Les quartiers durables aux normes BBC, Passif, BePos, Ecoquartier pointent au moins deux limites du processus traditionnel de fabrication du bâti. Une fois le chantier fini, les performances des bâtiments lors de l'exploitation sont rarement atteintes. De plus, les attentes des usagers ont évolué et le bâti ne répond plus à leurs exigences. L'assistance à la maîtrise d'usage (AMU) permet, à la suite d'une démarche de consultation et d'écoute dans la phase de réalisation, de contourner ces limites.
À la fois approche, méthode et missions professionnelles, l'AMU vise à intégrer les besoins et les aspirations des usagers. Ainsi, l'usager est associé à certains choix du maître d'ouvrage ou de la maîtrise d'œuvre qui auront un impact son futur cadre de vie bâti. Cette écoute et association favorise à la fois l'appropriation du lieu de vie, l'établissement de liens avec les acteurs techniques et de la conception, et au final permet de concilier durablement confort, sobriété, performance et qualité de vie.
En 2013, les membres du réseau national de l'AMU ont choisi cet acronyme pour faire écho à l'assistance à la maîtrise d'ouvrage (AMO). Il permettait de conférer une identité appropriable par les professionnels du bâtiment et de valoriser la place des usagers au sein des projets de construction. Depuis, le réseau continue de réunir des professionnels autour de caractéristiques fondamentales et structurantes, comme notamment : remettre l'humain au cœur de tout projet, permettre la participation active des usagers dès les phases amont du projet, décloisonner les approches, compétences et disciplines, et accompagner vers l'autonomie et la qualité, par une présence tout au long du projet.
« L'AMU est dans la transversalité, la mise en dynamique du changement »
L'AMU propose une démarche globale. Elle permet de croiser les visions et les objectifs des diverses parties prenantes pour faciliter la participation des usagers dès les phases amont du projet et à chaque étape clé. Cette démarche croise l'expertise d'usage, détenue par les usagers que nous sommes tous, et l'expertise technique, détenue par les acteurs de la conception/construction La comparaison avec des missions comme l'AMO ou celle de l'architecte fait ressortir les spécificités de l'AMU. Ainsi, l'assistance à maîtrise d'usage permet au projet d'avoir une dimension sociale et participative forte pour associer les usagers. Elle implique d'avoir une vision transversale permettant de rapprocher les diverses parties prenantes au service de l'usage et de l'usager. Elle peut se concrétiser par un accompagnement au changement visant à la fois les usagers et les acteurs du cadre de vie bâti dans leurs pratiques.
L'AMU semble tirer ses qualités et sa force de sa capacité à englober et à unifier des missions très variées : co-conception d'espaces et usages, sobriété environnementale en phase exploitation, intergénérationnel, dynamique collective, transmission de connaissances, etc. Et à la clé, elle propose de nombreux gains parmi lesquels :
- la satisfaction des usagers (confort ressenti, qualité perçue, appropriation, usages durables et adaptés, etc. ) ;
- la réalisation d'usages ancrés (durables) et conformes aux attentes ;
- les coûts évités (consommations énergétiques, réserves et protestations, travaux correctifs, frais de gestion, coûts de maintenance, etc. ) ;
- la valorisation des projets et des biens (acceptabilité, communication, valeur patrimoniale, espaces communs investis, performance du bâtiment, respect des lieux, etc. ) ;
- la qualité de la construction (durabilité, cohérence globale sur le long terme, intégration dans le bâti proche, adéquation aux besoins, etc. ) ;
- l'innovation (espaces adaptatifs, nouvelles typologies d'espaces, nouveaux usages, etc. ).
Jérôme Gatier (ancien directeur du Plan Bâtiment Durable) considère que « ces nouvelles compétences sont indispensables pour faire travailler et évoluer ensemble des professions dont les approches et univers sont très différents. L'AMU est dans la transversalité, la mise en dynamique du changement et l'application de méthodes de résolution de problèmes. C'est tout à fait passionnant et prometteur et cela laisse entrevoir un potentiel d'évolution professionnelle pour ceux qui cherchent à adapter des méthodes et des approches plus larges à un domaine jusqu'à présent excessivement régi par des savoir-faire techniques ». Le changement des pratiques des acteurs de la construction génère une nouvelle façon de concevoir et de construire. En remettant de la démocratie, de l'intelligence collective et de la convivialité dans l'acte de construire et d'aménager, l'AMU participe à la métamorphose nécessaire de notre société vers plus de résilience, de liens et de sens commun en renforçant ainsi la capacité d'agir du citoyen.
L'enjeu : une nouvelle façon de concevoir, construire ou rénover
Avec l'émergence des premiers écoquartiers en Europe dans les années 2000, puis la tenue en 2007 du Grenelle de l'environnement, des évolutions notables dans l'intérêt porté par les professionnels de l'aménagement aux enjeux de transformation sociale : délitement du lien social, diversification des modes de vie, impact du dérèglement climatique, etc. , sont à noter. Les recherches en sciences sociales s'intensifient autour des enjeux de la modification des comportements, thématique pourtant ancienne dans les pays anglo-saxons. Les premiers retours d'expériences en immeubles performants et quartiers durables (BBC, Passif, BePos, Ecoquartier) pointent au moins deux limites des processus traditionnels de fabrication du bâti et de la ville : les performances des bâtiments en phase exploitation sont rarement atteintes et l'évolution des usages, dans une société en mutation rapide, est difficile à appréhender.
La prise de conscience émergente, par des maîtres d'ouvrage pionniers et les collectivités confrontées à de multiples défis, induit l'apparition et la multiplication des missions d'AMU. Celles-ci témoignent de la limite d'une approche purement technicienne pour la production des bâtiments, de la ville et des espaces. L'évolution culturelle en cours demande à être approfondie afin de travailler avec - et non pour ou sans - l'usager.
En direct du terrain : l'Amu fait ses preuves
Au fil du temps, l'AMU fait ses preuves comme en témoignent ces retours d'expériences.
Collège-gymnase du Larzac (La Cavalerie, Aveyron 1 2) : co-conception et écoute bien perçue
Le projet : construction d'un établissement scolaire et d'un gymnase. Livraison prévue 2021-2022. Une large concertation a été mise en place en amont du projet ainsi que divers dispositifs de co-conception. 124 propositions ont ainsi été formulées par six groupes d'usagers à savoir collégiens, enseignants, techniciens, administratifs, élus et représentants d'associations. Plus de 50 % d'entre elles ont été jugées réalisables par la maîtrise d'ouvrage, l'équipe de maîtrise d'œuvre et les experts du projet. Les propositions ont été en partie intégrées dans l'avant-projet détaillé validé en décembre 2019. En phase de chantier, des ateliers de co-construction basés sur un « tableau de bord-guide de l'usager », facilitant l'appropriation durable, seront conduits, ainsi qu'une visite interactive. En phase d'exploitation un suivi de l'appropriation des bâtiments aura lieu. Enfin des ateliers avec des enseignants pour utiliser la mission à des fins pédagogiques seront réalisés.
« Chers voisins » : l'AMU au service de l'intergénérationnel (Aix-les-Bains Savoie 73)
Face notamment au vieillissement de la population, à l'isolement d'une partie d'entre elle sur Aix-les-Bains (Savoie) et au sein du parc social de Sollar, l'enjeu était ici de construire un cadre commun avec le bailleur, les acteurs du territoire et les habitants pour apporter une solution. « Chers voisins », un dispositif d'habitat intergénérationnel et solidaire qui vise le développement du lien social, de la solidarité et des économies pour tous, a ainsi été imaginé. En amont, l'AMU a notamment mené une enquête auprès de 239 familles, étudié la création d'une maison des projets, encouragé les solidarités de voisinage…
La « copro des possibles », lauréat de l'appel à projet CEE
La rénovation des copropriétés est l'un des axes prioritaires du gouvernement, 64 % des immeubles collectifs privés datent d'avant la première réglementation thermique de 1974. Un plan de rénovation énergétique des bâtiments a été lancé en ce sens en 2018 et un appel à projet de prestations de services donnant droit à des certificats d'économie d'énergie (CEE) proposé dans la foulée. « La Copro des possibles » figure parmi les lauréats de cet appel à projet CEE.
Ce programme innovant, dédié à la sensibilisation et à la formation des copropriétaires et des syndics autour des économies d'énergie. Il est doté d'un budget de 3 millions d'euros sur deux à trois ans comprenant la conception, le déploiement, la formation et un suivi type coaching des bénéficiaires.
Formation et coaching seront proposés gratuitement suivant deux parcours : - un premier pour les copropriétés, intégrant des événements « Déclic Copro » de mobilisation et d'échanges entre copropriétaires, un atelier-rencontre de jeux apprenants : type Trivial Poursuit de la copro et AG fictive, suivi d'un coaching collectif intra/inter copropriété dans les trois à cinq mois suivants ; - un second pour les syndics avec des ateliers d'échanges de pratiques (séminaires), un jour de formation professionnelle éligible ALUR, et coaching collectif intra/inter agence.
Ils devraient mobiliser, en 2020 et 2021, 8 000 copropriétés et 800 syndics dans neuf régions de France : Auvergne Rhône-Alpes, Bourgogne Franche-Comté, Occitanie, Nouvelle Aquitaine, Sud, Bretagne, Pays de Loire, et Île-de-France.
En 2019, lors de la conception du projet la « copro des possibles », il a été conçu selon la démarche AMU et pensé comme un projet collectif dans une copropriété, centré sur le partage et l'ouverture, pour l'intérêt général. Jalonné par cinq think tanks animés par un AMU et deux comités d'experts, il a réuni 40 acteurs publics et privés pluridisciplinaires de la copro, dont des syndics, parmi lesquels Foncia, (partenaire national du projet) et des copropriétaires. « Mobiliser les copropriétés sur des projets de rénovations énergétiques rime souvent avec une approche purement technico-économique. Il devient indispensable de placer l'humain au cœur des processus de décision pour retisser du lien, favoriser l'écoute afin de redonner pouvoir et responsabilité aux copropriétaires, et ainsi gagner en efficacité dans les prises de décisions d'actions collectives », relève Denis Vannier, responsable de ce programme, ingénieur et coach certifié. À la clé, une grande satisfaction des participants. Les gestionnaires syndics saluent une formation « novatrice, dynamique et participative », les copropriétaires assurent « se sentir moins seuls avec le suivi coaching ». Il en est de même des acteurs professionnels comme des maîtres d'œuvre, des assistants à la maîtrise d'ouvrage et opérateurs de copropriété nationaux comme Soliha, des collectivités (Alec Grand Lyon Altee 69, Asder Grand Chambéry… ) qui bénéficient de ce dispositif et disposent ainsi d'un nouvel outil pour leurs territoires comme pour leurs missions de services publics ou privés.
