Décryptage

La lutte contre l'étalement urbain en quête d'outils efficaces

Zéro artificialisation nette, séquence ERC, tiers demandeur… Les dispositifs existants sont en deçà des enjeux d'une ville dense et compacte.

 

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Contenir l'étalement urbain et réhabiliter les friches sont l'une des priorités du gouvernement. Pour y parvenir, les pouvoirs publics ont instauré des outils tantôt incitatifs et volontaires, tantôt contraignants. S'ils ont le mérite d'exister, ces dispositifs ne répondent, pour l'heure, que partiellement aux enjeux d'une construction sobre sur le plan foncier.

Le ZAN, un objectif louable mais non contraignant

Bien que vertueux d'un point de vue sociétal, le zéro artificialisation nette (ZAN) est de nature à bouleverser les modalités d'aménagement du territoire et les choix stratégiques en matière de programmes de construction s'il est mis en œuvre de façon stricte et contraignante.

Aucune valeur légale ou réglementaire. Cette notion est apparue pour la première fois dans le plan gouvernemental biodiversité - sans valeur juridique - de juillet 2018. Il y est question de « limiter la consommation d'espaces naturels, agricoles et forestiers pour atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette ». Le plan ajoute, sans plus de précisions, que « les politiques d'urbanisme et d'aménagement commercial seront revues afin d'enrayer l'augmentation des surfaces artificialisées, de favoriser un urbanisme sobre en consommation d'espace et d'améliorer la mise en œuvre de la séquence “éviter-réduire-compenser” [ERC] dans le cadre du développement des territoires ».

A noter que, depuis la du 13 décembre 2000, il existe bien un principe législatif d'« utilisation économe des espaces naturels » en matière d'urbanisme, lequel s'impose aux documents d'urbanisme (Scot et PLU). Mais l'objectif ZAN n'a, lui, ni valeur légale, ni valeur réglementaire. A fortiori, il n'est pas directement opposable aux demandes d'autorisation d'urbanisme.

Timide mise en œuvre. Aussi, afin d'aller plus loin, une instruction du gouvernement du 29 juillet 2019 relative à l'engagement de l'Etat en faveur d'une gestion économe de l'espace évoque timidement une « trajectoire qui consistera à rendre applicable l'objectif zéro artificialisation nette du territoire dans les délais qui seront confirmés par le président de la République ». Dans le prolongement de cette circulaire, certaines collectivités se sont mobilisées : ainsi, la stratégie Eau-air-sol signée le 29 mai 2020 par la région Auvergne-Rhône-Alpes fixe une « ambition forte pour la préservation du foncier et la limitation de l'artificialisation des sols agricoles et naturels », déclinée au niveau départemental, avec un programme d'action, des chefs de file et des indicateurs de suivi.

Une circulaire du Premier ministre sur le rôle des préfets en matière d'aménagement commercial, datée du 24 août 2020, indique, elle, que « sans porter d'atteinte disproportionnée au principe de libre établissement, il y a lieu d'exercer une vigilance toute particulière sur le respect du principe de consommation économe de l'espace dans l'examen des projets d'équipements commerciaux soumis à autorisation d'exploitation commerciale »… Mais ces deux textes ne rendent toujours pas contraignant l'objectif ZAN.

La séquence ERC, un substitut à l'inopposabilité de l'objectif ZAN ?

Face à cet objectif, la séquence ERC, qui s'impose aux acteurs de l'immobilier, pourrait être un outil efficace au service de la lutte contre l'étalement urbain. Elle vise à éviter les atteintes à la biodiversité, à défaut d'en réduire la portée, et en dernier lieu à compenser les atteintes qui n'ont pu être ni évitées, ni réduites (). Ainsi, l'administration qui autorise un projet doit préciser dans sa décision les prescriptions que devra respecter le maître d'ouvrage en la matière. Mais force est de constater que cette séquence est encore mal appréhendée tant par les porteurs de projet que par les autorités.

Un outil largement négligé. A cet égard, dans son premier bilan de la loi Biodiversité du 8 août 2016, publié le 23 septembre 2020, le Conseil économique, social et environnemental a déploré un « outil largement négligé et à lui seul très insuffisant ». Cette séquence ne permet donc pas aujourd'hui de pallier le défaut de caractère contraignant du ZAN, d'autant que la dimension quantitative « zéro net » propre au ZAN est absente de la séquence ERC.

A noter que le rapport de la Convention citoyenne pour le climat, adopté fin juin 2020, est accompagné d'intéressantes propositions de transcription juridique, visant notamment à mettre en œuvre le ZAN. Il est en effet question de modifier de nombreuses dispositions du Code de l'urbanisme (principes généraux, dispositions relatives aux Scot, PLU et carte communale), du Code de commerce (aménagement commercial) et du Code forestier. Ces propositions devraient prochainement faire l'objet d'une traduction législative.

Les espèces protégées, un obstacle à la densification

En outre, construire sur du foncier déjà artificialisé peut se heurter à un obstacle de taille : les espèces protégées. A titre d'exemple, un projet d'écoquartier sur une friche industrielle a récemment été mis en difficulté devant le Conseil d'Etat (). Le projet répondait à un besoin de logements et limitait l'étalement urbain. Il constituait bien une « raison impérative d'intérêt public majeur », l'une des trois conditions permettant de déroger à la protection d'espèces protégées. Cependant, dans cette affaire, l'aménageur public n'avait pas démontré qu'il n'existait pas de solution alternative permettant de limiter l'atteinte portée aux espèces protégées (deuxième condition). Quant à la troisième condition, le maintien des espèces concernées dans un état de conservation favorable dans leur aire de répartition naturelle, elle n'a pas été examinée. Faute d'avoir prouvé l'absence de solution alternative, la dérogation préfectorale a été suspendue en référé par le Conseil d'Etat, bloquant la poursuite du projet. Un conflit inattendu et paradoxal entre l'objectif ZAN et la protection de la biodiversité…

Des dispositifs peu incitatifs

Par ailleurs, d'autres dispositifs - fonciers, réglementaires ou encore financiers - encouragent les opérateurs à limiter l'étalement urbain. Ainsi, la circulaire du 29 juillet 2019 précitée demande aux préfets d'utiliser les nouveaux outils créés par la loi Elan du 23 novembre 2018 que sont les projets partenariaux d'aménagement (PPA) et les grandes opérations d'urbanisme (GOU), ou encore les opérations de revitalisation des territoires (ORT) accompagnées par un nouveau dispositif fiscal « Denormandie dans l'ancien ». Mais ils restent en l'état complexes à mettre en œuvre et pas toujours lisibles pour les acteurs.

Valoriser les friches. Autre instrument, mi-réglementaire, mi-contractuel : le dispositif du tiers demandeur. Il a été créé par la du 24 mars 2014 pour libérer du foncier et valoriser des friches industrielles polluées. Il permet à un aménageur ou à un promoteur, lors de la cessation d'activité d'une installation classée pour la protection de l'environnement (ICPE), de se substituer à l'exploitant, avec son accord, pour réaliser les travaux de réhabilitation en fonction de l'usage qu'il envisage pour le terrain.

Ce dispositif, qui connaît de nombreux freins (analyse partagée du coût de la dépollution, garantie financière, etc. ), vient d'être assoupli par la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (Asap) adoptée fin octobre. Laquelle autorise le transfert de la qualité de tiers demandeur à une autre personne, par exemple l'opérateur final portant un projet d'aménagement. Cette nouvelle possibilité pourrait inciter les acteurs à mieux s'emparer du mécanisme.

Enfin, il convient de relever que le prix attractif du foncier en périphérie des villes reste un frein à la densification. Outre le nécessaire renforcement du cadre juridique existant, des aides et mesures fiscales fortes ainsi qu'une mise en cohérence des dispositifs actuels (Pinel, PTZ) devront être instaurées. Gageons que le fonds Friches de l'Ademe et les aides aux maires « densificateurs » annoncés dans le cadre du plan de relance pour la construction seront suffisants pour relever ces défis.

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