Immobilier public : pas de mise en concurrence des baux sur des biens du domaine privé, selon le Conseil d'Etat

La Haute juridiction a enfin tranché le débat. Mais il n'est pas garanti que la Cour de justice de l'UE retienne une position identique.

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Par un arrêt - très attendu - du 2 décembre dernier, le Conseil d'Etat a considéré que le bail emphytéotique afférent à l'hôtel du Palais à Biarritz, situé sur le domaine privé de la commune, ne devait pas être précédé d'une procédure de publicité et de mise en concurrence (, publié au Recueil).

Cette décision est à mettre en parallèle avec l'arrêt « Paris Tennis » rendu par la Haute juridiction le même jour, selon lequel le contrat autorisant l'occupation de courts de tennis situés sur le domaine public du Sénat devait faire l'objet d'une procédure de sélection préalable (, publié au Recueil).

Un cadre juridique incertain

Dans son arrêt « Promoimpresa » du 14 juillet 2016 (aff. jointes C-458/14 et C-67/15), la Cour de justice de l'Union européenne a marqué un coup d'arrêt à la libre délivrance des titres d'occupation du domaine public qui prévalait jusqu'alors en droit français au regard de la jurisprudence « Jean-Bouin » du Conseil d'Etat (, publié au Recueil). Selon la Cour, tant les exigences de l'article 12 de la directive Services du 12 décembre 2006 que celles de l'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) justifient que les autorisations d'occupation du domaine ne soient délivrées qu'après la mise en œuvre d'une procédure de publicité et de mise en concurrence.

Mise en cohérence du droit français. Le droit français a été contraint de se mettre en cohérence avec cette solution. L' a ainsi introduit dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) des règles imposant l'organisation d'une procédure de sélection préalable pour l'occupation du domaine public en vue d'une exploitation économique. Ces règles ne visent expressément que les titres d'occupation du domaine public.

Des solutions divergentes. La question de l'applicabilité du droit européen à la délivrance des titres d'occupation du domaine privé se posait toutefois légitimement.

Plusieurs cours administratives d'appel ont ainsi considéré, à l'inverse d'un jugement du tribunal judiciaire du Mans ( ; ; TJ Mans, 19 août 2021, n° 20/00813), que la délivrance des titres d'occupation du domaine privé en question ne devait pas être précédée d'une procédure de publicité et de mise en concurrence sur le fondement du droit européen.

En outre, les réponses ministérielles successives portant sur le sujet montrent que l'avis du gouvernement a évolué au fil du temps, passant d'une position de principe de soumission des titres d'occupation du domaine privé aux exigences européennes, à une approche davantage casuistique (1). Une clarification était alors attendue.

La position tranchée du Conseil d'Etat

Dans sa décision du 2 décembre 2022, le Conseil d'Etat a jugé que le bail emphytéotique portant sur l'hôtel du Palais à Biarritz n'était ni soumis à l'article 12 de la directive Services, ni à l'article 49 du TFUE.

L'article 12 de cette directive prévoit que la délivrance d'une « autorisation » doit être précédée d'une procédure de sélection entre les candidats potentiels lorsque le nombre d'autorisations disponibles pour une activité donnée est limité. Au sens de la directive, une autorisation est un acte délivré par une « autorité compétente » relatif à l'accès à une activité de service ou à son exercice. La notion d'autorité compétente est elle-même définie (à l'article 4 de la directive) comme visant « tout organe ou toute instance ayant, dans un Etat membre, un rôle de contrôle ou de réglementation des activités de services, notamment les autorités administratives […] ».

  Le droit européen est indifférent à la nature publique ou privée du domaine des personnes publiques.

Le Conseil d'Etat a considéré que les baux portant sur des biens appartenant au domaine privé ne constituaient pas une autorisation au sens de la directive. Le raisonnement tenu par le Conseil d'Etat peut se déduire de l'arrêt « Paris Tennis » rendu le même jour. Le juge administratif y a considéré qu'« en autorisant l'occupation d'une partie du jardin du Luxembourg, qui appartient au domaine public, le Sénat doit être regardé comme exerçant un rôle de contrôle ou de réglementation, et donc comme constituant une autorité compétente au sens de cette directive ».

Une Ville, simple opérateur ou bailleur privé. Tel ne serait donc pas le cas dans l'affaire commentée où la Ville de Biarritz, en autorisant l'occupation de son domaine privé, ne constituerait pas une « autorité compétente » délivrant une autorisation au sens de la directive. En d'autres termes et selon la rapporteure publique, Cécile Raquin, la domanialité privée de la parcelle en cause impliquerait une intervention de la commune comme un « simple opérateur ou bailleur privé gérant son domaine privé sans prérogative particulière ».

Le Conseil d'Etat relève enfin que le bail en question ne porte, par lui-même, aucune atteinte à la liberté d'établissement. Sa motivation n'est ici pas explicitée. Il est toutefois permis de penser, à la lumière des conclusions de la rapporteure publique, que la Haute juridiction a considéré que le bail ne constituant pas une autorisation d'exercer une activité économique, il ne pouvait par principe pas porter atteinte à la liberté d'établissement.

Une solution à la pérennité douteuse

L'arrêt du Conseil d'Etat n'épuise cependant pas totalement le débat sur la question de la mise en concurrence de ces titres. Il n'est en effet pas garanti que la Cour de justice de l'UE retienne une position identique, au regard notamment de l'indifférence du droit européen à la nature publique ou privée du domaine des personnes publiques et de l'interprétation extensive des libertés économiques prévues par le TFUE. La vigilance doit ainsi être de rigueur dans l'attente d'une éventuelle confirmation de la Cour de justice.

L'arrêt « Paris Tennis » de ce 2 décembre en est la parfaite illustration. Le Conseil d'Etat a en effet considéré que la convention d'occupation du domaine public devait respecter les exigences de publicité et de mise en concurrence du droit européen alors même que cette convention avait été conclue de gré à gré, à une date postérieure à la jurisprudence « Jean-Bouin » du Conseil d'Etat et antérieure à la solution inverse de la Cour de justice dans l'arrêt « Promoimpresa ».

Au regard des enjeux suscités, il est ainsi regrettable que le Conseil d'Etat n'ait pas saisi l'opportunité de poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

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