Interview

«Je n'attends rien des ministres du Logement», Nordine Hachemi, P-DG de Kaufman & Broad

Le quatrième promoteur national Kaufman & Broad compte d'abord sur les 35 000 maires pour relancer la construction.

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Comment analysez-vous la crise du logement qui n'en finit pas ?

Il y en a en fait trois qui se conjuguent. La première - et la plus importante - concerne l'offre, en lien avec la pénurie de permis de construire en France, en Europe, mais aussi aux Etats-Unis. Si Kamala Harris a conclu son débat avec Donald Trump sur ce sujet, ce n'est pas un hasard. Dans son discours de politique générale, le Premier ministre Michel Barnier a, lui, assuré qu'il voulait offrir plus de liberté aux maires dans l'attribution des logements sociaux. C'est un point intéressant pour redonner aux élus l'envie de délivrer les permis.

A l'heure du redressement des finances publiques, quelle mesure pourrait inciter les maires à construire ?

A part l'attribution des logements sociaux, qui leur donnerait le sentiment d'une meilleure maîtrise de la démographie de leur commune, je n'en vois pas. Il sera difficile par exemple de réinstaurer la taxe d'habitation. Les effets de sa suppression [totale en 2023, NDLR] n'ont pas du tout été estimés. Des personnes sans expérience du terrain autour d'Emmanuel Macron ont sorti cette idée de leur chapeau pendant la campagne présidentielle de 2017. Nous en payons le prix maintenant.

Quelles sont les deux autres crises que vous évoquiez ?

La deuxième crise est celle de promoteurs qui peinent à écouler leurs stocks de logements. Contrairement à nous, ils se sont laissés embarquer dans la facilité des taux bas qui permettaient de vendre, même quand le terrain avait été acheté très cher. Aujourd'hui, ils demandent des aides pour écouler leurs stocks. Je ne suis pas favorable à cette solution qui consiste à remettre de l'argent sur du foncier rare. Il vaut mieux améliorer la rentabilité de l'investissement locatif qui est trop faible.

La troisième crise concerne l'industrie de la construction, dont l'activité est en baisse. Quand on pense construction, on pense aux grands groupes, mais pour l'essentiel, il s'agit de PME. Leur activité pourrait bénéficier de l'élargissement du prêt à taux zéro à tout le territoire et de la libération de foncier pour la construction d'usines et de logements, comme envisagé par Michel Barnier.

Qu'attendez-vous de Valérie Létard, la nouvelle ministre du Logement ?

Je n'attends rien des ministres du Logement, à part qu'ils deviennent des ministres de l'Aménagement du territoire. Les seuls qui décident de construire, ce sont les maires des 35 000 communes du pays. Pour moi, nous avons 35 000 ministres du Logement. Forts de notre expérience d'aménageur sur de longues périodes via notre filiale Aménagement & Territoires, nous préférons qu'un ministre de l'Aménagement du territoire s'assure de la présence de transports et de services sur l'ensemble du territoire et que nous puissions développer le périurbain. C'est là un modèle acceptable puisqu'il consiste à densifier un bâti existant.

Vos résultats publiés le 30 septembre mettent notamment en exergue une baisse de vos ventes de logements couplée à une augmentation de leur valeur. Comment expliquer cette dichotomie ?

Il y a une pénurie de logements liée au simple fait que l'on n'en construit plus suffisamment, et ce depuis 2018, date à laquelle on a commencé à constater la diminution des permis de construire. Plus nous en construirons, plus les prix seront maîtrisés. Les taux d'intérêt très bas jusqu'en 2022 et les dispositifs fiscaux ont fait monter artificiellement le prix des terrains. Toutefois, modifier puis en fin de compte supprimer le Pinel en période de crise était une erreur.

Comment parvenez-vous à trouver des clients particuliers solvables malgré la hausse des taux d'intérêt entre mi-2022 et mi-2023 ?

Nous ne sommes pas plus chers que nos concurrents. Si notre offre correspond au pouvoir d'achat des clients, institutionnels ou particuliers, c'est d'abord le fruit de notre politique. Nous n'avons pas participé et ne participons pas à la surenchère foncière. Cela fait des années que Kaufman & Broad alerte sur le prix trop élevé des terrains, sur la baisse des permis de construire, ainsi que sur la sur taxation du logement.

Il faut bien garder à l'esprit qu'il s'agit là d'un bien essentiel. Vous n'allez pas arrêter de boire de l'eau sous prétexte que le prix du litre est trop élevé. En outre, les ménages arbitrent différemment leur budget et sont prêts à y accorder une part plus importante, d'autant qu'avec le télétravail, c'est un lieu où l'on passe plus de temps. Enfin, l'envolée des loyers, conséquence de la faiblesse de l'offre, incite ceux qui le peuvent à se tourner vers l'achat.

« En termes de croissance externe, nous regardons le marché attentivement, mais nous n'avons rien trouvé d'intéressant. »

En quoi votre méthode diffère-t-elle de celle de vos concurrents, aujourd'hui contraints de licencier ?

Nous ne lançons la commercialisation que lorsque nous avons acquis la certitude que le projet fonctionnera. En témoigne notre rythme de ventes, de moins de quatre mois entre décembre 2023 et août 2024, largement inférieur à celui du marché [vingt et un mois, NDLR]. Si les logements d'un même programme sont vendus aussi rapidement, c'est que nous tenons compte en permanence des conditions économiques, financières et législatives.

Pendant la crise sanitaire, nous avons beaucoup vendu en bloc des programmes pas encore lancés car nous disposions de peu de stock physique, alors que nos concurrents écoulaient leurs projets en cours de construction. Quand le marché est reparti en 2021, nous mettions sur le marché des produits imaginés fin 2020, quand les autres essayaient de vendre des programmes de 2018 ou 2019. Ce qui nous manque actuellement, c'est de l'offre, mais l'absence de stock présente un avantage : nous ne sommes pas endettés. Il n'y a donc pas lieu de réduire nos effectifs.

Une stratégie qui consiste à privilégier la marge au volume peut-elle néanmoins toucher ses limites ?

Nous avons souvent perdu des consultations avec des écarts de prix de terrains de un à trois. En fin de compte, les programmes ne se font pas car les prix de sortie sont trop élevés. Le contribuable doit-il aider à financer la poursuite de ces projets ? Je n'en suis pas sûr. Je préfère de loin notre stratégie qui permet de mettre de l'argent dans la qualité de construction. A quoi sert d'avoir des architectes et une équipe RSE si nous revoyons à la baisse les plans et la performance environnementale des programmes ? Nous ne vendons pas un produit financier et c'est pourquoi notre image de marque est forte.

Dans ce contexte troublé où les lignes bougent rapidement, n'est-ce pas le moment d'acquérir des sociétés en difficulté ?

En termes de croissance externe, nous regardons le marché attentivement, mais nous n'avons rien trouvé d'intéressant. Une chose est certaine, nous ne rachèterons pas un promoteur qui s'est endetté auprès de particuliers via le crowdfunding immobilier. C'est une situation qui nous apparaît trop compliquée à gérer. Nous préférons avoir des banques comme interlocuteurs. Nos principaux critères de sélection sont la qualité du portefeuille et l'image de marque.

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