Sur son site internet, le promoteur immobilier Alila présente ses « réalisations en cours ». Dans l’ex-région Rhône-Alpes, son marché historique qui génère le plus d’activité, le promoteur déclare 943 logements, en majorité sociaux et intermédiaires.
Problème : les travaux de plusieurs de ces projets au permis de construire purgé n’ont pas commencé. D’autres ont déjà été livrés. C’est le cas du River Side (55 logements) à Sallanches (Haute-Savoie), dont le chantier d’une durée de trois ans s’est achevé en janvier 2023, selon le service urbanisme de la mairie, mais qui apparaît toujours comme « en cours » sur le site d’Alila.
Cette communication laisse entendre que le promoteur produit massivement. Or, selon des documents internes consultés par « Le Moniteur », les témoignages concordants d’anciens salariés et les analyses de professionnels du secteur, Alila ne paraît pas en mesure de bâtir autant de logements qu’il l’assure.
« 7000 ventes par an avec 100 salariés, c’est impossible »
Ce n’est pas tout de construire des logements. Il faut les commercialiser. Comme d’autres adeptes de la vente en l’état de futur achèvement (Vefa) HLM, Alila ne lance ses chantiers qu’après un engagement contractuel, sur le prix au m² et la date de livraison, avec les bailleurs sociaux. Autrement dit, un logement livré par le promoteur à un organisme HLM a été réservé avant le démarrage des travaux, qui s’étalent sur au moins deux exercices.
100 salariés, vraiment ?
Alila déclare 100 salariés depuis 2018. Selon un document interne, le promoteur en comptait 82 en 2018. Selon un ancien responsable de l’entreprise qui a récemment quitté le navire, Alila s’appuierait actuellement sur 90 salariés maximum.
Sur son site internet, Alila dit compter « 100 collaborateurs ». Dans ses communiqués de presse, le promoteur spécialisé dans la vente en bloc de logements sociaux, qui écoule aussi des logements libres sur Le Bon Coin ou par d’autres canaux externes, déclare « 6250 logements réservés en 2017 ». L’année suivante : 7283. En 2019 : 7519. Léger coup de mou en 2020 à cause de la pandémie : 6918. En 2021, année de rattrapage : 7892. « 7000 logements réservés sur une seule année avec 100 salariés, c’est impossible. En revanche, 7000 contrats de réservation dans le "pipe" sur plusieurs années avec 100 salariés, c’est possible », relève le dirigeant d’un bailleur de logements conventionnés.
Des promoteurs interrogés par « Le Moniteur » sans nommer Alila confirment qu’une société de 100 salariés, même spécialisée dans la vente en bloc qui requiert moins de personnel que la vente au détail, peut difficilement revendiquer 7000 réservations nettes au 31 décembre de chaque année écoulée.
« Le ratio se situe entre 4 et 12 ventes par équivalent temps plein (ETP), explique un professionnel. Cela dépend de la part de prestations traitées en interne notamment. Le fait de ne vendre qu’en bloc pourrait être assimilé à du commerce de gros. Par assimilation, le rapport entre le grossiste et le détaillant donne un coefficient de 2,5 à 3,5. C’est le cas dans certains business lucratifs comme la pharmacie. Dans la vente en bloc, le ratio pourrait donc s’élever à 36 logements par ETP. On voit difficilement comment obtenir 7000 logements avec 100 salariés. »
Comparaison avec des promoteurs de premier plan
Vérifions auprès de Vinci Immobilier, qui déclare le même volume de ventes qu’Alila. En 2022, la filiale du groupe éponyme coté -et donc tenu à la transparence sur ses chiffres-clés- a vendu 6825 logements, dont plus de 2000 en bloc. Son effectif, au 31 décembre, était de 1348 salariés ETP. Autrement dit, le quatrième promoteur français vendrait autant de logements qu’Alila, mais avec 13 fois plus de salariés...
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Regardons maintenant du côté de Linkcity, promoteur national spécialisé dans la vente en bloc, comme Alila. En 2022, la filiale de Bouygues Construction a enregistré 2049 réservations nettes, dont 1771 ventes en bloc à des institutionnels ou des organismes HLM, pour 297 salariés. Autrement dit, le quinzième promoteur national vendrait trois fois moins de logements qu’Alila, mais avec trois fois plus de salariés…
Par ailleurs, aucun des vingt premiers promoteurs de France ne compte moins de 200 salariés, à l’exception de GreenCity Immobilier (146 collaborateurs pour 2900 réservations).
Moins de 10 programmes livrés par semestre
Selon le site d’informations légales Pappers, les Sociétés civiles de vente immobilière (SCCV) de la galaxie Alila créées pour chaque potentiel programme contiennent toutes l’acronyme « HPL » : « SNC HPL PERI », « HPL CROZE »… Selon la base Sitadel qui recense les déclarations attestant l’achèvement et la conformité des travaux (Daact), les SCCV « HPL » ont généré la création de 740 logements sur une période de trois ans, entre décembre 2019 et novembre 2022.
En outre, le promoteur a livré 9 programmes au premier semestre 2017 et 4 au premier semestre 2018, selon un document interne. A l’époque, sa principale opération, située à Bordeaux, était composée de 72 appartements...
Autre moyen de mesurer le volume de livraisons : LinkedIn, qu’Alila utilise régulièrement. Sur douze mois, 14 programmes livrés ont été mis en avant sur sa page suivie par 16 000 internautes. En Auvergne-Rhône-Alpes : 140 logements à Segny (Ain), 65 à Villeurbanne (Rhône), 55 à Sallanches (Haute-Savoie), 50 à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), 39 à Nivolas-Vermelle (Isère), 32 à Chaponost (Rhône), 28 à Orlénias (Rhône), 24 à Cranves-Sales (Haute-Savoie), 17 à Ternay (Rhône). Dans les Pays-de-la-Loire : 56 à Saint-Nazaire, 38 à Villeneuve-en-Retz et 27 à Rezé (Loire-Atlantique). En Bretagne : 35 à Vannes (Morbihan). En Ile-de-France : 35 à Beauchamp (Val d’Oise).
Ce décompte minutieux aboutit à un total de 641 logements sur un an, dont 450 dans son fief, l’Auvergne-Rhône-Alpes. « Certes un promoteur n’est pas obligé de communiquer sur toutes ses livraisons, mais chaque agence a intérêt à montrer le travail réalisé », observe un ancien directeur d’agence.
« Plus de 100 opérations en cours de chantier »
En juillet 2022, Alila proposait une « rétrospective » des huit programmes vendus en bloc à des bailleurs sociaux comme CDC Habitat ou des opérateurs intermédiaires comme In’li et livrés entre février et juin. La résidence Rainbow à Villeurbanne (Rhône) : 16 logements. Le Séquoia à Vetraz-Monthoux (Haute-Savoie) : 24. Harmonie à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) : 50. Les Jardins de l’Ardillais à Boussay (Loire-Atlantique) : 18. Olea à Moins (Rhône) : 10. Les Goélettes à Guérande (Loire-Atlantique) : 34 logements. Les Jardins du Château à Orliénas (Rhône) : 28. Les Jardins du Marais à Nivolas-Vermelle (Isère) : 39. Autrement dit, en cinq mois, Alila évoque la livraison de 219 logements sociaux et intermédiaires, son cœur de métier.
Alila n’a pas répondu aux questions du « Moniteur », si ce n’est qu’il déclare « plus de 100 opérations en cours de chantier sur tout le territoire, représentant plus de 5500 logements ».
Droit de réponse de la société Alila
Votre article du 20 novembre 2023 est le premier d'une série de quatre articles consacrés à la société Alila en quatre jours consécutifs.
Il s'échine à remettre en cause les chiffres des activités de la société Alila, que vous aviez pourtant, pour certains, diffusés sans la moindre réserve à l'occasion de précédents articles publiés ces dernières années par votre revue.
Les témoignages anonymes rapportés, autant que les références faites à d'autres acteurs du secteur, ne sauraient asseoir une quelconque comparaison, chacun fonctionnant avec des spécificités qui lui sont propres, sauf à vouloir mettre en balance, comme l'annonce le titre de votre article, des choux et des carottes.
Les récolement que vous opérez sur la base de communications publiques ne sont pas davantage pertinents, Alila n'étant pas, ainsi que vous le soulignez justement, tenue de s'exprimer de façon exhaustive sur ses réalisations.
Alila confirme en revanche que plus d'une centaine d'opérations sont en cours sur le territoire national, représentant plus de 5 500 logements en construction.