Abonné professionnellement depuis de nombreuses années à votre hebdomadaire, je voudrais réagir sur votre récent reportage, relatif à l'apprentissage à partir de 14 ans, notamment l'article "pour / contre ".
En présentation liminaire, pour mon cas personnel, je vous dirais que je fais partie de la génération (celle du "baby boom" ) qui a donc connu la période d'une scolarité légale obligatoire jusqu'à 14 ans (et non 16) et si j'ai réussi par la suite à conduire de sérieuses études, j'ai aussi connu quel était leur prix par un père qui m'a mis "à l'établi" très tôt afin de me faire connaître et les valeurs (philosophiques) du travail manuel et la valeur (coût) des études générales. Rude école !
Si j'ai été enseignant auprès de jeunes de 16-17-18 ans pendant des années, je suis depuis un quart de siècle dans le secteur privé responsable de la maîtrise d'ouvrage (au sein d'un grand groupe de distribution français) de créations de bâtiments commerciaux. Et enfin, assure pour un départ en douceur, un tutorat avec un jeune remplaçant.
J'ai donc acquis à tous points de vue, côté monde pédagogique, côté monde des affaires et sur une assez longue période un certain recul sur les évènements dans le domaine de la formation et du monde actif.
Est-on mature psychologiquement à 14 ans, ne l'est-on pas ?
lorsque je vois le nombre de jeunes (filles et garçons) qui s'impliquent activement et réagissent face à l'injustice sociale et face aux laissés pour compte,
et lorsque je vois par ailleurs le nombre de faits divers - souvent sordides au pire - impliquant des adultes jugés immatures par des experts judiciaires commis à cet effet, ou l'indifférence et égoïsme de nombre de ces mêmes adultes face aux problèmes de société, il est utile de se poser la question de savoir qui est mature, qui ne l'est pas à quel âge ? et in fine si la maturité est du domaine de l'inné ou de l'acquis.
S'il est vrai que l'expérience est peut être la somme de nos erreurs, il n'est pas pour autant certain que la maturité est la somme de nos années.
Est-on mature physiquement pour effectuer l'apprentissage d'un métier à 14 ans ?
Tout dépend bien sûr du type de profession, mais je lis et je vois comme tout le monde, dans la presse rubrique sports les exploits des jeunes gaillards et solides jeunes filles (cadet-es ou minimes) d' 1,70 m et 70 kg, oeuvrant au sein de clubs sportifs divers, et par ailleurs je note aussi comme tout à chacun dans la rue nombre d'adultes dits accomplis qui ne rentre même pas dans ces gabarits. En fait, je ne pense pas que le problème soit là.
Dans n'importe quel métier, tout est une question d'appréhension et de responsabilisation de l'employeur et /ou maître d'apprentissage sur l'adéquation des tâches avec la capacité physique de l'apprenti(e). La réflexion vaut aussi pour des métier moins éprouvants physiquement que nerveusement (métiers exigeant une attention permanente et soutenue)
Au surplus, se pose-t-on la question au sujet de ces métiers sur l'ouvrier de 60 ans ?
Enfin, sur l'éternel débat du prestige des études générales par rapport à l'apprentissage d'un métier manuel, que dire des rêves de quelques parents légers (de plus en plus rares heureusement !) projetant à travers leur progéniture leurs propres frustrations de n'avoir pas réussi la carrière intellectuelle qu' il destine donc c'est promis à leur enfant !
Le poussant contre son aspiration ou profitant de son indécision, vers des carrières "cérébrales" donc valorisantes !
S'il est vrai que la position sociale du citoyen et ses responsabilités dans la nation ne le doivent que par le mérite et non par la naissance, imaginons un peu néanmoins une nation (voire un monde) où les citoyens pourraient par le mérite accéder tous sans exception, aux fonctions d'universitaires, de chercheurs, de philosophes.
Où seraient l'agriculteur, le boulanger, la couturière, le maçon, pour subvenir - au moins - au besoin essentiel de l' Homme : se nourrir, se vêtir, se couvrir et se chauffer ?
Quel malheur pour un jeune âgé de 14 à 20 ans victime ou prisonnier actuellement d'un système et de mentalités, quel gâchis de temps à se fourvoyer dans les 5 / 6 années cruciales de sa vie vers des études dont il ne veut pas, ou qu'il ne peut pas assumer !
Années encore plus cruciales et précieuses, à ne pas gaspiller suite aux récentes réformes sur l'allongement des carrières et des âges de départ en retraite
Quel espoir et quel avenir en revanche pour un jeune, persévérant, qui par goût, par vocation, par libre choix consacre cette même période essentielle du début de sa vie à réussir (car on ne fait bien que ce qu'on aime bien) et exercer le métier manuel qu'il a distingué.
Car il est bien vrai qu'il n'y a pas de sot métier, mais qu'il n'y a que de sottes gens !
Mr Alain THOMAS
01330 BOULIGNEUX