Il y a deux ans, Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Ville, annonçait à la tribune du congrès HLM de Lyon un programme de rénovation urbaine (PNRU) d'une telle ampleur - 200 000 démolitions, autant de reconstructions, 200 000 réhabilitations, 30 milliards de travaux sur cinq ans - qu'il suscitait incrédulité et scepticisme. Aujourd'hui, ce plan rencontre tant de succès que le volume de travaux est monté à 35/36 milliards, qu'il faut rallonger sa durée de trois ans et rajouter de l'argent. Très vite les acteurs du terrain se sont mobilisés : alors que le gouvernement mettait sur pied les outils du programme, les équipes ont commencé à travailler dans les villes et chez les bailleurs pour examiner les projets, les relancer et élargir. Car, pour une fois qu'un ministre affirmait que les crédits étaient au rendez-vous, il fallait saisir l'opportunité !
Le PNRU a donc donné un coup de fouet à la restructuration des grands quartiers d'habitat social. Les maires se sont succédé dans le bureau de Philippe Van de Maele, directeur général de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) et, mi-juillet, 9 projets avaient été validés par son conseil d'administration, les dossiers de 40 villes avaient été examinés par le comité d'engagement, 15 étaient finalisés, et une centaine dans les tubes. Mais le débat sur la démolition a laissé des traces. « Ce n'est pas l'alpha et l'oméga », affirme haut et fort Paul-Louis Marty, délégué général de l'Union sociale pour l'habitat, idée repris e par Philippe Van de Maele : « La démolition n'a de sens que si elle est intégrée dans une démarche globale. Ce n'est qu'un acte dans un projet global. »
La règle du « 1 pour 1 »
Pour éviter des démolitions expiatrices visant à faire disparaître purement et simplement des grands ensembles, le gouvernement a imposé une règle du 1 pour 1 : un logement social reconstruit pour un logement social démoli. D'où le chiffre de 200 000 reconstructions accolé systématiquement à celui des 200 000 démolitions.
Mais cette règle pose problème. D'abord, elle n'est pas respectée. Si l'on regarde les premiers dossiers (sur 21 villes), le compte n'y est pas : pour 10 886 logements démolis, 8 526 reconstructions affichées. Dans une ville comme Meaux ou Montereau, on en est même loin : 1600 et 570 pour la première, 1354 et 1005 pour la seconde. Parfois, les dossiers étaient déjà engagés, la vacance organisée et les reconstructions faites. « Huit sur 10, ce n'est pas mal. En réalité, on offre plus de logements sociaux qu'avant car il y une forte vacance dans les ZUS », plaide Philippe Van de Maele qui assure être « là pour rappeler les grands principes ».
Ainsi, la reconstruction doit précéder la démolition. « Ce n'est pas facile à mettre en oeuvre mais cela permet d'une part de reloger des gens ; d'autre part, de montrer que ça bouge », explique-t-il. A Athis-Mons, 3F applique ce principe au Noyer-Renard : « On commence par construire, dans l'esprit d'un hameau. Ainsi, on montre ce que l'on fait. Et l'on construit de l'individuel car, si on casse des barres et que l'on fait de la maison, cela produit un choc », explique Lionel Blancard de Lery, l'un des deux architectes à travailler sur le site. Faute de reconstructions préalables, le relogement peut être compliqué, sauf forte vacance. En Ile-de-France, la pénurie de logements ralentit les opérations. « Les rythmes sont lents. Les opérations butent sur la capacité de relogement », regrette Michel Delafosse, P-DG de SCIC Habitat (une quinzaine de dossiers Anru en Ile-de-France). Aussi louable soit-elle, la règle du 1 pour 1 a l'inconvénient d'aggraver la spécificité sociale des grands quartiers. A quoi cela rime-t-il, dans une ville comme Trappes - 78 % de logements sociaux - d'en reconstruire encore ?
La Foncière Logement diversifie l'offre
Pour éviter cet écueil, il est prévu que les reconstructions se fassent au niveau du bassin d'habitat, de l'agglomération voire sur le département. Mais, les maires se heurtent alors à la mauvaise volonté des communes voisines, soit parce qu'elles n'ont aucune envie de logement social sur leurs terres soit parce qu'elles en sont déjà largement pourvues. Chacun fait preuve d'imagination pour contourner la difficulté : on remet sur le marché des logements vacants d'un autre bailleur social à l'occasion d'un rachat, on fait des PLA-I dans la ville en milieu diffus, on se tourne vers le maire pour qu'il produise des logements dans d'autres quartiers...
Mais l'exercice reste difficile.
La Foncière Logement, nouvel opérateur financé par le 1 %, contribuera à la diversité des statuts d'occupation en faisant construire des logements locatifs à loyer libre dans les quartiers d'habitat social. A Stains (Moulin neuf), par exemple, un emplacement lui est explicitement réservé en bordure du parc de La Courneuve pour 20 maisons. A Athis-Mons, 55 logements sont prévus au Noyer Renard. A Trappes (Jean-Macé), une cinquantaine... Les exemples se multiplient puisque l'arrivée de La Foncière est une contrepartie à son financement du renouvellement urbain.
Certaines villes développent de l'accession, soit pour inciter des habitants à venir, soit pour permettre aux locataires de HLM de renouer avec un parcours résidentiel. Le plus souvent, ce sont les bailleurs sociaux eux-mêmes qui construisent ces logements en accession. Ceux qui, par principe, ne font pas d'accession (comme 3F) se tournent vers des promoteurs (Athis-Mons, Noyer Renard, 20 logements prévus) : « Plus nous ferons du logement social ailleurs que dans ce quartier, plus nous ferons de maisons en accession sur le site », explique Bruno Vigezzi, directeur de la restructuration urbaine et du développement chez 3 F. Sur un quartier comme Wilson - le plus pauvre de la ville de Reims -, on n'envisage pas de faire de l'accession : « Pas pour l'instant. L'image est très négative », explique Eric Citerne, directeur de l'urbanisme et du territoire de la ville.
Mais la venue des promoteurs privés sur ces sites est encore rare : « Quand ils arrivent, c'est qu'on a gagné », plaisante Paul-Louis Marty. Chez Icade (groupe Caisse des dépôts), une filiale ad hoc - Icade Pierre pour tous - porte un premier programme de 24 maisons individuelles et de 2 petits immeubles (soit 44 logements) au Val Fourré, construits en accession très sociale par Capri, promoteur du groupe. Prix de vente maximum : 1 500 euros/m2. Les habitants des tours voisines se sont précipités. Si un peu de mixité est introduite dans le logement, ces quartiers restent très mono-fonctionnels. A l'exception de la relance/reconstruction de quelques centres commerciaux, il est rare de voir de l'immobilier d'entreprise dans les projets. A Trappes pourtant, square Jean-Macé, la reconstruction d'un immeuble de bureaux est prévue à la place d'une des barres.
Immeubles résidentialisés et clôturés
Quels logements reconstruit-on à la place des grands ensembles, symboles d'un urbanisme rejeté ? Des petites maisons, de l'individuel superposé, du semi-collectif genre « plots », des petits immeubles R + 2, R + 3... Partout, on évite les halls, les cages d'escaliers, les ascenseurs. « A l'heure actuelle, le repli sur soi est consacré à la fois comme mode de vie et comme forme urbaine et architecturale... la vie collective n'est pas le fort de notre société en général, dans les quartiers populaires, en particulier », soupire Paul-Louis Marty... Mais, il y a lieu de redouter que l'on reconnaisse du premier coup d'oeil les reconstructions de la période 2003-2008 ! Les autres immeubles sont le plus souvent résidentialisés et clôturés pour séparer l'espace public de l'espace privé... Un débat se développe autour des voiries pour savoir lesquelles relèvent de la ville ou du bailleur. En toile de fond, le coût de la remise à niveau et l'entretien, ainsi que la participation de l'Anru aux travaux. Le bailleur a intérêt à rétrocéder les voies s'il ne veut pas que ses locataires en paient l'entretien. Mais, si la ville est pauvre et la voirie mal entretenue, la bonne vie du quartier s'en trouvera altérée. D'autant que, sous les voiries, se trouvent les réseaux, largement obsolètes.
Des logements reconstruits plus chers
L'avantage du parti pris architectural en faveur de l'individuel est de « faire baisser les charges, et donc la quittance », explique Bruno Vigezzi (3 F). Un vrai sujet. Car, il sera très difficile pour les bailleurs de proposer les logements reconstruits au même prix que ceux qui sont démolis. Lors d'une visite de Catherine Vautrin, ministre en charge de la Ville à Reims, des mères de famille se sont inquiétées des loyers de sortie de ces nouveaux logements qu'elles ne considéraient « pas pour elles ». Philippe Van de Maele a assuré qu'il se monterait vigilant lors de l'examen des dossiers par l'Anru. Mais il reconnaît « qu'il n'est pas choquant que les locataires aient un reste à charge un peu supérieur car leurs logements sont meilleurs ». Paul-Louis Marty, lui, est sans illusion : « Ce que l'on reconstruira n'aura pas le même prix que ce que l'on démolit. »
Car les logements détruits sont souvent des logements amortis, sur lesquels les bailleurs sociaux gagnent de l'argent. Non seulement les organismes reconstruisent des logements de meilleure qualité, soumis à des normes modernes (plus onéreuses), mais en plus ils se ré-endettent pour cela. Cela aggravera encore les augmentations des loyers des logements reconstruits. A moins que l'on fasse ce que suggère Patrick Lachmann, président d'Efidis : « Il faut faire un découplage entre le relogement et la règle du 1 pour 1. Le relogement se fera au même loyer, mais pas dans les constructions neuves ».
CHIFFRES
4 217 547 logements sociaux en France au 1er janvier 2003, soit 17,3 % des résidences principales
13 % des logements sociaux sont des maisons individuelles
47400 nouveaux logements sociaux ont été mis en location en 2002
CARTES :
Evolution du parc locatif (2002-2003) (Source : Ministère de l'Equipement)
En France, une résidence principale sur six est un logement social. En 2002, dernier chiffre connu, le parc a augmenté de 0,9 % (0,87 % pour l'Hexagone). La densité de logements sociaux est la plus forte en Ile-de-France (un sur quatre) et dans le Nord-Pas-de-Calais (une sur cinq).
Vacance et mobilité au 01/01/2003 (Source : Ministère de l'Equipement)
La vacance structurelle (plus de trois mois) baisse, à 1,5 %, et la mobilité augmente à peine, de 0,2 %, par rapport à 2002... En Ile-de-France, où le marché locatif est particulièrement tendu, la vacance est extrêmement basse (0,9 %) ainsi que la mobilité (0,8 %). En Rhône-Alpes, la mobilité a augmenté de 3 points.
PHOTO
Dans le quartier Wilson à Reims, des maisons remplacent les barres.
GRAPHIQUE : Construction neuve et acquisition-réhabilitation (Source : USH)
Ces courbes qui ne concernent que les organismes d'HLM (et pas les SEM) montrent bien l'apathie de la construction neuve depuis 1994. Le relais n'a été pris qu'imparfaitement par l'acquisition de logements.