AEF info : Quelles sont les caractéristiques du bail à construction ?
Jean-Luc Tixier : Le bail à construction a été institué par la loi du 16 décembre 1964. Il s’agit d’un bail de longue durée, comprise entre 18 et 99 ans, obligeant le preneur à édifier des constructions sur les terrains du bailleur, et conférant au preneur un droit réel immobilier.
Les règles du bail à construction sont codifiées aux articles L. 251-1 et suivants et R. 251-1 et suivants du Code de la construction et de l’habitation pour la détermination du coefficient de révision du loyer. Les parties disposent néanmoins d’une grande liberté pour adapter le contrat à leurs besoins et leurs objectifs, sous réserves de conserver au contrat sa nature de bail à construction.
AEF info : Depuis quand les collectivités utilisent-elles le bail à construction ?
Jean-Luc Tixier : Le bail à construction a connu un grand succès en particulier dans les années 70. Le dispositif a été notamment utilisé lors de l’édification du quartier Beaugrenelle, dans le XVe arrondissement, et du Forum des Halles, au centre de Paris ou encore pour la réalisation du palais des congrès de la porte Maillot. La philosophie qui peut expliquer ce succès, c’est, pour la collectivité, la possibilité de conserver la propriété du foncier plutôt que de céder un terrain qu’il faudra peut-être préempter quelques décennies plus tard.
La Ville de Paris s’est toutefois rendu compte au bout d’un certain temps qu’elle avait en patrimoine ce foncier stérilisé, qu’elle ne préempterait pas. Elle a finalement cédé ses droits de bailleur au Forum des Halles, où le preneur, en l’occurrence Unibail, est devenu propriétaire. Le même phénomène a été observé à Beaugrenelle, où de nombreux preneurs à construction sont finalement devenus propriétaires du foncier où ils avaient construit.
AEF info : Tour Triangle, Hôtel de Coulanges, Hôtel-Dieu… Autant de grands projets symboliques dont la réalisation se passe aujourd’hui de cession foncière. Comment expliquez-vous le regain d’intérêt pour cette procédure ?
Jean-Luc Tixier : C’est essentiellement l’évolution de la jurisprudence, au début des années 2000, due à une décision de la Cour de cassation. En 2004, celle-ci a rendu un arrêt (1) donnant raison à un bailleur à construction, la société Marseille Aménagement, contre un preneur qui souhaitait exploiter de nouvelles activités sur un site auparavant dédié à un aquarium. La Cour a estimé que dans le bail à construction, "les parties conservaient entière leur liberté contractuelle et pouvaient, dans le silence de la loi, insérer une clause imposant des restrictions à l'activité du preneur", et que "la commune de Marseille, qui n’avait fait qu’appliquer la convention en opposant un refus au changement d’activité du preneur, n’avait commis aucune faute contractuelle" [Cass. 3e civ., 7 avril 2004, n°02-16283, publié au Bulletin].
Cette jurisprudence a confirmé que les collectivités pouvaient imposer une destination au foncier qu’elle confiait au preneur, ce qui a signé le retour en grâce des baux à construction. Un peu après cette décision, par exemple, la Ville de Paris a conclu un bail à construction pour le cinéma MK2 sur les bords du bassin de la Villette, en imposant la programmation. Auparavant, il était possible d’imposer la forme précise de l’immeuble qui allait être construit. Désormais, les collectivités avaient un meilleur contrôle sur la programmation en utilisant le bail à construction plutôt que la simple cession foncière, ce qui lui confère des avantages.
AEF info : Du côté des preneurs, quelles sont les possibilités offertes par le bail à construction ?
Jean-Luc Tixier : Le bail à construction est un contrat qui offre des dispositions similaires à celles mises en œuvre dans le cas d’une vente foncière pour l’acquéreur. Le bail à construction confère notamment au preneur un droit réel immobilier : libre hypothèque, libre cession, la possibilité de consentir à certaines servitudes. Le preneur est par ailleurs propriétaire des constructions édifiées, et, à ce titre il doit les conserver en bon état d’entretien et en supporter les charges et réparations pendant la durée du bail. Le bailleur récupère la pleine propriété des constructions en fin de bail.
Le bail à construction est enfin un contrat de droit privé. Les parties conservent leur liberté contractuelle et peuvent librement fixer le contenu de leur contrat. Le bail à construction confère en tout cas au preneur l’essentiel des attributs de la propriété pendant la durée du bail. L’édification de constructions supplémentaires sur la même emprise foncière dépend là encore de la liberté contractuelle entre le preneur et le bailleur.