Interview

« L'économiste est le mieux placé pour réaliser le bilan carbone », Franck Dessemon, président de l’Union nationale des économistes de la construction (Untec)

Maîtrise d'œuvre -

Le président de l'Untec compte sur la RE 2020 pour rendre l'économiste de la construction incontournable.

 

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Franck Dessemon, président de l’Union nationale des économistes de la construction (Untec)

Vous avez été élu à la tête de l'Untec en juin 2021. Quelle est votre feuille de route ?

Nous avons, avec mon équipe, l'objectif de repositionner l'économiste de la construction comme un acteur incontournable de l'acte de construire. Jusqu'à présent, la dimension budgétaire était facilement gommée par les maîtres d'ouvrage et les crises successives ont dévalorisé nos missions. La réglementation en vigueur nous y aidera, puisque la RE 2020 étend notre champ d'intervention. Déposer un permis de construire sans avoir réalisé une véritable étude d'avant-projet définitif ne semble pas raisonnable au regard des enjeux. Par ailleurs, jusqu'à présent, le maître d'ouvrage n'avait pas à réaliser de bilan carbone de ses opérations.

Nous sommes les mieux placés pour le faire. En plus de la RE 2020, la taxonomie européenne et le référentiel qualité que le gouvernement souhaite mettre en place dans le logement pousseront les maîtres d'ouvrage publics et privés à adopter leur projet en coût global. Cette analyse s'appuie sur la norme et vise à anticiper les contraintes de fonctionnement, d'exploitation, de maintenance et de déconstruction d'un ouvrage. Bien qu'elle existe depuis une dizaine d'années, cette norme reste très peu utilisée.

Les promoteurs, qui vendent l'immeuble une fois construit, sont-ils prêts à intégrer le coût global ?

Leur vision est en train de changer, des partenariats sont d'ailleurs en discussion. Le coût global permettra au promoteur de montrer qu'il a bien pensé son programme immobilier. Il deviendra même un argument pour acquérir des fonciers qui se font rares et une aide pour mieux commercialiser son projet. D'autant qu'à l'avenir, le client final aura besoin de savoir comment son immeuble a été conçu, et comment il devra intervenir dans le temps.

RE 2020, référence qualité… Comment les économistes s'adaptent-ils à ces nouvelles exigences ?

L'Untec s'appuie sur son maillage territorial pour informer ses adhérents des évolutions réglementaires. Nous avons d'ailleurs développé un catalogue d'une cinquantaine de formations, ouvertes à l'externe, portées par Untec Services. La formation continue doit permettre également à nos adhérents de se former aux nouveaux métiers. L'offre proposée s'adapte en fonction de besoins remontés du terrain.

Puisque vous souhaitez remettre l'économiste de la construction au centre de l'acte de bâtir, l'Untec ne peut-elle pas aider au déploiement de l'observatoire sur la RE 2020, qui doit être hébergé par le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique (CSCEE) ?

Les membres du CSCEE demandent à l'Etat la mise en place d'un observatoire, pour avoir des remontées de terrain en temps réel. Il s'agit presque d'un outil de pilotage dans l'application de la RE 2020. En parallèle, nous déployons un autre observatoire, basé sur une cinquantaine de projets d'habitats collectifs concernés par la RE 2020. Ces fiches projets ont été remontées par nos adhérents, dans l'idée de mesurer l'impact de la réforme, le tout, en évacuant les éléments conjoncturels liés à la crise des prix des matériaux.

Les données d'analyses seront communiquées par nature d'opération (petit ou grand collectif) et par zone géographique. Ce travail mènera à la création d'un observatoire permanent des coûts de la construction d'ici à cet été. Il permettra de mesurer les inflexions constatées sur le terrain, afin de créer une grille de lecture partagée. Cet observatoire ne concernera pas uniquement les effets de la RE 2020, mais aussi ceux des modes constructifs, des matériaux…

Il sera porté par l'Institut de recherche et d'information économique de la Construction (Iriec), notre laboratoire d'innovation, afin de créer des passerelles avec des partenaires pour faire remonter des données. Je pense par exemple aux mondes HLM et hospitalier. Cet outil piloté par l'Untec sera mis à la disposition de l'ensemble des acteurs du bâtiment. Il pourra également répondre à des demandes d'analyse bien spécifiques de nos partenaires.

D'ailleurs, quel constat réalisez-vous à ce stade sur l'impact de la RE 2020 dans le logement collectif ?

Les seuils 2022 de la RE 2020 pour le logement collectif ne sont pas si difficiles à atteindre, et son impact reste modéré - moins de 5 % sur le budget total des opérations -, car la performance de la plupart des logements collectifs bâtis ces dernières années dépassait la réglementation en vigueur. La véritable difficulté apparaîtra avec le seuil fixé en 2025.

Toutes choses égales d'ailleurs, c'est-à-dire sans prendre en compte les innovations qui n'existent pas encore, la RE 2020 aura un impact représentant 10 à 15 % du coût total des programmes. Ce constat est forcément en décalage avec ce qui se passera réellement, car toutes les industries se mettront en ordre de marche pour élaborer des produits de substitution. Grâce à leurs innovations, le champ des possibles s'élargira, les produits se démocratiseront et leur prix baissera.

« Avec la RE 2020, déposer un permis de construire sans avoir réalisé une étude d'avant-projet définitif ne semble pas raisonnable au regard des enjeux. »

Comment avance le rapprochement avec les géomètres experts dans le but de créer une convention collective commune ?

Nous avons réalisé un travail de structuration qui, même s'il est complexe et prend du temps, a bien avancé. Nous menons des réunions mensuelles sur ce sujet, et nous devrions avoir des annonces à faire d'ici à cet été.

Etes-vous satisfait de la création du CCAG maîtrise d'œuvre ?

Il s'agit d'une belle avancée, nous y avons beaucoup contribué. Il permet de clarifier les relations entre la maîtrise d'œuvre et la maîtrise d'ouvrage, avec un document de référence structuré en ce sens. Par ailleurs, il est mis en place avec le CCAG travaux. La mise en place d'une rémunération à l'avancement du travail effectué permet d'accompagner les entreprises dans les missions très longues. Les ministères auraient pu aller plus loin, notamment sur le montant des honoraires, qui valorisent notre travail. Enfin, un effort pédagogique doit être porté auprès des maîtres d'ouvrage publics, qui méconnaissent encore le nouveau CCAG.

Quelles conséquences voyez-vous émerger de la crise des matériaux ?

En 2020, en pleine crise sanitaire, les maîtres d'ouvrage ont joué le jeu en accompagnant les entreprises. La plupart n'ont pas tenu de positionnement abusif, le dialogue a permis de mener à bien les chantiers. Actuellement, les carnets de commandes sont pleins. Les entreprises ont une véritable difficulté à se projeter et à répondre aux appels d'offres, car les prix varient trop fortement. Avant la crise des matériaux, des accords annuels étaient signés entre les entreprises et leurs fournisseurs. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Actuellement, les maîtres d'ouvrage lancent des marchés à prix fermes sur tous les lots. Difficile, pour une entreprise, de fiabiliser une réponse sans porter sur ses épaules la totalité du risque. Les maîtres d'ouvrage risquent donc de recevoir moins de réponses à leurs appels d'offres, à moins d'accepter de travailler avec des prix révisables.

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