Alors que les pays anglo-saxons et scandinaves marquent une nette avance sur le renouveau des équipements scolaires, les pas accomplis s'avèrent beaucoup plus timides en France, quand bien même la législation autorise des expérimentations pédagogiques depuis 1975. L'innovation française doit se frayer un chemin dans le contexte d'un patrimoine bâti très codifié : celui constitué dans le sillage des lois Jules Ferry sur l'instruction publique (1881-1882), et dont les plans types ont servi de modèles pour la conception de tous les édifices jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. La vision tayloriste du système éducatif, basée sur la gestion de « cohortes » ( promotions d'élèves), elles-mêmes organisées en « divisions » (les classes) auxquelles est associé pour chacune un espace, a engendré les linéaires de couloirs desservant des salles de classe identiques et un style architectural rationaliste et imposant mettant en scène la République. Le patrimoine bâti après-guerre selon les procédés de préfabrication industrielle répond au même objectif d'efficacité, face à une scolarisation massive liée au baby-boom et à la généralisation de l'entrée en 6e (loi Berthoin, 1959).
L'avant-garde
Dans l'entre-deux-guerres, le courant de l'école de Plein air, inspiré notamment des Forest Schools américaines, avait déjà ouvert une brèche avec quelques réalisations éparses, dont la plus emblématique est celle de Suresnes, conçue en 1935 par Eugène Beaudouin et Marcel Lods. Les salles de classe y prennent la forme de pavillons indépendants implantés dans un parc, reliés par des galeries, dotés chacun de trois façades vitrées escamotables faisant disparaître les limites entre l'intérieur et l'extérieur - dispositif que l'on retrouve aujourd'hui sous forme de terrasses et de patios en prolongement des salles de classe. Visitant alors le site, le pédagogue Célestin Freinet ira jusqu'à qualifier cette « architecture d'un aboutissement si riche et si envoûtant qu'il est une aliénation permanente des possibilités d'invention des maîtres et des élèves ». En dehors des écoles privées, il faudra attendre les prémices de Mai 68 pour que l'expérimentation dans l'enseignement public trouve un nouveau souffle. Le collège Louis-Lumière de Marly-le-Roi (Pierre-André Dufetel arch., 1967) avait pour objectif d'inclure le langage audiovisuel dans l'apprentissage, à partir des films réalisés par les élèves dans un studio de télévision intégré.
LE HALL N'EST PLUS UN LIEU DE PASSAGE MAIS UN GRAND VOLUME OUVERT, MULTIACTIVITÉ, AU CŒUR DU BÂTIMENT.
Le bâtiment était composé de modules de salles de classe, dont le plan en hexagones offrait les angles de vision appropriés pour regarder les téléviseurs. Sa démolition, en 1992, est un signe que le système éducatif n'était pas encore prêt à faire évoluer l'espace scolaire en fonction de l'arrivée d'une technologie nouvelle dans les modes d'accès à la connaissance. Autre bâtiment précurseur, l'école Saint-Merri (Alain Gamard, Daniel Lombard et Edouard-Marc Roux, arch., 1974), construite au même moment que le centre Pompidou voisin, a remplacé les traditionnelles salles de classe par des « aires ouvertes », open spaces dans lesquels cohabitent plusieurs niveaux, et qui annoncent le décloisonnement des espaces et des enseignements aujourd'hui prôné.
A partir des années 1980, en raison de la décentralisation qui délègue aux collectivités territoriales la réalisation des bâtiments, l'écriture architecturale et les usages se diversifient. La salle de classe mono-orientée vers le maître, en vigueur depuis le XIXe siècle, constitue toujours un univers clos mais l'aménagement se modifie. Car, sous l'effet d'un nombre croissant d'élèves (objectif de faire arriver 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat), apparaît la « pédagogie différenciée ». Un même professeur enseigne à des élèves aux capacités et modes d'apprentissage différents : le modèle du cours magistral commence à s'infléchir, dans la salle de classe se forment des îlots pour le travail par petits groupes, l'estrade disparaît.
Espace tout-en-un
Aujourd'hui la salle de classe idéale est modulable, sa configuration devant pouvoir suivre l'évolution des enseignements et des méthodes pédagogiques (p. 53). La flexibilité spatiale doit permettre de qualifier différemment des zones au jour le jour, pour travailler ensemble ou par groupes, sur une table, un pouf, des gradins, à l'écart dans une alcôve. La classe dispose d'un espace mutualisé avec une autre salle pour diversifier les activités durant un même cours, étudier debout, allongé, en musique… Elle est dotée d'un prolongement extérieur - balcons, terrasses, patios - pour des cours en plein air ; le couloir en est une extension, aménagé pour l'étude, le repos ou les rencontres (p. 52). Selon l'architecte Vincent Parreira, « en France, bien que la pédagogie Montessori soit souvent citée en exemple dans les programmes de concours, la salle de classe reste un rectangle de 65 m2. C'est tout ce qui s'y « plugge » qui l'enrichit : loggia, couloir qui longe un patio, ou qualité des vues sur l'extérieur ».
La designer néerlandaise Rosan Bosch propose aux collectivités une gamme de mobilier qui tire profit des espaces de passage, pour y installer à l'envi un mini-amphithéâtre, une zone pour l'expression corporelle ou les rencontres informelles. Dans l'architecture scolaire du XXIe siècle, le hall n'est plus un lieu de circulation mais un grand volume multiactivité ouvert au cœur du bâtiment (p. 54) . En 2007, le lycée d'Orestad au Danemark (3XN architectes, 2007) s'est imposé comme une référence pour la radicalité de la démarche, composant une sorte de hub de 12 000 m2 à l'espace entièrement ouvert et flexible, dans lequel l'ensemble du programme entre en relation visuelle. L'atrium ménage des zones pour l'étude, la détente, les rencontres, les débats, tandis que de petits volumes circulaires, sorte de soucoupes volantes ponctuant le parcours, instaurent des coins au calme pour lire ou étudier.
Dans les nouveaux bâtiments, les centres de documentation et d'information (CDI) disparaissent au profit des centres de connaissance et de culture conçus sur le modèle du learning center universitaire, avec des environnements de travail diversifiés et des zones de détente. La réversibilité est également préconisée, si l'enseignement devait se dématérialiser complètement, scénario cauchemardesque pour la plupart des pédagogues.
Pilier citoyen
La vacance des bâtiments les week-ends et pendant les congés plaide en faveur d'une mutualisation. La ville de Paris a entrepris le réaménagement paysager des cours de récréation, surface foncière inexploitée une grande partie de l'année, en jardins publics. L'enclos scolaire s'ouvre sur la ville, voire la répare, à l'instar du groupe scolaire Molière (p. 55) aux Mureaux, qui constitue un pôle de vie structurant pour le quartier, au milieu des barres de logement de la cité Vigne blanche. Alors que l'inégalité des chances persiste en France, cette réalisation constitue un prototype pour observer si la nouvelle architecture peut contribuer à la réussite scolaire et assurer un avenir digne pour tous les enfants, mission assignée à l'école de la République depuis le XIXe siècle.


