi-Sassone (LR). En octobre 2018, suite aux inondations dans les Alpes-Maritimes, "les arrêtés de catastrophes naturelles ont été pris dans certaines communes et pas dans d’autres, alors que les dégâts étaient tout aussi importants", relate-t-elle. Selon la sénatrice, l’élaboration du futur projet de loi 3D pourrait être l’occasion d’une "mise à l’étude d’une nouvelle étape de cette procédure". Et ce, en se basant sur la "décentralisation de la décision interministérielle, prise conjointement avec le préfet et en concertation avec les collectivités locales". La procédure de décision autour des arrêtés gagnerait ainsi "en pragmatisme et en transparence", fait-elle valoir.
Un amendement sur la prise en charge du relogement d’urgence
Jean-François Husson (LR), rapporteur de la commission des finances, souhaitait "préciser les modalités d’intégration des frais de relogement d’urgence dans le périmètre de la garantie catastrophes naturelles". C’est chose faite : un amendement de la proposition de loi a été adopté par le Sénat, qui concerne l’article L. 125-4 du Code des assurances. Cet amendement fait entrer le remboursement des frais de relogement d’urgence des personnes sinistrées "dont la résidence principale est insalubre ou présente un danger pour la sécurité des occupants" dans la garantie assurantielle. "Le gouvernement est prêt à travailler sur la question du relogement", a pour sa part assuré Agnès Pannier-Runacher.