Ponctuels, les Italiens. En nombre, ils se sont installés les premiers pour écouter Mario Draghi. Dans le grand auditorium plein à craquer du Palais des festivals de Cannes, leur ancien chef de gouvernement, de 2021 à 2022, a ouvert le Marché international des professionnels de l’immobilier (Mipim), organisé du 11 au 14 mars.
L’occasion de commenter son rapport sur le futur de la compétitivité de l’Europe (challengée par la Chine et les Etats-Unis), remis en septembre dernier à Ursula von der Leyen, la présidente réélue de la Commission européenne. Cette pièce maîtresse de l’institution pour la mandature en cours « repose sur la compétitivité et la décarbonation. Il faut être capable de faire les deux », a plaidé l’ancien président de la Banque centrale européenne, de 2011 à 2019.
Pas question donc de reculer sur les sujets environnementaux comme aux Etats-Unis. Reste à trouver les financements, alors que les Vingt-Sept et leurs alliés européens, lâchés par les Américains, promettent de doper leurs dépenses militaires face à la menace russe... Un contexte géopolitique angoissant, qui risque de peser sur les investissements extra-européens dans l’immobilier français ou allemand, déjà en retrait depuis deux ans.
Si Mario Draghi soutient les mesures de simplification, notamment sur le reporting extra-financier des entreprises du Vieux-Continent, « il est nécessaire d’accélérer la décarbonation pour à la fois baisser les coûts énergétiques et réduire la dépendance énergétique de l’Europe vis-à-vis d’autres pays », a-t-il expliqué. Sans nommer la Russie, dont le gaz n’est plus vendu massivement à nos voisins, Allemands en tête.
La croissance du PIB européen dépend donc (entre autres) des euros économisés sur la facture énergétique. L’argument fait mouche au sein de la filière, qui se souvient encore des secousses causées par la flambée des prix du gaz et de l’électricité il y a trois ans.
Indépendance énergétique
Concernant les investissements à réaliser dans l’immobilier, Mario Draghi a conseillé aux professionnels de « regarder davantage la démographie » ainsi que « le tourisme (qui) bouge dans le monde » sur fond de recomposition des alliances commerciales et militaires avec un Donald Trump qui « fait ce qu’il dit ». Pour l’économiste, les hausses de droits de douane outre-Atlantique pour les produits et services made in Europe ne sont pas que des menaces. Et elles « ne sont jamais temporaires », a-t-il averti.
Séduit par le discours pro-investissement du banquier, le public majoritairement européen est ressorti requinqué de cette session. « Le rebond de notre secteur dépend de la question énergétique. Nous ne pouvons pas être compétitifs avec des coûts élevés qui dépendent des autres », a résumé l’Italien Simone Borace, directeur du développement de Mario Cucinella Architects, en sortant de la salle avec un grand sourire.
Globalement, l’ambiance est moins à la fête que lors de ces dernières années. En ce troisième Mipim de crise (depuis l’édition 2023), la météo est maussade. « Mipim pluvieux, Mipim heureux », plaisante un broker français. Et les allées du Palais semblent plus dégarnies qu’à l’accoutumée. L’organisation a recensé 21 000 visiteurs, soit 1500 de moins qu’en 2023, année record post-Covid en termes de fréquentation. « C’est assez calme, à l’image de notre marché », observe un autre professionnel, actif dans les transactions de bureaux, commerces, etc., qui ont chuté depuis 2022.
Cette année-là, la crise du logement s’aggravait en France. Depuis, trois ministres se sont succédé, jusqu’à la nomination en septembre dernier de Valérie Létard. « Je serai toujours à vos côtés pour trouver des solutions », a-t-elle martelé, devant un parterre d’élus et de professionnels lors d’une conférence de presse dédiée aux projets français les plus marquants (lire ci-dessous).
Aubervilliers et Saint-Dizier sur le devant de la scène
Parmi les projets français présentés au Mipim, citons le premier jumelage foncier dans le pays. Cette alliance solidaire entre Aubervilliers et Saint-Dizier visent à produire du neuf, notamment social, où les prix immobiliers jugés trop faibles rebutent les opérateurs à se lancer dans la construction de logements. Les communes de Seine-Saint-Denis et Haute-Marne ont choisi le promoteur Pichet pour livrer, en 2027, 93 logements dans la première, 56 dans la seconde.
La conférence de presse dédiée au marché français a également mis en lumière un programme hôtelier et résidentiel, symbole de la renaissance de la ville de Calais (Pas-de-Calais). Le groupement est porté par Aire Nouvelle, filiale d’Equans.
L’aide aux maires bâtisseurs arrive
Plusieurs annonces ont été faites par la ministre du Logement. Parmi les plus concrètes, citons l’enveloppe de 100M€ à disposition des préfets pour soutenir les maires bâtisseurs. « Ce n’est pas facile pour les élus en cette période pré-électorale », a-t-elle souligné, en référence aux municipales de 2026. Cette aide visera les programmes dont le permis de construire a été déposé entre le 1er avril 2025 et le 31 mars 2026.
Les autres nouvelles pour le secteur portent notamment sur deux missions. Sur l’habitat inclusif, elle sera « d’évaluation ». Sur l’investissement locatif, en cette première année sans Pinel depuis 2015, elle sera « flash » car il y a urgence, selon elle et certains professionnels. L’idée consiste à redonner envie fiscalement aux investisseurs de se tourner vers le neuf.
Missionnés depuis le 10 mars par l’ancienne sénatrice du Nord, les parlementaires Mickaël Cosson (Côtes d’Armor, Modem) et Marc-Philippe Daubresse (Nord, LR) devront rendre leurs conclusions en juin prochain, en amont du vote du budget de l’Etat pour 2026.
La dirigeante d’une foncière tertiaire, chahutée depuis la fin des taux bas, n’est pas convaincue : « J’espère que la production de logements va redémarrer parce qu’il y a un vrai besoin qui n’est pas pris en compte par nos politiques. Il faut que toute la chaîne fonctionne pour que ça fonctionne pour nous aussi. C’est pourquoi je souhaite que les promoteurs dans le résidentiel sortent renforcés de cette crise. Mais ce ne sera pas pour tout de suite... »