Enquête

La fronde des entreprises s’organise face aux pratiques d’Alila

En Bretagne ou dans les Pays de la Loire, de nombreuses entreprises victimes d’impayés se rebiffent. Certaines ont réagi en quittant les chantiers, d’autres se regroupent en vue d’une action collective en justice contre le promoteur lyonnais. Une fronde qui pourrait s’étendre à d’autres régions.

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Chantier porté par la promoteur immobilier Alila pour Nantes Métropole Habitat à Thouaré-sur-Loire, près de Nantes
A Thouaré-sur-Loire, près de Nantes, le chantier porté par Alila pour Nantes Métropole Habitat a été stoppé pendant onze mois, plusieurs entreprises n’ayant pas été payées par le promoteur lyonnais.

Spécialisé dans la production de logements pour les bailleurs sociaux, Alila avait placé de grands espoirs dans l’ouest de la France.

En 2016, le promoteur avait installé son agence nantaise dans de confortables locaux sur l’île de Nantes et son dirigeant, Hervé Legros, se rendait environ une fois par mois dans la région. En 2021, lors de la pose de la première pierre d’une opération de 27 logements à Rezé, près de Nantes, il revendiquait, selon Ouest-France « près de 1 000 logements » à réaliser en deux ans dans la région sur un total de 9 000. Des chiffres, on le sait aujourd’hui, très largement exagérés.

Interrogé par « Le Moniteur », Alila avouait finalement n’avoir livré que 419 logements dans l’ouest depuis son arrivée à Nantes, soit un peu plus d’une cinquantaine par an. « Plusieurs opérations sont en cours de chantier ou de montage, représentant 818 logements et un chiffre d’affaires de 132 millions d’euros » a toutefois précisé l’entreprise dans une réponse écrite. Et de citer une petite dizaine de projets ou chantiers à Quimper, Nantes, Trélazé, La Garnache ou encore Thouaré-sur-Loire.

Chantier stoppé

Dans cette dernière commune située en périphérie de Nantes, le chantier a dû être arrêté pendant onze mois en raison d’un litige opposant le promoteur à l’entreprise de gros œuvre. Le patron de celle-ci, qui estime à 180 000 euros le total des sommes dues par Alila, a démonté sa grue et quitté le chantier en février. Une action en justice est en cours. Durant l’été, c’est le maître d’œuvre d’exécution de ce chantier qui a jeté l’éponge. « Nous avions cinq projets avec Alila et de très bon rapports avec l’équipe nantaise qui ont quasiment tous quitté Alila, raconte un des dirigeants. A partir de mars, nous n’avions plus d’interlocuteurs, à l’exception d’une personne, à Lyon, qui est venue tous les deux ou trois mois. Lorsque vous n’avez quasiment plus d’interlocuteurs et que des entreprises ne sont pas payées, il devient impossible de faire avancer le chantier. Nous avons alors pris un avocat et mis en demeure Alila de nous payer ainsi que les entreprises. A l’époque, ils nous devaient 80 000 euros.Pour une jeune entreprise comme nous c’est une somme énorme ».

Les autres projets ne se passent pas mieux et font également l’objet de procédures judiciaires. Avec le risque, pour les prestataires, de se voir attaqués par un promoteur particulièrement procédurier. C’est ainsi que ce maître d’œuvre qui compte une petite dizaine de salariés s’est vu assigné en justice par le promoteur qui lui réclame 500 000 euros !

Finalement, après onze mois d’arrêt, l’opération de Thouaré-sur-Loire a repris cette semaine, le promoteur ayant trouvé des entreprises pour terminer ce chantier dont les 29 logements sont destinés à être revendus en Vefa à Nantes Métropole Habitat.

Un dossier ouvert à la FFB

D’autres chantiers, à Saint-Nazaire ou Nort-sur-Erdre, sont épineux. Alertée, la FFB de Loire-Atlantique se tient prête pour soutenir les entreprises. Pour l’heure, elle a communiqué auprès de ses adhérents en leur demandant d’être particulièrement vigilants sur les paiements des promoteurs du fait de la crise qui s’annonce. Dans cette communication, un seul promoteur était cité : Alila.

En Bretagne, la situation est identique. « Des entreprises nous ont alerté et nous avons découvert les pratiques de ce promoteur que nous ne connaissions pas » indique Aude Le Vaillant, secrétaire générale de la FFB du Morbihan. « Avant d’engager une éventuelle action, nous collectons toutes les informations auprès des entreprises concernées et, bien sûr, nous avons fait part de la situation à notre direction nationale » poursuit-elle.

« 500 000 euros dans la nature »

Parmi ces entreprises, un maçon finistérien. « Nous réalisions un a deux chantiers par an pour Alila et, jusqu’à peu, nous n’avons jamais eu de problème, témoigne son dirigeant. Depuis un an, nous avons senti que cela commençait à se durcir au niveau du règlement des dernières factures. Aujourd’hui, sur trois chantiers, nous avons 500 000 euros dans la nature au moment du décompte général définitif [DGD, document qui clôt juridiquement et financièrement un marché à la fin du chantier, NDLR]. A Nantes, nous n’avons plus qu’une seule interlocutrice qui revient de congé maternité. Nos dernières mises en demeure ont été sans réponse et nous allons les assigner en justice pour récupérer notre dû en associant les bailleurs sociaux qui portent également une part de responsabilité ».

De douloureux impayés

Dans le Morbihan, à Vannes, c’est Ker Leguillon, un chantier livré avec pourtant peu de réserves qui fait l’objet d’un litige entre Alila et les entreprises. Il porte sur les dernières situations de travaux, un cas de figure qui semble se reproduire sur plusieurs opérations. « C’est comme si Alila faisait sa marge sur les derniers 5 % à payer aux entreprises » imagine, sans en apporter la preuve, un professionnel impliqué dans ce chantier mais souhaitant rester anonyme.

Résidence Ker Leguillon à Vannes (Morbihan), porté par le promoteur immobilier Alila pour Morbihan Habitat
Résidence Ker Leguillon à Vannes (Morbihan), porté par le promoteur immobilier Alila pour Morbihan Habitat Résidence Ker Leguillon à Vannes (Morbihan), porté par le promoteur immobilier Alila pour Morbihan Habitat

Car Alila a construit son modèle sur la vente en l’état futur d’achèvement (Vefa) aux bailleurs sociaux. Dans ce cadre, l’échéancier des paiements est strictement encadré par la loi, en fonction de l’avancée des travaux : 35 % du montant total lors de l’achèvement des fondations, 70 % lors de la mise hors d’eau, 95 % à la fin du chantier et les 5 % restant lors de la livraison. Assuré d’être payé par les bailleurs, un promoteur peut assez facilement de faire de la trésorerie en décalant le paiement des entreprises prestataires, voire en ne les réglant pas intégralement.

Dans le cas de la résidence Ker Leguillon à Vannes pour Morbihan Habitat, le DGD a bien été validé par la maîtrise d’œuvre et transmis au promoteur en janvier 2023. Or, de nombreuses entreprises n’ont pas reçu la totalité de leur règlement, à l’image de l’électricien. « Alila nous doit 24 000 euros » témoigne Sylvain Baron, gérant de l’entreprise Allanic 56, qu’il a repris en 2021.

Les entreprises lésées se regroupent

L’entrepreneur, ancien responsable QSE du groupe Cadiou, en a fait une question de principe et réclame son dû haut et fort.Sur le réseau social LinkedIn, il n’hésite pas à partager les articles sur les déboires d’Alila et de son dirigeant Hervé Legros assortis de commentaires personnels et d’appel à réactions. Le promoteur n’a visiblement pas apprécié et a répondu dans un commentaire que son avocat allait lui délivrer, ainsi qu’à certaines autres entreprises, une assignation pour diffamation. « Hâte d’aller devant la justice » conclut-il avec les émoticônes « pouce levé » et « mort de rire ».

Il faut dire que les posts de Sylvain Baron, qui propose aux autres entreprises lésées de s’organiser « face à de telles pratiques qui entachent la profession », font du bruit dans le landerneau. Nombreuses sont celles qui ont réagi, posté leurs propres commentaires ou contacté le frondeur breton. Au total, une soixantaine d’entreprises sont impliquées et une procédure collective a été lancée auprès d’Alila. Beaucoup de Bretons bien entendu, mais également des entreprises de la région parisienne.

Des cas particuliers selon Alila

Interpellé par « Le Moniteur », Alila estime qu’il s’agit « de cas particuliers qui ne reflètent en rien de prétendues pratiques systémiques ». Il reconnaît que pour certaine opérations, « les décomptes généraux définitifs n’ont pas été établis ». De même, selon lui, « sur plusieurs opération à Vannes, Saint-Nazaire et Nort-sur-Erdre par exemple, il reste des réserves dans les logements et les parties communes. Les opérations ne répondant pas aux standards de qualité établis dans le cahier des charges, nous ne pouvons pas payer le solde à certaines entreprises ».

La fin d’un monopole

A l’image de Morbihan Habitat, qui travaillait pour la première fois avec Alila, les bailleurs sociaux de l’ouest pourraient commencer à prendre leur distance vis-à-vis du promoteur lyonnais. « Je pense que s’en est fini de notre partenariat surtout qu’il semblerait qu’il ait perdu une grande partie de ses cadres » estime Erwan Robert, directeur général de Morbihan Habitat, un des plus gros offices HLM de l’ouest. « Jusqu’alors, Alila était le seul sur ce modèle, mais avec la crise, d’autres promoteurs plus structurés que lui commencent à chercher des foncier pour nous proposer de la Vefa en bloc. Je pense que l’on ne le reverra plus dans la région » poursuit-il.

Alila se défend et assure avoir de nouveaux projets, « notamment en Bretagne, car le marché y est plus attractif que sur la métropole de Nantes ». Au sujet de cette dernière, le promoteur estime qu’elle « présente un problème majeur en matière d’accès au logement ». Et de poursuivre dans sa réponse écrite : « par volonté politique de la métropole, les prix plafonds, auquel les promoteurs peuvent vendre des logements sociaux aux bailleurs sociaux, sont trop bas (de 1 750 à 2 100 euros du mètre carré). La quote-part du logement libre est, par conséquent, trop chère, ce qui rend l’accès au logement particulièrement difficile pour les classes moyennes. Autre problème majeur dans la métropole de Nantes - seul cas en France -, il est impossible de faire du logement intermédiaire, indispensable pour loger les salariés et les classes moyennes ».

« Hervé Legros n’a pas mesuré que dans l’Ouest, il s’avère plus difficile de se moquer des gens » commente un ancien cadre d’Alila dans la région qui travaille maintenant chez un autre promoteur. Plutôt partisan de laisser faire la justice, il ne souhaite pas témoigner ouvertement mais s’interroge aujourd’hui sur les fameux DGD de fin de chantier. « On avait l’impression que c’était des décisions longues à prendre car, au final, c’est Hervé Legros qui décidait pour tout, mais avec du recul, c’est peut être un système qui fonctionnait depuis une dizaine d’année » assure-t-il.

Droit de réponse de la société Alila

Votre article du 23 novembre 2023 est le dernier d'une série de quatre articles consacrés à la société Alila en quatre jours consécutifs.

Les aléas que vous évoquez sont inhérents à la vie des affaires et des chantiers de construction, insignifiants au regard des budgets des programmes concernés, et ne reflètent en rien une quelconque pratique systémique d'Alila.

L'absence de mention du nom de la plupart des prestataires concernés empêche d'apporter une réponse détaillée à ces griefs.

Il est en revanche tout à fait légitime qu'Alila retienne le solde de certaines situations de travaux lorsque les prestations ne correspondent pas au cahier des charges ou lorsque des réserves subsistent dans les logements ou les parties communes.

Vous indiquez que des procédures judiciaires sont en cours. La Justice, en pleine connaissance de cause, et au terme d'un débat contradictoire et objectif, tranchera.

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