De plus en plus présentes sur le terrain physique, mais toujours absentes du terrain juridique. Le paradoxe des coulées d'eaux boueuses (CEB) dans le Bas-Rhin n'était plus tenable. Depuis une quinzaine d'années, ce phénomène a gagné en fréquence, en intensité et en précocité. Parmi les quelque 300 communes du département (soit 60 %) identifiées comme exposées, plusieurs dizaines subissent tous les deux à trois ans ces déversements depuis les collines situées au pied des Vosges. Leur déclenchement à la suite d'orages violents dès le printemps sur des sols encore nus crée des « boulevards » venant buter sur des lotissements de périphérie ou des constructions en front de rues centrales. A défaut de refaire l'histoire de l'urbanisation, l'atténuation des effets des CEB et leur prévention demeurent possibles. Or l'arsenal réglementaire faisait largement défaut.
Support idéal. Deux bras armés des collectivités locales, le Syndicat des eaux et de l'assainissement Alsace-Moselle (SDEA) et l'Agence territoriale d'ingénierie publique (Atip) du Bas-Rhin, se sont attelés à créer une boîte à outils juridique dans le but de sécuriser la délivrance par les maires des autorisations d'urbanisme - ainsi que leurs refus ou conditionnements. Un support idéal s'est imposé : le plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi). « Il repose sur la concertation préalable, fait l'objet d'une enquête publique, informe le public et les porteurs de projet, est évolutif, produit de la norme sur le long terme et est opposable aux aménagements et constructions. Et quand il est intercommunal, il harmonise les règles applicables entre communes », souligne Isabelle Werckmann, responsable ressources métiers de l'Atip. Les communautés de communes du Pays de la Zorn et du Kochersberg se sont déclarées volontaires pour se lancer dans la mise en œuvre, entre l'été 2018 et la fin 2019.
La démarche, menée respectivement avec les équipes de bureaux d'études OTE Ingénierie et InSitu, associe appel à la mémoire récente du terrain, données cartographiques et modélisations numériques.

Elle consiste à interroger les élus sur les tracés des dernières coulées, confirmer avec des géomètres les hauteurs évaluées et photographiées, analyser la topographie pour identifier les points d'entrée et les axes d'écoulement en croisant simulation numérique et télédétection par laser, exploiter les études hydrologiques… « Ce cumul d'informations aboutit à une carte qui localise presque mètre par mètre la donnée-clé : le chemin hydraulique des CEB », poursuit Franck Hufschmitt, directeur de la transition écologique au SDEA. De part et d'autre de ce chemin, quatre catégories de zones touchées ont été matérialisées en code couleur, du jaune (aléa faible) au rouge foncé (aléa très fort), ainsi que, dans certains cas, des zones tampons de 10 ou 15 m de large.

Prescriptions précises. Cette représentation graphique s'articule avec un règlement écrit d'urbanisme qui fixe précisément les prescriptions pour le neuf et l'existant, selon le classement en zone UA ou non, la localisation ou non dans la zone tampon et la couleur de la zone. Par exemple, l'interdiction s'applique de façon généralisée à des remblais et déblais, à la démolition de murs pleins donnant sur la rue exposée, et à la création de sous-sols ou d'accès à déclivité négative (un garage où l'on entrerait par le côté de la voirie). De même est exclue, en zone à risque, la création d'un logement dans un garage sans prise en compte des prescriptions. Transformer un rez-de-chaussée en habitation, commerce ou service est en revanche possible, à condition de respecter une surélévation de la dalle qui va, selon la couleur de la zone, de 30 cm à 1 m par rapport à la chaussée ou à la cote de plus haute eau enregistrée.
Les équipements publics obéissent aux mêmes règles. Le groupe scolaire en construction à Schwindratzheim est l'un des premiers à s'y conformer. Les contraintes sont renforcées pour les établissements accueillant des personnes vulnérables difficilement évacuables (hôpital, Ehpad, crèche…) : ils sont interdits sauf en zone jaune en y respectant une surélévation de 30 cm. Un guide d'application indique aux élus et aux techniciens la marche à suivre pour justifier de la conformité ou non de la demande de permis. L'ensemble de cette méthodologie est reproductible, ce qui se fera sans doute au compte-gouttes car le sujet reste politiquement sensible, et de longue haleine. « Il ne se règle pas en quelques phrases rajoutées au PLUi », reconnaît Franck Hufschmitt.
