Jurisprudence

Droit de la concurrence : l'essentiel du second semestre 2020

Sélection des décisions pertinentes et des évolutions des textes applicables.

 

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
PHOTO - 23968_1424966_k2_k1_3290937.jpg
Marchés publics

Ententes et abus

La condamnation des barèmes de prix dans les marchés publics de maîtrise d'œuvre confirmée. La cour d'appel de Paris a largement confirmé la décision de l'Autorité de la concurrence (ADLC), qui avait relevé des pratiques d'entente sur les prix dans le secteur des prestations d'architecte et condamné l'Ordre des architectes (30 septembre 2019, n° 19-D-19). Elle a simplement statué à nouveau sur la motivation, jugée insuffisante, de la sanction de l'Ordre tout en confirmant son montant (1,5 M€). Cet arrêt fait à présent l'objet d'un pourvoi en cassation.

.

(www.lemoniteur.fr/pratiques-anticoncurrentielles/).

Participation de sociétés d'un même groupe à un marché public : la fin de l'exception française. Depuis de nombreuses années, en France, deux sociétés d'un même groupe qui participaient en parallèle à un appel d'offres encouraient une condamnation pour entente (alors même qu'une entente suppose deux volontés autonomes) si elles présentaient des offres « en apparence » autonomes après avoir échangé des informations ou avoir élaboré en commun les offres en question.

Cette bizarrerie hexagonale, justifiée par l'idée qu'en déposant des offres séparées les deux sociétés renoncent à se prévaloir de leur absence d'autonomie, l'une par rapport à l'autre, a été appliquée dans de nombreuses affaires dans le domaine de la construction. Au sein de grands groupes, cette règle obligeait à se concerter en amont sur la ou les sociétés qui déposeraient une offre unique ou à créer des conditions d'étanchéité complète entre celles susceptibles de présenter des offres parallèles.

La position était devenue difficilement tenable depuis que la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) avait souligné que le dépôt d'offres parallèles par des sociétés formant une unité économique unique ne relève pas de l'article 101 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatif aux ententes ().

Pour abandonner cette pratique décisionnelle, l'ADLC a saisi l'opportunité d'une affaire concernant des offres coordonnées déposées par trois sociétés d'un même groupe qui candidataient régulièrement en parallèle à des marchés publics, et rendu une décision de non-lieu. Elle a néanmoins indiqué dans un communiqué que ces pratiques restent soumises au droit des marchés publics, en particulier dans la mesure où elles peuvent « induire en erreur l'acheteur public et fausser les résultats du processus de commande publique ».

ADLC, décision n° 20-D-19 et communiqué du 25 novembre 2020 (lire aussi « Le Moniteur » du 8 janvier 2021, p. 34 à 36, NDLR).

Offres concertées sur la base d'un partage de moyens entre entreprises. De nouvelles transactions ont été conclues par la DGCCRF pour mettre fin à des pratiques d'échanges d'informations dans le cadre d'appels d'offres de travaux de voirie et de signalisation à Saint-Martin. Les deux entreprises incriminées avaient déposé des offres techniques identiques et leurs prix étaient pour l'essentiel les mêmes. Elles ont reconnu avoir élaboré leurs offres conjointement, compte tenu de leurs liens (partage de locaux et du système informatique, salarié commun). La DGCCRF a rappelé qu'il s'agissait néanmoins d'échanges d'informations interdits. L'existence de procédures collectives en cours pour les deux sociétés a été prise en compte dans les montants de transaction fixés, très peu élevés (9 760 € et 5 280 €).

Communiqué de la DGCCRF sur les pratiques relevées dans le secteur des travaux de voirie et de signalisation à Saint-Martin, 2020.

Concentrations

Double point d'alerte sur les opérations de concentration sous les seuils. Des entreprises ont vu leur chiffre d'affaires baisser significativement, en 2020, du fait de la pandémie et des confinements qui se sont en suivis. Certaines opérations de concentration pourraient donc, de fait, passer sous les seuils de compétence de l'Autorité de la concurrence en 2021. En outre, les règles applicables ne prévoient de mécanisme correctif du dernier chiffre d'affaires approuvé que dans le cas d'évolutions structurelles liées, par exemple, à des acquisitions ou cessions non encore reflétées dans les comptes. A l'occasion de prises de parole publiques, les représentants de l'ADLC ont indiqué qu'ils seraient vigilants dans les secteurs les plus durement touchés par la crise et n'excluaient pas des contrôles quand le chiffre d'affaires 2020 ne pourra pas être considéré comme représentatif.

Communiqué de l'ADLC, 23 décembre 2020.

Autre rappel fait cette fin d'année par l'Autorité : elle se réserve plus que jamais la possibilité de renvoyer à la Commission européenne des projets de concentration en deçà des seuils européens et même français sur le fondement de l'article 22 du règlement sur les concentrations. Cette « clause hollandaise », introduite initialement pour les Etats membres dépourvus de régime de contrôle propre, est en effet conçue en termes très larges. Si cette faculté a été peu utilisée jusqu'à présent, la Commission a annoncé en septembre 2020 qu'elle invitait désormais les Etats membres à l'utiliser pleinement et qu'elle serait en mesure de traiter ces cas à compter de l'année 2021, le temps de rendre transparente cette nouvelle pratique.

Communiqué de l'ADLC, 15 septembre 2020.

Enquêtes

Reconnaissance par la CJUE du principe des inspections « continuées ». La Cour de justice de l'Union européenne a rejeté les pourvois introduits contre les arrêts du Tribunal de l'UE, qui avaient largement validé la capacité de la Commission à poursuivre l'examen de données informatiques en présence de l'entreprise dans ses locaux quand les opérations d'inspection - qui durent déjà plusieurs jours - n'ont pas permis de passer en revue la totalité des données chargées sur le système d'indexation et de recherche Nuix. Dans ce cas, la Commission place les données sur disque dur et sous enveloppe scellée, puis convoque l'entreprise quelques semaines plus tard afin de poursuivre l'examen des documents répondant aux mots clés, qui ne sont pas couverts par le privilège avocat-client, pour sélectionner ceux qu'elle juge pertinents pour son enquête.

Cette pratique démultiplie les capacités de traitement de données par les équipes d'inspection de Bruxelles. Elle fait perdre tout intérêt pratique à l'absence de pouvoir de fouille des agents européens. En passant en revue des pans entiers des données électroniques de l'entreprise, la Commission est non seulement davantage en mesure de trouver l'aiguille dans la botte de foin qu'elle venait y chercher mais elle est aussi, plus largement, en capacité de détecter toute autre forme de concertation touchant le même secteur.

et .

La loi Ddadue, nouvelle occasion de renforcer l'efficacité des visites et des saisies. La loi dite Ddadue du 3 décembre 2020, entrée en vigueur le 5 décembre, habilite le gouvernement à transposer par ordonnance la directive ECN + qui vise à harmoniser les règles de fonctionnement des autorités nationales de concurrence. En matière d'enquêtes, cette ordonnance aurait vocation - selon la DGCCRF - à améliorer la rédaction de l' en renforçant la possibilité pour les agents de l'Autorité de la concurrence d'accéder aux informations pouvant être contenues dans des téléphones ou ordinateurs portables, supports mobiles et serveurs distants (« cloud ») - ce qu'ils pratiquent déjà.

L'article 37 de cette loi a en outre introduit deux améliorations longtemps attendues par les services d'enquête. Un seul juge des libertés et de la détention sera désormais compétent pour auto riser des opérations se déroulant de manière simultanée sur l'ensemble du territoire national, sans qu'il soit nécessaire de solliciter les juges des libertés localement compétents sur la base de commissions rogatoires. La faculté du juge de se transporter sur place en cas de difficulté d'exécution de l'ordonnance, déjà particulièrement difficile à obtenir en pratique, en deviendra encore plus théorique. De même, alors qu'il y avait jusqu'alors un officier de police judiciaire par équipe d'enquêteurs, il n'y en aura désormais plus qu'un seul par site visité.

portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'UE en matière économique et financière (D dadue).

A suivre…

Vers de nouveaux modes de détection des ententes dans le cadre des marchés publics ? On se souvient que l'Autorité de la concurrence avait fait des marchés publics un secteur prioritaire pour 2020. Faisant le bilan de l'année dans un communiqué, elle souligne qu'elle maintiendra sa vigilance sur ce terrain en 2021.

C'est l'occasion également pour l'ADLC d'annoncer qu'elle sera susceptible d'utiliser un certain nombre de nouveaux modes de détection basés sur le big data. Elle prévoit ainsi la mise en place en 2021 de nouveaux dispositifs de contrôle, y compris de façon préventive, et en mettant à profit les outils numériques fondés sur l'Osint (Open Source Intelligence). Cette annonce fait suite à des travaux de l'International Competition Network sur le sujet, dont l'étude « Big Data and Cartels », qui recensait les premiers développements testés avec succès par certaines autorités membres.

Communiqué de presse de l'Autorité, 23 décembre 2020 ; « Big Data and Cartels », ICN, 28 avril 2020.

Abonnés
Analyses de jurisprudence
Toute l’expertise juridique du Moniteur avec plus de 6000 commentaires et 25 ans d’historique
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires